Partager la publication "Minage d’astéroïdes, agriculture en apesanteur… voici les nouveaux “space cowboys”"
Un article paru dans le numéro 20 de la revue We Demain en décembre 2017.
Soixante ans après Spoutnik et quarante-cinq ans après la dernière mission Apollo, la course à l’espace semblait au point mort. Depuis 1972, aucun humain n’est allé au-delà de l’orbite basse (2 000 km de la Terre) et les projets les plus ambitieux de la Nasa, comme le retour sur la Lune ou la capture d’un astéroïde, ont été interrompus ou reportés indéfiniment. « Depuis la fin de la navette spatiale en 2011, la première puissance mondiale n’a même plus de fusée pour convoyer ses astronautes vers la Station spatiale internationale [ISS, ndlr]. Elle dépend de la Russie, moyennant un chèque de 77 millions de dollars par passager… », se désole Richard Heidmann*, un des fondateurs du programme Ariane et de l’association internationale Mars Society qui milite pour la colonisation martienne depuis 1998.
Mais tout ceci change et des entreprises privées prennent peu à peu le relais des agences gouvernementales. Un marché évalué à 329 milliards de dollars au niveau mondial, en 2016. C’est le cas de SpaceX, qui devrait effectuer 60 % des lancements de satellites dans le monde en 2018, grâce à ses fusées réutilisables Falcon 9. En août 2017, l’entreprise d’Elon Musk dépassait la Russie avec 12 lancements réussis en huit mois contre 11. D’ici l’an prochain, elle disposera d’une capsule habitable (Dragon V2) et d’un lanceur lourd (Falcon Heavy) capable d’amener du fret sur la Lune ou même sur Mars.
« Le succès de SpaceX, qui est valorisée à plus de 20 milliards de dollars, en appelle d’autres. On a même donné un nom à ce secteur : le New Space », explique François Chopard. Il y a cinq ans, ce Français créait Starburst Accelerator, le premier incubateur de start-up spatiales dont la valeur totale est estimée à 1,8 milliard de dollars. « De nombreux autres grands acteurs entendent prendre leur part. Que ce soit Blue Origin, fondée par le patron d’Amazon Jeff Bezos. Ou encore Vulcan Aerospace, propulsée par Paul Allen, le cofondateur de Microsoft. » On pourrait aussi citer Bill Gates, Mark Zuckerberg, Larry Page, Sergey Brin, Eric Schmidt, Richard Branson, Yuri Milner… Selon une étude de Bloomberg parue cet été, pas moins de 13 des 500 plus grandes fortunes mondiales ont déjà pris des participations.
« SpaceX a démontré que l’on peut envoyer une fusée dans l’espace pour 60 millions de dollars, explique Richard Heidmann, quand le futur lanceur de la Nasa, le SLS, coûtera entre 500 millions et un milliard de dollars par tir. » Une baisse de coût drastique qui rend économiquement crédibles les projets les plus fous. Outre le lancement de satellites de grande (SpaceX, Blue Origin) ou plus petite taille (RocketLab, Vulcan, NanoRacks), c’est toute une industrie qui voit le jour. Avec des réseaux de communication (Starlink, Oneweb), d’approvisionnement en matières premières (Planetary Ressources, Deep Space Industries), d’agriculture (Deep Space Ecology) et de fabrication en orbite (Made in Space).
Et même des hôtels spatiaux, comme le prévoit de Bigelow Aerospace. Fondée à la fin des années 1990 par un magnat de l’immobilier, cette entreprise envisage dès 2020 de créer une station spatiale gonflable. Preuve de l’intérêt du concept : un module expérimental équipe déjà l’ISS depuis 2016. Et Bigelow devrait être concurrencé par pas moins de six autres projets de stations spatiales portés par Boeing, Lockeed Martin, Orbital Atk, Sierra Nevada ou de nouveaux venus tels que Axiom ou NanoRacks. « Toutes ces nouvelles entreprises ont un business model rentable à court ou moyen terme, détaille François Chopard. Pour financer son projet de minage d’astéroïdes, Planetary Ressources entend d’abord cartographier les ressources sur Terre avec des satellites. Tout comme son concurrent Deep Space Industries, qui mise sur des vaisseaux de ravitaillement. »
Pour François Chopard, le véritable marché à venir est dans la fabrication en apesanteur. « On pourrait y fabriquer des fibres optiques d’une pureté inédite, utilisables sur Terre, qui se négocieront plus de 70 000 dollars le kilo. Mais aussi des médicaments inédits grâce à des processus chimiques en apesanteur. » Sur ce créneau, la start-up Made In Space s’impose déjà en pionnière avec une première imprimante 3D en service sur l’ISS. Elle entend à terme imprimer des stations spatiales entières. « Dans l’industrie, on imagine un avenir où il n’y aura pas 10, mais 1 000 voire 10 000 astronautes en orbite. Sachant qu’il leur faut 2,4 kg de consommables par jour et par personne, cela signifie trois lancements de Falcon 9 par jour pour les approvisionner », conclut François Chopard. C’est à cette échelle que réfléchissent aujourd’hui les nouveaux pionniers de l’espace.
