Plusieurs bibliothèques françaises ont annoncé ces derniers mois avoir suspendu leur abonnement à certaines revues scientifiques pourtant incontournables. Le 13 janvier, l’université Pierre et Marie Curie enclenche le mouvement en annonçant son désabonnement à la revue
Science. Peu après, Paris-V se sépare de la revue
Nature. À Paris-VII, c’est le
New England Journal of Medicine qui est écarté. L’épidémie se propage depuis dans tout l’Hexagone, en Belgique, et aux États-Unis.
En cause : la hausse continue des tarifs des éditeurs.
« De 5 % à 15 % par an, voire plus », affirme Valérie Néouze, directrice du service de documentation de l’université Paris-V. Alors que les budgets des universités sont à la baisse, plusieurs d’entre-elles ne peuvent tout simplement plus suivre.
« Depuis des années nous criions au loup. Maintenant nous sommes proches d’un point de rupture », explique Christophe Pérales, président de l’Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation.
Open-science «
Les éditeurs de la revue Science arguent du fait que les publications deviennent accessibles au bout d’un an. Mais dans la course mondiale aux publications qui fait rage entre les universités, ce délai est trop long », explique Clara Moreau, qui prépare sa thèse au Commissariat à l’énergie atomique (
CEA) et membre du réseau
Hack Your Phd (Hacke ta thèse). Du doctorant au jeune chercheur, ce dernier rassemble plus de 1 000 membres qui militent pour l’ «
accès libre à la science et à la connaissance comme bien commun », « open-science » pour les intimes.
Alexandre Monnin, docteur en philosophie, a ainsi publié sa thèse en format html sur son site Philoweb, pour que chacun puisse y accéder et y ajouter des annotations. Car en plus de faire circuler les savoirs librement (open-access), l’objectif de l’open-science est de favoriser la collaboration entre chercheurs et disciplines.
[Vidéo] Célya Gruson-Daniel raconte la génèse du réseau Hack Your Phd
«
Beaucoup de mes amis étudiants se mettent à me parler de l’open-access et de l’open science suite aux désabonnements des universités », raconte Clara Moreau.
Célya Gruson-Daniel, co fondatrice de
Hack Your Phd, s’est lancée durant l’été 2013 dans un
tour de l’open-science aux Etats-Unis. Un pays «
bien plus en avance que nous sur la question », avance-t-elle.
En France, Cybertheses.org publie et diffuse des thèses issues des universités de Lyon, Montréal, Genève, Santiago, Dakar, Antananarivo… La plateforme se revendique de l’initiative de Budapest, une déclaration signée par quelque 700 organisations – universités, revues, librairies – en faveur de l’open access. « Le web rend possible une distribution mondialisée du savoir (…) supprimer les barrières d’accès aux publications permettra d’accélérer la recherche, d’enrichir l’éducation et de démocratiser le savoir », détaille son manifeste.
À Londres, la Wellcome Library a débloqué en octobre 120 000 euros pour aider les chercheurs à publier leurs thèses en accès libre, selon les normes internationales et au format numérique. Celles-ci seront par la suite placées sous licence Creative Commons. Un choix d’abord pragmatique, pour son directeur Simon Chaplin. « Nous pensons que l’open-access permettra aux recherches d’être plus lues, plus largement diffusées, et, d’après nous, citées plus fréquemment. »
Revues en accès libre
Un nombre croissant de revues proposent de leur coté de publier les travaux de recherche en accès libre sur Internet. Le numérique leur permet d’éviter tout frais d’impression. La plus célèbre d’entre-elles, PlosOne, héberge 88 527 travaux. Elle assure un travail de correction mené par d’autres chercheurs et comptabilise toutes les lectures, citations et discussions autour de ses publications pour évaluer leur qualité.
D’autres revues en accès-libre sont moins regardantes quant à la fiabilité des contenus publiés. Octobre dernier, un certain Ocorrafoo Cobange, biologiste au Wassee Institute of Medicine, en Erythrée, fait publier par plus d’une centaine d’entre elles une recherche portant sur les propriétés anti-cancéreuses du lichen. Un travail qui respecte les codes du jargon scientifique… Mais se trouve être criblé d’erreurs. Pire, l’université et le biologiste n’existent même pas. Le véritable auteur se révèle finalement être John Bohannon, journaliste à la revue Science, qui se manifeste peu après. Avec ce coup monté, l’homme affirme vouloir démontrer que l’open access est devenu « une industrie organisée autour des frais demandés aux auteurs » qui ne prend pas la peine de vérifier ses sources. Un bon nombre de revues open access, dont PlosOne, ont néanmoins refusé son article. « Il y a eu des dérives, reconnaît Clara Moreau, de Hack Your PHD. Dans les pays pauvres en particulier, beaucoup de maisons d’édition bidon se sont montées pour publier tout et n’importe quoi en facturant les auteurs. »
L’autorité de Science a donc encore de beaux jours devant-elle. Mais le modèle économique des grandes revues pourrait pousser de plus en plus de chercheurs et d’universités à passer en « mode open ». Certains éditeurs pratiquent en effet des marges allant jusqu’à 40%. Et les chercheurs eux-mêmes doivent parfois payer le droit de citer leurs travaux dans d’autres publications. « J’espère que le boycott entamé par certaines universités les poussera à évoluer », conclut Clara Moreau.