Partager la publication "Rencontre avec sept figures de la french bitcoin connection"
Bitcoin. La cryptomonnaie apparue en 2009 n’en finit pas de faire les gros titres. Il faut dire qu’en pleine crise mondiale, elle s’offre le luxe de battre des records. En avril 2021, un bitcoin vaut plus de 50 000 euros, dix fois plus que deux ans auparavant. Alors, les médias se passionnent pour l’évolution des cours.
On ne parle qu’investissement, marchés, volatilité, profits. Serait-ce l’unique vocation de Bitcoin, un joujou spéculatif ? Pas selon le vaste univers d’entreprises, d’associations et de développeurs qui concourent à le faire fonctionner ; à l’améliorer et à faciliter son adoption par le plus grand nombre. Une communauté qui voit en cette monnaie en puissance, sans autorité centrale mais dotée d’une sécurité maximum, une réelle solution aux limites de nos modèles économiques. Plusieurs de ces acteurs clés sont français. Tous témoignent d’une vraie passion pour une cryptomonnaie qui, selon eux, pourrait tout changer. Bienvenue dans l’écosystème Bitcoin français.
Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN n°34, paru en mai 2021, disponible sur notre boutique en ligne.
Promouvoir une monnaie plus saine.
Pour les “bitcoiners”, la monnaie sous sa forme actuelle n’est pas satisfaisante. La masse monétaire en circulation fluctue au bon vouloir des banques commerciales et centrales. Le dollar existe depuis deux cent vingt-neuf ans. Mais plus de 20 % de l’ensemble des dollars en circulation ont été créés rien qu’en 2020.
Et ils l’ont été via des mécanismes obscurs comme “l’assouplissement quantitatif” (une banque centrale rachète de la dette publique pour injecter de l’argent dans l’économie). Tout cela rend le système opaque pour le commun des mortels. Mais aussi imprévisible et enclin aux crises financières, estiment de nombreux acteurs de l’industrie Bitcoin.
Ils défendent une alternative reposant sur un fonctionnement connu de tous (code et blockchain sont publics). Un réseau de pair à pair et une gouvernance collégiale (aucune entreprise ou organe de contrôle). Et des mécanismes de création monétaire clairs et immuables (6,25 bitcoins sont créés environ toutes les dix minutes, une quantité divisée par deux tous les quatre ans ; il n’y aura jamais plus de 21 millions de bitcoins en circulation). Le bitcoin serait une monnaie plus saine et plus transparente, uniquement basée sur les mathématiques.
Polytechnicien, ancien directeur du développement de Canal+, puis directeur général de l’Association française du sans contact mobile (AFSCM), Pierre Noizat est un pionnier. Dès 2011, il cofonde Paymium. Le premier bureau de change de cryptomonnaies en Europe (et l’un des premiers dans le monde). Dont il est toujours le PDG. Le service permet d’acheter en toute légalité des bitcoins à partir d’euros. Il compte 220 000 utilisateurs et connaît “une forte progression”. En parallèle, Pierre Noizat développe en 2015 Diploma.report, un service gratuit permettant d’authentifier les diplômes via la blockchain Bitcoin. Il est aussi l’un des premiers à chercher à faire connaître la cryptomonnaie au travers de ses ouvrages (Bitcoin Book en 2012, Bitcoin, mode d’emploi en 2015, Bitcoin, monnaie libre en 2017). Ainsi que sur son blog.
Il insiste volontiers sur l’originalité du modèle. “La gouvernance de Bitcoin résulte des interactions entre mineurs, développeurs et utilisateurs. Qui débouchent plus ou moins rapidement sur un consensus”, explique-t-il. Mais Bitcoin se caractérise par une logique monétaire différente. Avec “une monnaie sous une forme optimisée dans un contexte de transition numérique. La monnaie-dette qui s’est imposée depuis deux cents ans jusqu’au monopole actuel connaît une concurrence salutaire, capable de mettre fin aux rentes de situation des banques traditionnelles”. Pour Pierre Noizat, Bitcoin est déjà “une réserve de valeur et un étalon monétaire, comme l’or. Mais avec des caractéristiques différentes qui en font l’attrait”. Mais il va aussi “monter en puissance en tant que réseau de paiement. Le duopole Visa/Mastercard l’a compris, et seules les banques centrales restent dans le déni de cette perspective inéluctable”.
