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Qui est Yann LeCun, ce Français qui a décroché le “Nobel” de l’informatique ?

Le 29/03/2019 par WeDemain

Retrouvez cet article dans la revue We Demain n°9, disponible sur notre boutique en ligne.

 

Après avoir présenté une pièce d’identité, au rez-de-chaussée, et signé un accord de confidentialité au 8e étage du 770 Broadway, à Greenwich Village, je me retrouve nez à nez avec Mark Zuckerberg sur écran géant.

Le fondateur du réseau social aux 1,3 milliard d’utilisateurs me parle des dernières avancées de l’intelligence artificielle, son nouveau défi. Une course dans laquelle sont aussi lancés Google, Amazon ou Apple. Au siège new-yorkais de Facebook, 35 chercheurs œuvrent, depuis octobre 2013, à rendre les machines réellement intelligentes.

C’est avec le chef de cette cellule stratégique que j’ai rendez-vous. Il s’appelle Yann LeCun et il est français. La dernière ascension fulgurante d’un frenchie au sommet du secteur high-tech ? Pas exactement. Avant même que son actuel patron ne vienne au monde, il baignait déjà dans les octets et les pixels.

À 54 ans, Yann LeCun est l’un des plus grands spécialistes mondiaux de l’intelligence artificielle. Diplômé de l’École supérieure d’ingénieurs en électronique et électrotechnique de Paris (ESIEE) en 1983, de l’université Pierre-et-Marie-Curie l’année suivante, il atterrit en 1987 en Amérique du Nord, aux côtés d’une sommité mondiale de l’informatique, Geoffrey Hinton, avec lequel il tient à faire son postdoctorat.

J’ai ensuite été recruté par Bell Labs, un labo très en vue à l’époque. Je pensais y rester un an ou deux puis rentrer en France. Ça s’est transformé en vingt-sept ans…

Aux laboratoires Bell, c’est grâce à l’apprentissage profond – une technique informatique qui fait appel à des réseaux neuronaux artificiels – qu’il crée à la fin des années 1980 un système de reconnaissance des formes, toujours utilisé dans les guichets automatiques des banques pour la lecture de chèques.

Computer Pioneer Award

La technique était prometteuse, mais il faut attendre 2012 pour que la quantité de données disponibles sur Internet et la puissance des ordinateurs la mettent au goût du jour. Les programmes de Geoffrey Hinton, l’ancien mentor et dorénavant ami de Yann LeCun, remportent alors le concours ImageNet avec une marge de 15 % d’erreur, contre 25 % pour les autres participants.

Ça a créé une révolution complète. Les chercheurs en recherche et développement ont abandonné ce qu’ils faisaient pour adopter nos techniques, et l’industrie s’est ruée dessus”, se souvient Yann LeCun.

Qu’ils se nomment Siri ou Cortana, tous les assistants personnels intelligents des smartphones, qui comprennent les instructions vocales et y répondent, utilisent aujourd’hui l’apprentissage profond. La contribution du Français à cette révolution lui a valu de recevoir en 2014 le prestigieux Computer Pioneer Award, qui récompense les pionniers de l’informatique.
 

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Attablé dans une salle de conférences, le chercheur me détaille les objectifs de son labo avec cette décontraction propre aux génies du numérique. Dans l’immédiat : améliorer la reconnaissance automatique des images, qui permet en moins de deux secondes d’”étiqueter” les milliards de clichés mis en ligne sur Facebook et de les poster sur nos fils d’actualité. Il y a un chat, tel ami est intéressé par les chats, la machine lui montre la photo.

Les gens ont beau passer quotidiennement quarante minutes sur Facebook, personne n’a le temps de voir tous les contenus. Donc le système sélectionne les vidéos, articles et publicités intéressants pour chacun. Pour l’instant, l’agent [un programme autonome et qui apprend lui-même, ndlr] est encore relativement simple, mais on l’espère beaucoup plus efficace et intelligent à l’avenir, et surtout sous contrôle de l’utilisateur.

Recherches en open source

Lorsqu’il n’est pas au siège new-yorkais de Facebook, Yann LeCun enseigne à l’université de New York, à seulement quelques rues de là. Déformation professionnelle ou pédagogie naturelle, il émaille son discours d’anecdotes simples et parlantes. “Par exemple, si l’on est un peu saoul et qu’on s’apprête à poster un selfie où l’on est mal en point, un message nous dira : ‘Tu es sûr de vouloir montrer ça à ton patron et à ta mère ?’”

