Partager la publication "Neuf inventions nées aux Pays-Bas qui ont conquis le monde"
Patrie du vélo, du maraichage urbain et des coffee-shops, les Pays-Bas ont aussi une riche histoire faite d’innovations et de découvertes, souvent nées d’un savant mélange de contraintes et d’ingéniosité. Publié en accès libre sur internet, en attendant une édition imprimée, l’essai Bleue comme une orange revient sur ces inventions constitutives du monde moderne qui permirent aux Néerlandais de révolutionner l’agriculture et d’artificialiser leur territoire, d’inventer la spéculation et le moulin à vent, de conquérir les mers ou de dominer le commerce mondial.
Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN n°32. Un numéro disponible sur notre boutique en ligne.
Ses auteurs ? TomJo, TomJo, journaliste lillois pour La Brique, Lundi matin, CQFD et auteur de L’Enfer vert – Un projet pavé de bonnes intentions (éd. L’Échappée, 2013), avec le collectif grenoblois Pièces et main d’œuvre. Actif depuis 2000, cet “atelier de bricolage pour la construction d’un esprit critique” a également fait paraitre plusieurs livres aux éditions L’Échappée : Terreur et possession – Enquête sur la police des populations à l’ère technologique (2008), L’industrie de la contrainte (2011), Techno – Le son de la technopole (2011) et Sous le soleil de l’innovation, rien que du nouveau ! (2013).
Avec eux, découvrons comment ce peuple de paysans, de marchands et d’ingénieurs est parvenu à “orangiser” le monde ! Extraits choisis.
En 1609, Dirck van Os, un riche marchand d’Amsterdam, co-fondateur de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, finance l’expédition de l’Anglais Henry Hudson. Celui-ci espère ouvrir un passage vers les Indes orientales. Il découvre à la place l’actuelle baie de New York… En 1624, la région devient une possession néerlandaise et une trentaine de familles protestantes y fondent une colonie, la Nouvelle-Amsterdam, alors capitale de la Nouvelle-Néerlande. Il s’agit aujourd’hui de New York. “Wall Street n’était autre que Waal Straat (rue wallonne), Brooklyn et Harlem des références aux villes néerlandaises de Breukelen et Haarlem. La Grosse Pomme faillit être une Grosse Orange.”
Traversés au sud par la Meuse et l’Escaut, au nord par le Rhin, la côte longtemps inondée par les marées de la Mer du Nord, les Pays-Bas sont un territoire littéralement gorgé d’eau, un delta marécageux dont le tiers s’étend sous le niveau de la mer. “Cela fait vingt siècles que cette géographie amphibie régit l’organisation de l’habitat, des transports, de l’agriculture, de la vie quotidienne. Depuis que les Romains apportèrent l’art des digues et des canaux.” Sur ce pays boueux et détrempé, les paysans élevèrent d’abord des tertres, “des mottes de terre, pour y mettre au sec leurs bêtes et leurs maisons”. Plus tard, ils développèrent la technique du polder, littéralement une “terre endiguée”, dont l’eau est drainée et extraite grâce à des pompes mécaniques actionnées par des moulins à vent (poldermolen). Dès le viiie siècle, des polders maritimes redessinent les côtes néerlandaises. “Entre le XIIIe et le XXe siècle, 520 000 hectares (l’équivalent du département du Nord) sont conquis sur la mer.” Autant de nouvelles terres artificielles à exploiter et cultiver !
En 1593, une plante ramenée de Constantinople est cultivée pour la première fois, à Leyde, par le botaniste flamand Charles de L’Écluse : la tulipe. Les bourgeois néerlandais, alors passionnés d’horticulture, “s’en arrachent les hybrides et nouvelles variétés, qu’ils plantent dans leur jardin ou le long des canaux”. Un marché spécifique se développe et déjà, la tulipe s’achète avant récolte ! Un nouvel instrument financier est même inventé : le contrat à terme. “En 1637, les spéculateurs achètent plus de tulipes qu’il ne s’en vendra finalement. Le seul bulbe atteint l’équivalent de quinze ans de salaire d’un artisan, avant de voir son prix s’effondrer. Les Néerlandais qualifient alors le contrat à terme de windhandel, littéralement “commerce du vent”. On considère cette “tulipomanie” comme la première crise d’hystérie spéculative de l’histoire.”
Tandis qu’armateurs et marchands étendent leur domination commerciale sur les mers du globe, les juristes hollandais “posent les bases d’un droit international toujours en vigueur aujourd’hui”. Son principal artisan, Hugo Grotius, élabore deux concepts majeurs dans son libelle De la liberté des mers, au début du xviie siècle : les eaux internationales et la liberté du commerce. S’il s’agit d’abord de contrer l’hégémonie des Espagnols et des Portugais sur les routes vers l’Asie, Grotius convoque des textes religieux et justifie les bienfaits du commerce mondialisé pour répandre la paix. En bref : “Voici la liberté du commerce mondial bénie de Dieu, deux siècles avant les théories des avantages comparatifs et du libre-échange de Ricardo.”