Fournir des solutions pour préserver et gérer ses bitcoins via de simples cartes en plastique.
Dernier entrant sur le marché des solutions simplifiées pour gérer des bitcoins, son entreprise CoinPlus propose une carte en plastique qu’il suffit de scanner pour ouvrir un porte-monnaie bitcoin en bonne et due forme. L’utilisateur peut ensuite acheter par carte bancaire des bitcoins, dont il détient les clés privées. Lui seul en sera responsable. L’entreprise, créée en 2014 et dirigée par Yves-Laurent Kayan, est basée au Luxembourg. Mais les cartes sont fabriquées en France et disponibles à la vente dans l’Hexagone. Pour l’instant auprès d’une centaine de commerçants, bureaux de tabac ou maisons de la presse. Via “des supports physiques résistants et durables ”, cette solution se veut une “alternative complémentaire et d’usage simplifié” aux services en ligne comme aux porte-monnaie électroniques.
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Fournir des moyens simples et sécurisés pour stocker des cryptomonnaies.
Pour les partisans de Bitcoin, l’argent que vous détenez dans une banque ne vous appartient pas, ou pas entièrement. Il est livré au bon vouloir d’intermédiaires qui peuvent à tout moment vous en limiter l’accès. Avec un porte-monnaie Bitcoin dont il possède les clés (dit “non custodial”), l’utilisateur gagne en liberté. Il devient pleinement propriétaire de son argent. Nul ne peut le lui retirer. Et il peut envoyer ses bitcoins, à tout moment, à tout autre adresse du réseau. L’usager “devient sa propre banque”, selon la formule consacrée.
Éric Larchevêque, qui se décrit comme “serial entrepreneur depuis 1996”, a ouvert en 2014 à Paris la Maison du bitcoin (aujourd’hui Coinhouse). Un lieu d’accueil et d’échange destiné à promouvoir et à expliquer cryptomonnaie et blockchains. “Mon objectif premier était de montrer les aspects positifs et futuristes de Bitcoin pour lutter contre l’image très négative diffusée par les médias à l’époque.”
Il rencontre par ce biais d’autres entrepreneurs et fonde Ledger. Dont il sera PDG jusqu’en 2019 (il en préside toujours le conseil d’administration). L’entreprise se spécialise dans la création de porte-monnaie physiques (hardware wallets) pour gérer des cryptomonnaies ; des appareils électroniques portables (dont plusieurs au format clé USB) conçus pour détenir, envoyer ou recevoir des monnaies digitales en toute sécurité.
Leader mondial sur ce marché, Ledger, qui a bénéficié de plusieurs levées de fonds à hauteur de 70 millions d’euros, n’était pas un pari gagné d’avance. “Les plus grandes difficultés ont été la défiance générale de l’époque (2014-2016). Et l’hostilité de nombreux acteurs de la vie civile et sociale envers Bitcoin. Il fallait faire preuve d’une forte résilience pour ne pas se décourager. Alors que le prix du bitcoin était au plus bas et la courbe du chiffre d’affaires désespérément plate pendant des années”, se souvient-il. L’entreprise, dirigée par le Français Pascal Gauthier, est basée à Paris et à San Francisco, en Californie. Avec son centre de production en France, à Vierzon (Cher). Si elle a déjà vendu plus de 1,5 million de porte-monnaie crypto, 96 % de son chiffre d’affaires est réalisé à l’export et 4 % en France.
Pour Éric Larchevêque, Bitcoin s’inscrit dans une évolution logique. “Il est l’incarnation de la confiance procédurale. C’est la couche transactionnelle native de l’Internet. Il permet à des ordinateurs d’exécuter des transactions financières ou des contrats complexes sans faire appel à un système tiers, comme une banque, et de façon complètement décentralisée.” Et, pour lui, le bitcoin s’imposera comme une sorte de nouvel or numérique “quand les États commenceront à avoir des réserves stratégiques en bitcoins”.
Contribuer à sécuriser et valider les transactions.