*Alerte à Mars city, par Richard Heidmann, éd. ED2A, 2017.
Robert Bigelow : l’aubergiste
En 1954, Robert Bigelow n’avait que 9 ans lorsqu’il vit sa première explosion atomique. Un test mené par l’armée américaine à une centaine de kilomètres de Las Vegas qui fut pour lui une révélation et lui donna envie de dédier sa vie à la science. Malgré de mauvaises notes en maths, Bigelow réalise son rêve en 1999 après avoir fait fortune dans l’hôtellerie. Il investit 350 millions de dollars pour fonder la start-up Bigelow Aerospace, après avoir racheté à la Nasa un brevet d’habitat spatial gonflable. Ce programme, baptisé Transhab, visait à créer des modules beaucoup plus larges que ceux en aluminium de la Station spatiale internationale (ISS), tout en étant plus résistants aux perforations des météorites et aux radiations.
Une technologie indispensable à tout projet de colonisation spatiale. Après avoir expédié deux démonstrateurs en orbite entre 2006 et 2007, Bigelow obtient la consécration en 2016 lorsque le premier module gonflable de son entreprise est attaché à l’ISS pour y être testé pendant deux ans. Une étape cruciale avant la mise en orbite, en 2020, de la première station spatiale privée. Celle-ci sera composée de deux modules d’un volume de 330 m3 pour un poids de 20 t chacun. À comparer aux 78,5 m3 et 10,2 t du module européen Columbus présent sur l’ISS. Prochain objectif ? Créer une chaîne d’hôtellerie spatiale, puis une base lunaire.
Andrew Rush : le forgeron
Baigné dès l’enfance dans l’univers de Star Wars et des jeux vidéo, Andrew Rush se décrit comme un geek déçu par la lenteur de la conquête spatiale. En 2010, il cofonde la start-up Made in Space dont l’objectif est de développer l’impression 3D en apesanteur. Deux ans plus tard, la première imprimante 3D de son entreprise est acheminée vers la Station spatiale internationale afin d’y produire des pièces de rechange. Un challenge technique considérable mais une simple étape vers son objectif ultime : créer un robot capable d’imprimer, en orbite, des structures géantes telles que des antennes, des poutres de station spatiale ou des réflecteurs solaires. Baptisé Archinaut, le robot les imprimera en pièces détachées tout en les assemblant grâce à des bras, comme une araignée. Un premier prototype a été testé courant août dans une chambre à vide et devrait être opérationnel dans les années 2020.
Morgan Irons : la fermière
Jeune diplômée de l’université Duke en Caroline du Nord, Morgan Irons pense à l’avenir. Non pas le sien, mais celui d’une humanité qui cultivera sur d’autres planètes. Après avoir réussi, en 2015, à faire pousser des plantes dans un ersatz de sol martien, la biologiste de 22 ans a fondé la start-up Deep Space Ecology, dont le but est d’assurer l’autonomie en oxygène et en nourriture et de recycler les déchets des futurs astronautes grâce à des écosystèmes embarqués à bord. Une technologie dont elle entend également faire profiter la Terre. « Si vous pouvez faire pousser des plantes sur Mars, vous pouvez le faire n’importe où. »
Peter Beck : le convoyeur
En 1999, à l’âge de 18 ans, Peter Beck attachait une roquette artisanale à son vélo pour atteindre une vitesse de 150 km/h. Il survécut à cette expérience et fonda, en 2006, sa propre entreprise spatiale : Rocketlab. Son ambition ? Offrir un moyen économique d’accéder à l’espace grâce à de petites fusées. À une époque où la plupart des satellites faisaient la taille de bus scolaires, il ne réussit à convaincre que des investisseurs de sa Nouvelle-Zélande natale. Bien leur en a pris, car depuis sont apparus les « cubesats ». De petits satellites cubiques de 10 cm d’arête qui profitent des progrès de la miniaturisation de l’électronique.
Aujourd’hui, Rocketlab est évaluée à 1 milliard de dollars et ses fusées Electron pourront, dès la fin 2017, placer 150 kg de fret sur orbite à 500 km d’altitude. Le tout pour seulement 5 millions de dollars par lancement. L’entreprise, qui bénéficie de son propre pas de tir en Nouvelle-Zélande, entend à terme effectuer une centaine de lancements par an.
Bill Miller : le mineur
Capitaine de marine marchande, pilote de ligne, développeur informatique et homme d’affaires multimillionnaire, Bill Miller a pris la direction de Deep Space Industries début 2017. Fondée en 2013, cette entreprise a pour but de forer des astéroïdes afin d’en extraire des minerais rares. Mais aussi de la glace d’eau, qui pourrait être fractionnée en hydrogène et en oxygène, créant ainsi du carburant pour fusée. Un véritable « plan sur la comète », qui rappelle celui de son concurrent Planetary Ressources et qui a permis aux deux entreprises de recevoir des fonds ainsi qu’un cadre légal ad hoc de la part du Luxembourg.