“Quoi de mieux qu’une pinte pour parler science ?”

Rat de laboratoire, intello, geek… Humoristiques pour certains, ces expressions reflètent une image qui colle à la peau des chercheurs scientifiques : celle de marginaux trop sérieux. C’est à partir de ce constat qu’Elodie Chabrol, elle même chercheuse, a voulu importer des pubs d’Angleterre Pint of Science (littéralement “Pinte de science”). Le concept : faire sortir les scientifiques de leur labo pour démystifier leur profession autour d’une pinte. Histoire de faire tomber le cliché des lunettes à double foyer, des pantalons en velours côtelé et des nœuds pap’.
 

We Demain : Quels sont les clichés qui collent à la peau du scientifique ?

Élodie Chabrol : Le chercheur serait un être austère, triste et frustré, incapable de parler d’autre chose que de ses théorèmes. En Angleterre, être chercheur fait peur, mais il y a une forme de respect pour l’intelligence. En France, c’est encore pire ! Les réactions sont beaucoup plus hostiles. On est resté les intellos de la société. On agace. Et je l’ai personnellement vécu : en soirée, lorsque je dis que je suis chercheuse, on me répond systématiquement « ah ? je n’aurais jamais deviné ! ». Je suis trop « énergique », trop « sociale » par rapport aux stéréotypes. Certains sont mêmes déçus : on m’a dit un jour que c’était du gâchis de m’isoler dans un laboratoire.

Avec Pint of Science, vous tentez de questionner cette image avec de… la bière ?

L’idée c’est de faire sortir la science et ses chercheurs du laboratoire et de les mettre en contact avec le plus grand nombre de personnes. Et quoi de mieux que de se réunir dans un pub autour d’une pinte ? Avec Pint of Science, on ne veut surtout pas que ça ressemble à un cours. On propose des quizz, on offre des t-shirts, et ça ne dure que trente minutes. Il n’y a pas de jargon et les sujets sont choisis pour intéresser tout le monde : syndrome de la Tourette, les drogues, Ebola, et bientôt l’hypnose. Histoire de montrer que la science est partout dans nos vies.

Et ça fonctionne ! À la fin, des gens nous disent que ça leur donne envie de faire de la recherche. Ça décomplexe les chercheurs et ça séduit les curieux. Cependant, notre public est aujourd’hui surtout constitué à 90% par des scientifiques. Le but est maintenant d’intriguer des gens qui ne sont pas du tout du milieu.

Est ce que ce cliché n’est pas fragilisé par des séries comme Breaking Bad ou Big Bang Theory, qui ont pour héros des scientifiques ?   

Oui ça change petit à petit, mais les clichés ont la vie dure. Regardez dans Big Bang Theory, les « geeks » sont mignons, attachants, mais ils font un peu pitié. La seule fille jolie est actrice. Et dans Breaking Bad, au départ Walter White est professeur de chimie, mais il incarne les clichés du scientifique : frustré, soumis, coincé. Ce n’est qu’en devenant criminel qu’il devient attachant.
 

Le chercheur est-il le plus suspect de tous les scientifiques ?

Les gens ont accès au médecin ou au pharmacien, ils voient directement leur utilité et ils peuvent poser un visage sur la profession. Le chercheur, lui, est dans un laboratoire, on ne sait pas ce qu’il fait et on construit une représentation. Je ne compte plus les fois où on m’a lancé « un chercheur cherche, mais il ne trouve rien » avant de me tourner les talons.
 

Les prochaines soirées Pint of Science auront lieu à Paris, Lyon et Bordeaux du lundi 18 au mercredi 20 mai 2015. Plus de renseignements sur leur site internet.

Ce sujet a été repéré lors de la soirée Sparknews “Les médias, acteurs de changement” dans le cadre du Forum Mondial Convergences. 

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