Le mining (minage) est le processus qui sécurise le réseau de la cryptomonnaie, tout en en produisant de nouvelles unités. Pour chaque bloc de transactions, des ordinateurs s’affrontent pour résoudre, par le calcul, une sorte d’énigme mathématique. Une fois le bloc ”résolu”, il est enchaîné aux blocs précédents (d’où le nom de blockchain, chaîne de blocs) d’une façon inviolable et immuable. Pour modifier la blockchain Bitcoin a posteriori (comprenez truquer ou effacer des transactions passées), il faudrait une telle puissance de calcul que c’est en pratique impossible. Si l’on fustige souvent le minage comme un gaspillage énergivore et polluant, les mineurs assurent que la réalité est tout autre.
D’abord, insistent-ils, le minage sécurise un réseau mondial pesant 1 000 milliards de dollars. Il est donc la clé de voûte de Bitcoin et contribue à sa valeur. Ensuite, la consommation électrique du minage Bitcoin, estimée à 116 TWh par an par l’université de Cambridge (février 2021), représente 0,46 % de la production mondiale d’électricité. Comme le note l’université, dont l’index de consommation électrique du Bitcoin fait référence, “la production hydroélectrique actuelle, à elle seule, pourrait alimenter 36 réseaux comme Bitcoin”, tandis que “l’électricité annuelle consommée aux États-Unis par les appareils électroniques non allumés mais restant en veille pourrait faire tourner Bitcoin pendant deux ans”. Enfin, il peut servir à absorber les surplus d’énergie renouvelable et ainsi contribuer à l’optimisation des ressources énergétiques de la planète.
Sébastien Gouspillou, au travers de la société BigBlock Datacenter qu’il a cofondée à Nantes en 2017, est l’un des rares acteurs français du minage Bitcoin. Au départ, pour cet ancien directeur du développement d’une entreprise asiatique d’agriculture industrielle, il s’agissait de “partir en reconnaissance” sur une activité nouvelle où “se projetaient de multiples fantasmes”. La démarche le conduit à établir des partenariats avec des fournisseurs d’électricité, d’origine hydroélectrique, en Asie centrale (Kazakhstan) ou en Afrique.
“J’ai découvert une industrie en capacité de devenir un régulateur de la carte électrique mondiale, et ma mission s’est transformée”, résume-t-il. Regrettant “le vacarme d’une presse qui se fait l’écho d’analyses ridiculement alarmistes et de préjugés sur la pollution du minage”, il martèle que “le minage n’est pas un gaspillage, mais utilise, au contraire, une énergie qui serait gaspillée sans Bitcoin”.
Avec une vision claire sur le devenir de la principale cryptomonnaie : “Dans dix ans, le bitcoin se sera imposé comme l’étalon monétaire mondial. Bitcoin lightning permettra des paiements non seulement instantanés, mais aussi continus et en temps réel, positionnant Bitcoin comme le premier réseau de paiement du monde.”
Fédérer les acteurs du secteur pour ériger la France et l’Europe en territoires majeurs d’innovation.
Créée en janvier 2020, l’ADAN (Association pour le développement des actifs numériques) a l’ambition de “fédérer les acteurs du secteur des crypto-actifs et de la blockchain pour ériger la France et l’Europe en territoires majeurs d’innovation”. L’association regroupe une soixantaine d’acteurs des cryptomonnaies et des technologies blockchain. Son président, l’avocat Simon Polrot, y défend Bitcoin, tout en s’inquiétant de la frilosité des instances européennes.
“Ce qui se passe sur les stablecoins USD [des cryptomonnaies au cours stable dont les unités valent toujours 1 dollar, ndlr] est significatif : 30 milliards de dollars ont été “tokénisés” [digitalisés, ndlr] par l’industrie crypto sous la supervision des régulateurs américains. Pendant ce temps, l’Europe prend peur sur fond de souveraineté et de stabilité financière et veut freiner ou bloquer leur déploiement, y compris pour l’euro, en promettant une solution “made in Europe” pour dans… cinq ans. Est-ce vraiment réaliste ou souhaitable ?”, commentait-il sur Twitter en février.
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