Cette perspective, tout comme les récents et fulgurants progrès de l’intelligence artificielle, repose sur l’apprentissage profond. C’est grâce à cette technique, à laquelle Yann LeCun a consacré sa carrière, que Facebook peut espérer, demain, faire bien mieux que reconnaître votre chat ou estimer votre état d’ébriété.
 

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Demain, la traduction automatique permettra de dialoguer dans deux langues différentes sur Messenger ou WhatsApp. À terme, l’idée est surtout de nous faire échanger toujours plus avec notre ordinateur, d’en faire un “assistant personnel”, à même d’effectuer nos réservations, par exemple.
 

“Il nous faut développer de nouveaux concepts. Nous voulons créer un assistant capable de comprendre les contraintes du monde et les aspirations de chaque utilisateur. Pour ça, les systèmes devront avoir acquis un certain sens commun. Ainsi, si je dis ‘Le téléphone de Paul est sur la table. Paul prend son téléphone et sort de la pièce’, la machine doit pouvoir se représenter la scène, savoir qu’un objet ne peut être à deux endroits en même temps, et qu’il a suivi la personne. Il faut un modèle du monde qu’on a du mal à faire acquérir aux ordinateurs.

Pour se donner toutes les chances d’accomplir ce défi, Facebook a mis ses recherches sur le sujet en open source. Et son labo travaille de concert avec Google et l’université de New York, pour ne citer qu’eux.

“Découverte de médicaments”

Mais le chercheur, qui s’adonne dans le privé à la musique classique, au jazz et à la construction de robots – on ne se refait pas –, ne craint pas de voir l’homme un jour dépassé par une intelligence artificielle.

S’il dit comprendre les peurs émises à ce sujet, Yann LeCun explique que pour lui et ses collègues, “dans les tranchées”, le danger est très lointain. Et de mettre en avant les atouts de cette puissante technologie.

L’intelligence artificielle est déjà utilisée pour la découverte de nouveaux médicaments [le laboratoire américain Merck & Co. s’en sert pour prévoir les interactions entre les molécules, ndlr] ou pour analyser des images et détecter des cancers, par exemple. On sauve des vies.

Des comités d’éthique devront être mis en place, sur le modèle des biotechnologies, mais il n’y a pas d’urgence : “On n’a pas encore mis au point les techniques de base qui nous permettraient de construire une machine vraiment intelligente. Les dangers immédiats concernent davantage l’invasion de la vie privée que l’émergence d’une armée de machines intelligentes qui décideraient de se débarrasser des humains. Mais ces dangers ne sont pas propres à l’intelligence artificielle, ils ont plutôt à voir avec le big data et l’apprentissage automatique de base.

La vampirisation de nos données, dont son entreprise est souvent accusée, lui semble pour autant à relativiser.
 

Facebook ne distribue pas les informations des utilisateurs à qui que ce soit. Il existe peut-être cette impression qu’elles sont revendues à des publicitaires, mais ces données ne sont pas observées par des humains. Ce sont les machines qui, en interne, décident quelle pub montrer.

Surtout, garantit-il, Facebook et Google “couleraient du jour au lendemain” s’ils ne protégeaient pas les données des utilisateurs. À titre personnel, Yann LeCun se méfie davantage des petites entreprises qu’on “ne connaît ni d’Ève ni d’Adam et qui traquent ce qu’on fait sur le web”.

“Flexibilité et carottes”

De la même manière, le pays d’origine des géants numériques – tous sont américains – a peu d’importance, estime le chercheur. “Ces compagnies se voient comme internationales et leur position dominante sur le marché leur permet de penser aux cinq, dix, quinze prochaines années…

D’où leurs investissements majeurs dans la recherche, dont Yann LeCun ne saurait évidemment se plaindre.
 

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S’il a conservé des liens affectifs particuliers avec son pays natal, le Français raisonne à l’échelle mondiale : il ne croit pas aux projets de clouds nationaux souverains ou de services de cartographie concurrents de Google Maps.

Le problème ne vient pas du fait que ce soit franco-français, explique-t-il, mais du fait que ces idées émanent du gouvernement. Le problème existe aussi aux États-Unis : il suffit de voir l’échec cuisant du site de l’Obamacare. Pour réussir, il faut énormément de flexibilité et des carottes pour mobiliser les gens, ce que les projets planifiés de haut en bas peinent à apporter.

Ce qu’il faudrait, en France, c’est créer le terreau, en particulier le terreau légal. Cela permettrait à des entreprises de type Facebook ou Google de démarrer. Il y a des start-up dans l’Hexagone, et des gens très intelligents. C’est encore très difficile pour eux, mais il n’y a pas de raison de penser que ça ne pourrait pas décoller.

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