La voiture électrique est-elle vraiment écolo ?

La “voiture zéro émission” n’est pas un exploit d’ingénierie, c’est une bidouille de marketing. Si elle déplace effectivement les émissions de gaz polluants hors des villes – un grand pas pour la qualité de l’air urbain –, l’appellation “zéro émission” sous-entend qu’un tel véhicule ne contribue ni au réchauffement climatique ni à la mauvaise qualité de l’air, et c’est faux. C’est oublier que 40 % des particules polluantes dues au trafic sont imputables, en Île-de-France, aux frottements des pneus sur le bitume et aux plaquettes de freins. C’est surtout occulter les émissions colossales de la fabrication du véhicule et bien souvent de la production d’électricité.

Fabriquer une petite voiture requiert l’extraction de matériaux, la fabrication de pièces, des livraisons et beaucoup de travail. Tout cela consomme de l’énergie et émet in fine environ 5 tonnes équivalent CO2 de gaz à effet de serre (GES). La voiture électrique (VE) engendre grosso modo les mêmes émissions, à ceci près qu’elle embarque en sus une énorme batterie (Zoé 300 kg, Tesla jusque 600 kg), dont la fabrication est tellement gourmande qu’elle double l'”énergie grise” du véhicule. Dix tonnes équivalent CO2 sont émises avant d’avoir parcouru le moindre kilomètre, et même 19 tonnes pour une berline, soit dix ans d’émissions auxquelles chacun devrait s’astreindre pour limiter le réchauffement à 2 °C.

Les analyses du cycle de vie (ACV, méthode de calcul du bilan environnemental global d’un produit) soulignent qu’outre le CO2, la VE génère dans les usines d’importantes émissions d’oxydes d’azote (NOx) et de dioxyde de soufre. Elle ne fait pas mieux en la matière que la voiture thermique, probablement même pire, mais délocalise loin de nos villes sa contribution à la pollution des eaux et aux pluies acides : la production du lithium accapare l’eau de régions arides d’Amérique latine et d’Australie, celle du cobalt souille l’eau des “creuseurs” et des enfants katangais qui se tuent à l’extraire. Japon, Corée et Chine produisent 95 % des batteries Li-ion et subissent donc seuls la pollution imputable à ce process.

Un bilan carbone intéressant…

Les émissions de GES liées à l’utilisation de la voiture électrique dépendent des centrales qui l’alimentent. La mobilité électrique trouve tout son sens en Norvège, dont le mix électrique est très faiblement carboné, issu à 98 % d’énergies renouvelables. Il n’y a quasiment plus de CO2 émis après la fabrication. Au contraire, en Australie, en Inde, mais aussi dans les Dom-Tom où l’électricité est surtout issue du charbon et du fioul, il est probable que le bilan carbone soit défavorable à la VE.

Entre ces deux cas extrêmes,  la dernière ACV de l’Ademe suggère malgré tout un avantage à l’électrique dans les pays européens les moins sobres (Allemagne, Pologne). En France métropolitaine, nous disposons d’une électricité peu carbonée en raison d’un mix très nucléarisé. L’Ademe estime qu’au terme de sa vie et en recyclant les batteries, l’impact sur le climat d’une VE divise par 3 celui d’une citadine thermique (et par 2 celui d’une berline). Sur le seul critère CO2, en métropole, la voiture électrique est donc une piste intéressante pour la qualité de l’air et le réchauffement climatique.

…mais…

La voiture électrique française est nucléaire et ne soutient pas la comparaison face à la voiture hydro-électrique norvégienne pour quiconque est sensible au risque nucléaire, aux déchets et au péril financier de la filière. Selon l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, la conversion de l’ensemble du parc automobile français (hors poids lourds) impliquerait la construction de l’équivalent de 9 EPR supplémentaires (ou de faire exploser les renouvelables que nous peinons déjà à soutenir) ainsi que des lignes à haute tension.

Et la recharge pourrait poser problème si toutes les VE venaient à l’être simultanément en mode rapide : l’appel de puissance serait tel qu’il exigerait plus de dix fois la puissance instantanée produite par l’ensemble de nos centrales électriques ! La théorie voudrait que cela n’arrive pas, puisque la charge lente de nuit est le mode “normal”. Cependant une nuit entière ne suffisant plus à recharger la nouvelle batterie Tesla 100 kWh en mode lent, on pourrait craindre beaucoup plus de charges rapides que prévu.

Cette perspective complexifie en outre le scénario de la transition électrique qui prévoit la “charge bidirectionnelle”. Il s’agira de pouvoir décharger momentanément une voiture branchée au profit du réseau pendant les pics de consommation. En revanche, les batteries usagées pourront trouver une seconde vie en étant raccordées au réseau afin d’apporter une aide précieuse au stockage d’électricité renouvelable.

Changer le paradigme de la bagnole

Remplacer aujourd’hui toutes nos voitures par des VE sans changer le paradigme de la bagnole serait un fiasco environnemental. Il est donc nécessaire de saisir l’occasion de cette révolution électrique pour qu’elle exprime tout son potentiel : les véhicules devront être moins nombreux en étant mieux rentabilisés (ils passent aujourd’hui 90 % du temps en stationnement), le réflexe bagnole devra être oublié, les voitures devront être plus légères et le mix énergétique mondial décarboné, voire mieux, renouvelable (la dernière mine d’uranium sera vide avant le dernier puits de pétrole).

Les batteries devront aussi s’alléger et la technologie évoluer, mais il est peu probable que ce soit le cas dans la décennie à venir. Les émissions de CO2 initiales de la VE et sa batterie impliquent qu’elles soient amorties en roulant beaucoup (d’autant plus que la voiture s’use très peu). Seulement, aujourd’hui, elles restent cantonnées aux trajets en ville, qui est paradoxalement le lieu où il est le plus facile de mettre en œuvre la seule solution soutenable : l’abandon de la voiture individuelle. Au profit de quoi ? Des transports en commun et du recours occasionnel à l’autopartage ou à la location.

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