“Avez-vous déjà passé un entretien d’embauche avec un robot ?” La voix douce émane d’un buste à échelle humaine, posé sur une table. Le visage est translucide, l’air avenant. Ce “social robot” pourrait être votre prochain recruteur. Baptisé “Tengai Unbiased” (“Tengai sans biais”), il a été conçu pour effectuer un premier tri parmi les candidats, en n’évaluant que leur potentiel de travail et leurs compétences, sans subjectivité.
Né en 2015 d’un projet de recherche au KTH, l’Institut royal de technologie de Stockholm, il a été développé en 2018 par Furhat, une start-up spécialisée en “social robotics”, en collaboration avec l’un des plus grands cabinets de recrutement suédois, TNG. L’humanoïde a déjà mené 130 entretiens tests dans les bureaux de TNG depuis décembre dernier. Mais dès le mois de mai, le robot pourrait conduire de vrais entretiens d’embauche : l’enquête de suivi des tests a montré que 76 % des candidats virtuels ont recommandé son usage, à la place d’un recruteur humain.
“Les recrutements sont souvent basés sur des idées préconçues et des préjugés, explique Gabriel Skantze, professeur au KTH et co-fondateur de Furhat Robotics, dans le blog créé par TNG au lancement du projet, Réduire le caractère arbitraire du recrutement est important pour l’entreprise, mais c’est aussi une question de justice pour les personnes victimes de parti pris, qui risquent de ne pas obtenir le travail auquel elles étaient aptes.”
Une étude effectuée par le cabinet TNG pointe les discriminations diverses que disent avoir subi 73 % des chercheurs d’emploi évincés d’un processus de recrutement : origine ethnique, âge, genre, préférences sexuelles, apparence, poids, santé ou handicap.
“Il est très difficile de contrôler les processus inconscients qui affectent notre comportement et qui pourraient non seulement biaiser l’évaluation du candidat, mais également la manière dont l’entretien est conduit, ce qui, à son tour, affecte le comportement du candidat et par conséquent la façon dont il est perçu par le recruteur ou le responsable de recrutement”, analyse Gabriel Skanze.
Tengai Unbiased intervient seulement lors des premières étapes du processus d’embauche, quand l’entretien vise à évaluer les aptitudes et les compétences du candidat. La part subjective n’est pas éliminée de l’évaluation, mais repoussée aux étapes ultérieures. Les mêmes questions sont posées de la même manière à chaque candidat, sur le même ton bienveillant et généralement dans le même ordre.
“Parlez-moi d’une situation de travail au cours de laquelle vous avez trouvé difficile de travailler avec des collègues, au sein d’une équipe, au cours d’un projet, et pourquoi vous l’avez trouvé difficile…” Si la réponse est floue, le robot demande au candidat de préciser. Il l’encourage de légers sourires et ponctue les réponses de hochements de tête ou de “hum…hum” attentifs.
Le robot vise aussi à alléger la charge de travail des recruteurs. Au fur et à mesure de l’entretien, il enregistre le discours du candidat qu’il convertit en texte, en temps réel. Aucune autre variable n’intervient, accent ou ton de la voix. Recruteurs et managers reçoivent ensuite les retranscriptions de chaque interview pour décider quels candidats doivent passer à l’étape suivante du process. Plus tard, si la machine devient suffisamment sophistiquée, elle pourra les sélectionner seule, en suivant le cahier des charges des compétences requises pour le poste.
Faut-il y voir le projet “effrayant” que souligne le podcasteur et écrivain américain Joel Cheesman, dans un article ? La start-up Furhat assure le contraire dans son slogan : “un monde où la technologie est plus humaine”. “Le robot n’intervient qu’à une étape du processus, relativise Marina Lévy-Rueff, consultante RH spécialisée en management et diversité. Ce que je trouve intéressant dans le fait qu’un entretien structuré soit mené par un robot, c’est que les questions sont identiques pour tous les candidats et posées exactement de la même manière. Mais à supprimer certains biais, on pourrait en rajouter d’autres, comme éliminer tous les profils atypiques. C’est dommage, quand l’outil permet de recevoir plus de candidats, et d’élargir la diversité des profils.”
Pour l’instant, Tengai Unbiased ne mène ses entretiens qu’en suédois. Une version anglaise du robot devrait voir le jour en 2020. D’ici là, recruteurs et développeurs continuent de doper son intelligence artificielle pour qu’il ne connaisse pas le destin de Vera, la DRH virtuelle plébiscitée puis virée au bout de quelques semaines par ses employeurs. Ou celui du robot recruteur d’Amazon, taxé de misogynie. C’est le risque, quand les ressources humaines se retrouvent gérées par des robots.
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