Partager la publication "Red Whittaker : “Mes robots iront forer du gaz sur la lune”"
Si l’intelligence artificielle des robots leur permet un jour de créer un arbre généalogique, nul doute que les racines remonteront à l’ingénieur américain William L. Whittaker, surnommé Red – en souvenir d’une époque où il avait encore ses cheveux roux. Il y a trente ans, alors que les robots étaient cantonnés à des tâches industrielles répétitives, ce pionnier âgé aujourd’hui de 65 ans a réalisé ce qui relevait de la science-fiction : les envoyer en autonomie sur le terrain, leur confier des missions dans les endroits inaccessibles à l’homme.
Alors qu’il vient d’obtenir un doctorat en génie civil en 1979, le pire accident nucléaire de l’histoire des États-Unis se produit. Le 28 mars, le réacteur numéro 2 de la centrale de Three Mile Island, située près de Harrisburg en Pennsylvanie, subit une fusion partielle et relâche des gaz radioactifs. Depuis la prestigieuse université Carnegie-Mellon de Pittsburgh, à quelques encablures de la centrale, le jeune Red travaille à y envoyer des robots. Après trois ans de recherche, trois engins pénètrent au cœur de la centrale et rapportent des échantillons du sous-sol encore inondé, évaluent les dégâts structurels et effectuent des réparations. Avant même l’invention du GPS, ces robots sont parfaitement autonomes… et mobiles.
Red vient de créer un champ de recherche, la robotique mobile. Robots fermiers, mineurs, soldats, explorateurs, chirurgiens… Dans les laboratoires voisins, ses collègues révolutionnent les sciences de l’informatique. Bientôt, ils travailleront ensemble, faisant de Carnegie-Mellon la première université des États-Unis pour les sciences de l’informatique et de la robotique. « La grande inconnue à l’époque, c’était de savoir si l’informatique allait suivre, mais j’avais confiance », se souvient Whittaker.
Nouveaux défis
Sur sa lancée, Red et ses étudiants créent Nomad pour la NASA. Ce robot n’a pas son pareil pour localiser et étudier les météorites sur les glaces de l’antarctique. Suivront Dante II, capable d’aller chercher des données au cœur des volcans en activité, et Groundhog, robot tout-terrain cartographe, conçu après l’accident de Quecreek. En juillet 2002, neuf mineurs étaient restés prisonniers de cette mine de charbon de Pennsylvanie pendant trois jours, après avoir ouvert, à cause d’un plan inexact, une brèche communiquant avec une galerie inondée.
Fort de ces réussites, Whittaker veut ensuite envoyer ses robots dans l’espace. Dès 1991, les six immenses pattes de son prototype Ambler pouvaient gravir des blocs de roches de 1 m de hauteur, et calculer le chemin le moins accidenté grâce à un système de laser. La NASA devait l’envoyer sur Mars. Mais en 1992 l’agence spatiale s’est rétractée, décidant de privilégier la voie de l’exploration humaine, jugeant que « les robots ne seront jamais aussi flexibles que l’homme ». Ambler n’est jamais allé sur la planète rouge.
Red rappelle le programme Apollo comme étant à l’origine d’une véritable scission entre les scientifiques partisans d’une exploration robotique et ceux privilégiant l’exploration humaine. Aujourd’hui, les restrictions budgétaires jouent en faveur de Whittaker, qui reste cependant lucide : « Le problème des hommes, c’est qu’il faut les ramener. Cela implique des missions courtes, explique-t-il en levant à peine le nez de son ordinateur. Ils sont également bien moins endurants. » Mais les temps ont changé depuis Apollo. L’informatique a fait des progrès fulgurants et rendu possibles de nouveaux défis, tant techniques que financiers. Signe des temps, Whittaker espère financer l’envoi de son futur robot lunaire en gagnant le Google Lunar X Prize, un prix de 30 millions de dollars (22,5 millions d’euros) sponsorisé par le moteur de recherche californien et destiné à récompenser la première équipe privée qui enverra un robot sur la lune.