Entre les xiie et xiiie siècles, les Flandres sont déjà l’un des territoires les plus peuplés d’Europe. Les bras pour les travaux des champs sont nombreux et les surfaces cultivables – gagnées sur la mer ou les marais – limitées. “Le développement de l’agriculture ne peut plus alors être extensif, il doit être intensif, c’est-à-dire innovant.” Les paysans flamands du xie siècle décident d’abord de passer d’un assolement biennal à triennal (alternance de trois cultures sur un même terrain) et de supprimer la période de jachère. Pour le travail aux champs, ils remplacent le bœuf par le cheval. S’il est plus puissant, ce dernier a aussi besoin de plus de fourrages. Alors on cultive des plantes oléagineuses et fourragères entre les récoltes (pois, vesces, fèves, trèfles, navets) qui fixent l’azote et enrichissent la terre. Le bétail bénéficie d’une alimentation riche et les troupeaux prospèrent. L’engrais produit par les bêtes – et par les villes en plein essor – permet à son tour d’enrichir les sols et d’intensifier les rendements. “La boucle est bouclée, le cercle agricole est vertueux.”
À partir du xviie siècle, le secteur agricole néerlandais, devenu le plus productif d’Europe, “mobilise à peine 40 % de la main-d’œuvre.” Les paysans se spécialisent dans les productions à forte valeur ajoutée (colza, houblon, tabac, lin, chanvre, etc.). Les céréales, gourmandes en espace, sont importées. Les produits plus luxueux, nécessaires au textile notamment, sont exportés. Les Pays-Bas entrent alors dans l’économie de marché et dès le xiiie siècle, une proto-industrie s’y développe, avec ses premières usines. L’industrie textile est florissante et sert de tremplin à un capitalisme marchand dominé par les commerçants drapiers. Dans les villes industrielles flamandes, “la division sociale du travail s’applique déjà entre les producteurs de matières premières, les artisans domestiques et les marchands.” Une division technique s’organise aussi en plusieurs lieux d’Europe : “Cinquante opérations sont nécessaires, du lavage de la laine jusqu’à la teinture, en passant par le filage, le tissage, le foulage.” Au cours du XVIIe siècle, les produits du monde entier transitent par les ports hollandais. “ La Hollande du Siècle d’or n’a pas inventé l’économie de marché ni le capitalisme, qui existaient déjà en Flandre, en Italie ou en terre d’islam, mais elle les porte au stade global et politique.”
Si l’Histoire a fait d’un Allemand, Gutenberg, l’inventeur de l’imprimerie, elle dit moins qu’il eut un concurrent direct : le Néerlandais Coster. “Il n’empêche que l’imprimerie flamande, puis hollandaise, domine l’Europe dès la fin du XVe siècle“. Censurés ou mis à l’Index par l’Église, des penseurs de toute l’Europe, comme Galilée, Montesquieu, Descartes ou Hobbes, trouvent aux Pays-Bas un refuge pour leurs œuvres. Installée à Rotterdam et à Leyde, la famille Elzevier édite à elle seule près de 2 200 livres entre 1583 et 1712 !
L’intensification agricole et l’industrialisation favorisent l’émergence d’une bourgeoisie marchande qui se lance très tôt dans le commerce au long cours, celui des draps, laines et épices. “Ces bourgeois sont des navigateurs. Leurs villes, de Calais à Rotterdam, des ports.” Les marchands néerlandais commercent déjà avec toute l’Europe quand, à la fin du xve siècle, les grandes puissances maritimes se lancent dans une conquête effrénée du monde. Pour s’imposer face aux flottes portugaise, espagnole et anglaise, les riches marchands et armateurs néerlandais se regroupent en 1602 et fondent la “VOC”, Vereenigde Oost-Indische Compagnie (Compagnie néerlandaise des Indes orientales), première multinationale par actions du monde. En 1609, la VOC souscrit au capital de la Banque d’Amsterdam, qui devient alors la première banque nationale du monde, grâce à sa discrétion à toute épreuve sur les transactions et dépôts. “Une discrétion toujours en vigueur, alors que les Pays-Bas, suivant l’ONG internationale Oxfam, demeurent aujourd’hui le troisième paradis fiscal après les Bermudes et les iles Caïman.”
“Tout le monde connait Center Parcs, ces simulacres de villages et de paysages. Une nature en kit, avec ses faux arbres, ses faux plans d’eau et ses bungalows en bois de cagette.” Cette “créature néerlandaise” est l’œuvre du néerlandais Piet Derksen, qui commença dans les années 1960 par commercialiser des tentes et du matériel de camping “pour ses compatriotes estivants en Ardèche”. À présent propriété du groupe français Pierre & Vacances, la société propose trente Center Parcs dans le monde, dont vingt-quatre situés dans l’Union européenne. Un trente-et-unième devait voir le jour en 2017 à Roybon, dans l’Isère. C’était sans compter sur la farouche opposition de riverains, qui ont refusé de “vendre la nature aux touristes pour quelques boulots de merde dans l’hôtellerie”. Ici, pour un temps au moins, “l’orangisation du monde” attendra.
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