OpenStreetMap : l’alternative à Google Maps fédère 1,6 million de cartographes

Haïti, 12 janvier 2010, 16h53. Un violent tremblement de terre secoue Port-au-Prince. Le bilan, pour cet État pauvre et désorganisé, est terrible : 250 000 morts, 300 000 blessés, 1,3 million de sans-abris. Des secours arrivent du monde entier. Mais leur intervention est compliquée par l’absence de données cartographiques précises sur la capitale ravagée. Les ONG et armées présentes sur place ont alors pu compter sur le travail de la communauté d’internautes d’Open Street Map (OSM).
 
Les membres de la plateforme se mobilisent dès le premier jour du séisme. Ils récupèrent de vieilles cartes de la CIA, traquent les bâtiments effondrés via l’imagerie satellite disponible, alors que d’autres arpentent directement les lieux de la catastrophe. En 72 heures, 700 modifications sont effectuées sur la carte de Port-au-prince. Le plan de la ville passe « du stade d’ébauche à un époustouflant niveau de précision  – bien supérieur à celui de Google Maps », rapporte alors Libération. « On a fourni les premières cartes opérationnelles, se remémore Gaël Musquet, porte-parole d’OSM France. Toutes ces données ont été téléchargées par ceux qui étaient venus porter secours aux habitants. »

[Vidéo] Travail de la communauté en Haïti

Dix ans après Haïti, c’est au tour de l’Afrique de l’Ouest de bénéficier des services d’OpenStreetMap. Depuis le début de l’épidémie d’Ebola, 1 200 contributeurs bénévoles se sont mobilisés, ajoutant six millions « d’objets » – maisons, routes, dispensaires, hôpitaux, forêts – sur OSM. Des informations indispensables à l’intervention des équipes de la Croix-Rouge et de Médecins sans frontières.

« je suis obsédé par les poteaux incendie »

Derrière le travail effectué dans l’urgence des catastrophes humanitaires ou des guerres, Open Street Map se nourrit du travail patient de millions d’internautes, qui cartographient bénévolement notre planète. 1 000 kilomètres de rue par jour en moyenne. Gaël Musquet nous livre quelques-uns de leurs profils-types. « Il y a ceux ont une passion, mettons la randonnée, et qui ont donc besoin de données précises sur leurs itinéraires. D’autres, comme moi, souffrent de « trouble obsessionnel cartographique » : je suis obsédé par les poteaux incendie. Dès que j’en vois un, je l’ajoute sur OSM ! ». En France, la communauté est très développée. Quelque 3 000 internautes ajoutent ou modifient chaque mois des données sur la plateforme. Certaines municipalités ou certaines entreprises « ouvrent » également leurs données à OSM. Un travail de fourmi, qui paie.
 
Après tout juste dix ans d’existence, deux milliards d’objets ont été recensé sur OSM, répartis sur une carte du monde consultable en ligne. Ou téléchargeable : le « monde selon OSM » pèse « seulement » 512 gita-octets et tient sur les ordinateurs portables les plus récents. « Que ce soit sur le rendu cartographique, le calcul d’itinéraire, les bases de données, tout le monde s’accorde à dire qu’OSM est aujourd’hui un acteur avec lequel il faut compter », affirme Gaël Musquet. Car avec son mode de collecte collaboratif continu, OSM est parfois plus précis et plus à la page que Google Maps, le n°1 de la cartographie en ligne, qui utilise même certaines données d’OSM pour compléter les siennes. « Si un magasin a changé de nom, on est les premiers à le savoir. Lorsqu’un internaute signale une nouveauté, sa modification est vérifiée par la communauté, puis par des robots, qui s’assurent de l’orthographe, la géolocalisation, la cohérence des informations.

OSM vs Google ?

Alors que Google Maps a pris le pas sur ses concurrents, comme Mappy en France, d’autres facteurs expliquent qu’OSM ait pu se développer à l’ombre du géant américain. En premier chef, sa gratuité. N’importe qui est libre d’utiliser, copier, remixer, et même revendre les données hébergées par la plate-forme, sous Open Database License (ODBL), une licence proche des Creative Commons. Certaines entreprises, comme Mapbox ou Foursquare, préfèrent ainsi se tourner vers OSM pour intégrer des cartes interactives à leurs applications plutôt que de payer des droits à Google, jusqu’à « plusieurs dizaines de milliers d’euros par mois, selon Gaël Musquet, sans parler du manque de personnalisation possible sur Google Maps ». Et l’intérêt pour OpenStreetMap va désormais au delà du numérique : en février 2013, Michelin s’est appuyé sur les données d’OSM pour produire sa carte papier de Clermont-Ferrand, une première. Sous pression financière, certains Samu préfèrent également utiliser OSM que les services payants de Google. « On va même très prochainement rencontrer l’Institut Géographique National (IGN), pour voir comment travailler main dans la main et mutualiser nos données ».

OSM a aussi pour lui un plus grand respect de la vie privée et des données que l’on peut y héberger. « Google Maps revend toutes les données produites par ses utilisateurs sous forme de statistiques : trafic, point d’intérêt, magasins recherchés. » Et ce problème de confidentialité ne touche pas que les particuliers : une entreprise n’a pas nécessairement envie que l’on utilise les données récoltées sur ses clients, de même qu’un État peut vouloir garder secret le détail de son réseau électrique. « On observe aussi une prise de conscience générale par rapport à l’hégémonie de Google qui joue en notre faveur », confirme Christian Quest, président de l’association OpenStreetMap France, dans La Gazette des Communes.

Gaël Musquet préfère, poliment, parler de complémentarité que de compétition avec Google. « Ils n’ont jamais exprimé d’hostilité à notre égard, et même financé certains de nos travaux. » D’autant que Google Maps, plus rapide à prendre en main, est loin d’être menacé par la plateforme. Plus qu’une défiance contre le géant américain, c’est la culture de l’open-source et la volonté de faire de la donnée cartographique un bien commun qui motive Gaël Musquet, marqué par le passage du cyclone Hugo dans sa Guadeloupe natale, en 1989. « Il faut qu’on forme des fonctionnaires, des lycéens, les entreprises, les ONG à utiliser notre plateforme ! » Signe que les choses bougent dans ce sens : la Fondation de France a récemment soutenu OSM en Afrique. Les communautés du Sénégal, du Cameroun, du Togo, ou du Tchad y ont bénéficié d’un financement et d’une formation pour faire voler des drones chargés de cartographier leur territoire.
 

Côme Bastin
Journaliste We Demain
Twitter : @Come_Bastin

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