Pour relever ce défi, Red a créé une société, Astrobotic Technology, qui emploie dix ingénieurs. À l’entrée du laboratoire, on ne peut manquer le futur robot : un châssis monté sur quatre gros pneus, et des centaines de câbles et de composants électroniques dans une sorte de coffre. Posé sur le sol, un couvercle sur lequel sont apposés des dizaines de panneaux solaires viendra le recouvrir. « On fait au plus simple, explique Steven Huber, l’un des employés. C’est assez difficile comme ça d’y aller [sur la lune, ndlr], on veut que rien ne tombe en panne. » Le propulseur a le même design, massif voire trivial.
Vol vers la lune réservé pour 2015
Il s’agit en réalité d’une véritable ruche. Les ingénieurs d’Astrobotic Technology sont assistés d’une dizaine de professeurs et postdoctorant de Carnegie-Mellon, et d’une trentaine d’étudiants ou de stagiaires de passage. Le semestre dernier, les étudiants
ont par exemple conçu les rampes d’atterrissage du propulseur, qui permettront au robot d’alunir.
Et les premiers succès sont là : Red vient d’obtenir un contrat avec la NASA pour sa technologie permettant
aux pneus de ne pas s’embourber dans
le sol lunaire, extrêmement fin et collant. « La vraie sauce secrète, ce sont les logiciels, explique Steven, un petit génie timide
de 28 ans. Ça, on ne le montrerait
à personne. » Robots et logiciels sont presque prêts. Le vol à bord d’un lanceur Falcon 9 en direction de la Lune est déjà réservé pour 2015.
[Vidéo] Présentation du projet de robot lunaire d’Astrobotic Technology
Ce qui excite cet enthousiasme, c’est un trou béant de 130 m de diamètre découvert en 2009 par la sonde japonaise Selene sur une mer de la face cachée de la Lune. Un gouffre qui résulterait de l’effondrement du plafond d’un ancien tunnel de lave, et qui pourrait conduire à d’autres excavations. Pour Red, c’est « l’endroit le plus important à explorer au monde. À –30 °C ou –40 °C, c’est le seul lieu bénéficiant de températures vivables sur la Lune. Le reste est beaucoup trop chaud le jour [100 °c, ndlr] et beaucoup trop froid la nuit [– 150 °c, ndlr]. Les parois pourraient également protéger d’éventuels humains des météorites qui tombent constamment sur la Lune. »
Commercialiser le gaz lunaire
Le robot de Whittaker fera cap sur cette cavité pour la cartographier avec précision et la forer afin de prélever des échantillons des roches et des gaz qui la composent. Et ce sont surtout ces gaz qui intéressent Red, dont l’idée est, déjà, d’envoyer d’autres robots de forage un peu partout sur la lune pour analyser l’étendue et la composition de ses nappes de gaz, « exactement comme on a fait il y a quelques années en Pennsylvanie pour le gaz de schiste », précise-t-il. À terme, il veut extraire et commercialiser le gaz des trous lunaires. « Ce gaz peut servir à boire, rendant une colonisation envisageable, prophétise-t-il sans emphase. Il peut aussi servir de propulseur pour les fusées. Pour l’instant, le principal obstacle à une exploration de l’espace lointain vient de la puissance limitée des propulseurs. Il faut énormément de force pour soulever une fusée et la porter hors de la gravité terrestre. L’existence de propulseurs au-delà de la zone de gravité terrestre change la donne. »
Ce projet ressemble à de la science-fiction. Et on aurait du mal à prendre Whittaker au sérieux si tous ses projets, réputés impossibles à l’origine, ne s’étaient pas finalement concrétisés. « Je suis un pionnier », assume-t-il. S’il ne compte pas ses heures et n’a jamais pris un jour de vacances, Whittaker est néanmoins conscient de ne pas être immortel. Il espère tout de même voir « le Ford ou le Bill Gates de la robotique ». Serein, il confie : « l’avenir est entre de bonnes mains. » les mains de ses étudiants, ou des étudiants de ses anciens étudiants.
Article extrait de We Demain n°5
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