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Morfo : la start-up qui veut régénérer les forêts à grande échelle à l’aide de drones

Le drone vole à deux mètres du sol, au-dessus de terrains qui ont souffert d’une exploitation minière appartenant aujourd’hui au passé. Le paysage a profondément souffert de l’activité humaine. Il s’agit maintenant de régénérer la zone et de faire en sorte qu’une nouvelle forêt reprenne ses droits. Pour cela, la start-up française Morfo, fondée courant 2021, a imaginé un dispositif pour restaurer des écosystèmes forestiers à grande échelle : des semences variées et encapsulées et une plantation rapide et efficace à l’aide de drones et d’intelligence artificielle.

“Aujourd’hui, sur Terre, on estime à environ 900 millions d’hectares la surface disponible pour une revégétalisation, explique à WE DEMAIN Adrien Page, cofondateur de Morfo. Ces terrains sont dévastés directement ou indirectement par l’activité humaine. Cela peut être dû à une ancienne exploitation minière, à la désertification, à la salinisation, à cause d’incendies géants, de coupes forestières très fortes, etc. Pour restaurer ces sols, il fallait trouver une solution applicable à grande échelle. Les drones sont une réponse.”

Restauration d’un ancien terrain minier au Gabon par Morfo.

De l’agritech, des drones… et l’amour de la forêt

Adrien Pages a cofondé Morfo fin mai 2021 avec deux associés originaires de Guyane française. “Ils avaient tous les deux vu les ravages de l’activité humaine, et plus particulièrement des mines, sur les forêts. L’un d’eux s’occupait même de la gestion environnementale de mines en Guyane. Nous nous sommes retrouvés sur ces sujets forestiers et une envie commune d’avoir un impact positif via l’entrepreneuriat”, explique-t-il.

Mais pour agir à grande échelle, les modes de plantation classiques sont vite limités. “L’utilisation de drones nous permet d’ensemencer jusqu’à 50 hectares de terrain par jour, ce serait impossible à la main”, souligne Adrien Pages. Concrètement, Morfo repose sur trois briques technologiques. La première est l’agritech, pour étudier, comprendre et connaître les écosystèmes à régénérer. La start-up s’est donc dotée d’un laboratoire pour étudier les plantes et voir comment elles se comportent selon les conditions du terrain (sols, climats, niveau de pollution, etc.). Morfo étoffe peu à peu son catalogue qui compte actuellement 150 à 200 essences différentes (arbres, arbustes, plantes…). “Le but est de recréer la nature au mieux avec une vraie variété d’espèces et en observant les forêts alentour pour s’en inspirer”, détaille Adrien Page.

En Guyane, les drones s’activent pour régénérer toute une brèche créée par l’activité humaine dans la forêt tropicale. Crédit : Morfo.

La deuxième brique, ce sont les drones. Ils ont l’avantage de s’affranchir des difficultés du terrain, de pouvoir couvrir de grandes zones en une seule journée et peuvent servir aussi à analyser les données. Ils peuvent couvrir 1 hectare par vol et travailler aussi bien à 2 qu’à 20 mètres du sol, au-dessus des arbres, au besoin. Enfin, la dernière brique, c’est l’analyse et le suivi pour assurer un accompagnement dans le temps et s’assurer de la réussite des projets.

Des plantations sur-mesure imaginées dans le laboratoire de Morfo

“Nous analysons bien sûr la qualité du sol et le climat mais le survol par nos drones des terrains est aussi très précieux pour définir quels types de semences seront plantées. Topographie, hydrographie… l’analyse des données nous permet de créer un schéma de plantation à la fois qualitatif et précis tout en étant à grande échelle”, explique Adrien Pages. Morfo puise parmi plus de 150 essences à disposition et va aussi définir la densité des plantations selon les variations du terrain. La start-up compte un pôle de recherche interne mais travaille aussi main dans la main avec l’IRD (Institut de Recherches pour le Développement) , l’Inria et le Cirad (organisme français de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes.), sans compter deux partenaires de recherche au Brésil.

Il faut anticiper le taux de perte, connaître le taux de germination moyen de chaque espèce, prendre en compte la nécessité ou non de créer un couvert forestier… et s’adapter selon la configuration locale. “Aucune de nos reforestation n’a pour but d’exploiter les arbres par des coupes de bois dans le futur mais nous prenons en compte les populations locales et les besoins éventuels, en plantant par exemple des arbres fruitiers dans certaines zones”, ajoute le cofondateur.

Rendez-vous dans quelques dizaines… centaines d’années

Régénérer une forêt est un travail de longue haleine. “Nous travaillons principalement sur des reforestations dans les régions tropicales, où le développement est assez rapide mais cela reste à l’échelle de la nature. Une fois les semences plantées, notre régénération naturelle assistée crée un processus et est accéléré par notre système mais il faut ensuite laisser faire la nature. Pour une forêt tropicale, on saura dans 25-30 ans si nos efforts ont porté leurs fruits et si on peut considérer qu’une forêt va repartir. Mais il faudra 150 à 200 ans pour retrouver une vraie forêt primaire, assure-t-il.

Question coûts, le procédé de Morfo fait que les dépenses opérationnelles et de mise en œuvre sont trois fois moins élevées qu’un processus de plantation manuel classique. En revanche, les dépenses sont plus élevées en amont pour analyser le terrain et les essences nécessaires mais aussi en aval pour assurer le suivi dans le temps. L’un dans l’autre, le coût sera donc relativement identique mais avec des forêts plus diversifiées à grande échelle. À ce jour, Morfo a planté 300 hectares depuis sa création en 2021 et ambitionne de dépasser les 1000 hectares à fin 2023. Le but est de dépasser la centaine de milliers d’hectares avant 2030, une fois que le procédé sera passé à l’échelle.

Trois types de clients pour Morfo

Pour qui Morfo régénère-t-il ces forêts ? La start-up compte trois types de clients. Le premier est l’industrie extractive qui a l’obligation de recréer des forêts après avoir mis fin à une exploitation minière. Le deuxième est l’industrie des infrastructures, comme les routes et barrages, qui souhaite réparer en partie les dommages créés par la construction de leurs ouvrages afin d’en limiter l’impact. Enfin, les États et institutions publiques.

Un quatrième profil commence à émerger : celui des entreprises qui cherchent des solutions pour restaurer des terres dégradées par leur activité ou pour que les projets entrent dans le mécanisme de contribution carbone. À ce sujet, Adrien Pages se veut prudent : “Nous ne voulons pas être un alibi mais proposer des projets de qualité. Nous étudions donc attentivement les demandes avant d’y répondre favorablement“, prévient-il.

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