Partager la publication "Arctique : quand les États privilégient l’argent à la protection de l’environnement"
Encore une journée de navigation et nous quittons le Canada pour entrer aux États-Unis. La présence des officiers US de l’immigration qui viennent à bord tamponner nos passeports, nous rappelle que l’Arctique — contrairement à l’Antarctique, préservé de toute activité militaire, des déchets nucléaires, libre pour la recherche scientifique internationale et territoire de protection pour la flore comme la faune depuis la mise en place du Traité de 1959 — subit les pressions territoriales de tous les pays qui le bordent.
Or, avec le réchauffement climatique, l’épuisement des hydrocarbures et les nouvelles tensions Est-Ouest, ces pressions connaissent une spectaculaire intensification.
Notamment sur la circulation maritime; la fonte estivale de la banquise, de plus en plus radicale et longue, libérant les passages du Nord-Ouest bordant le Canada et les États-Unis et du Nord-Est bordant la Norvège et la Russie.
Pour les navires reliant la Chine, le Japon, la Corée du Sud ou Taïwan et l’Europe, la route maritime du Nord peut présenter des avantages économiques dépassant le million de dollars par voyage de cargo, du fait des réductions des délais d’acheminement, des coûts en carburant, des salaires, des taxes dues pour franchir les canaux, auxquels s’ajoute l’absence de contraintes de largeur et de tirant d’eau imposées par la traversée des canaux.
Les deux passages du Nord-Ouest et du Nord-Est aboutissent au détroit de Béring , où le trafic a plus que doublé entre 2008 (220 navires) et 2012 (480 navires).
La partie Est semble nettement plus susceptible de se développer que la partie Ouest, en raison des acquis de l’époque soviétique. À la fin des années 80, le trafic annuel frôlait les sept millions de tonnes. Ce qui n’a jamais été le cas à l’ouest du détroit.
Les routes du nord présentent des difficultés climatiques et de navigation
Elle est en train de se renforcer considérablement avec la construction des trois plus gros brise-glaces du monde, l’Arktika, en passe d’être lancé, le Sibir et l’Ural.
Néanmoins dans la réalité, même du côté russe, il n’est en fait pas question de faire de l’Arctique une zone de passage remplaçant les routes du Sud. Le développement bien réel du côté Nord Est du trafic est presque exclusivement lié à l’exploitation des ressources régionales.
Les coûts importants des navires brise-glace ou à coque renforcée, les coûts d’assurance beaucoup plus élevés, mais aussi les difficultés climatiques et de navigation limitent les bénéfices espérés en empruntant ces routes.
Une carte maritime fiable des passages arctiques n’existe toujours pas. Une entreprise, chargée d’établir une cartographie des profondeurs, a dû mobiliser cinq navires. Avec de tels effectifs, établir une cartographie complète de la zone prendrait, selon elle, 200 ans. Elle serait sujette à révision, car le fond des mers arctiques se déforme sans cesse.
Le 8 décembre 2004, un navire malaisien transportant des céréales s’échouait, à cause d’une panne de moteur en pleine tempête, sur une île au large du nord de l’Alaska : six personnes ont perdu la vie et plus d’un million de litres de carburant se sont déversés dans la mer.
Selon le bureau canadien de la sécurité des transports, vingt-quatre accidents se sont produits entre 2004 et 2009. En novembre 2007, le navire de tourisme MS Explorer, pourtant à coque renforcée, a heurté un growler — un morceau d’iceberg ne dépassant pas trois mètres — et a coulé dans les eaux antarctiques.
L’Arctique : une importante réserve de pétrole, de gaz et de minerais
Elles représentent 13 % des stocks mondiaux de pétrole et 30% de gaz. Elle est également une réserve de ressources minières : nickel, fer, zinc, cuivre, or, diamants, uranium, terres rares…
Mais les conditions d’extraction restent très difficiles, coûteuses avec des risques écologiques considérables. Une marée noire ou des fuites toxiques, déjà très mal gérées dans des régions moins difficiles, seraient ingérables et dévastatrices dans les régions arctiques.
Prendre les risques d’accidents du type Exxon Valdez ou de la plateforme du golfe Mexique apparaît inconcevable dans ce milieu très isolé et très fragile.
Malgré le succès de Prudhoe Bay, au nord de l’Alaska, qui a assuré 8% de la production totale américaine jusqu’en 2006 avant de connaître une phase de déclin et deux fuites, le président Obama et le gouvernement canadien ont décidé de condamner durablement la possibilité de nouveaux forages. Il semble peu probable que l’administration Trump parvienne à détricoter cette protection.
Mais il n’a pas encore été exploité en raison, notamment, de sa profondeur.
Il est situé à 500 km des côtes, ce qui interdit l’emploi d’hélicoptères pour assurer la rotation des personnels et le ravitaillement. Il oblige à construire un gazoduc sous-marin de 500 km de long, dont la construction se heurte à des difficultés considérables.
Les investissements déjà réalisés, avant toute exploitation, avoisinent les 30 milliards de dollars et de nombreuses compagnies, dont Total, ont jeté l’éponge. La rentabilité d’investissements aussi risqués est loin d’être démontrée.
Ce qui ne semble pas décourager des projets encore plus controversés et onéreux, comme celui de Prirazlomnaïa, première plateforme sur plateau continental arctique, rendue célèbre par le raid de Greenpeace.
A Red Dog, située à moins de 100 km de la mer des Tchouktches, en Alaska, l’une des plus grandes mines de zinc, il faut stocker le minerai une grande partie l’année. Son évacuation par le port n’est possible qu’une centaine de jours par an. Le reste de l’année, le lieu n’est accessible que par de petits avions.
Dans les Territoires du Nord-Ouest canadien, les mines de diamant de Diavik et Ekati ne sont accessibles que très difficilement l’été, en raison de la fonte du permafrost qui fait s’enfoncer les camions. Une route d’hiver reconstruite chaque année entre novembre et Janvier passe à 85 % sur des lacs gelés et ne reste ouverte que huit semaines par an.
Norilsk : l’une des dix villes les plus polluées au monde
La ville, créée par Staline et centrée sur les activités minières (après avoir été aussi le centre des goulags, où 16 806 prisonniers mis au travaux forcés ont péri) est l’une des seules au monde à être construite sur du permafrost.
La température peut descendre jusqu’à moins 50 degrés l’hiver. Aussi, l’évacuation des minerais par train, puis par bateau ne peut se faire que l’été.
Norilsk est l’un des plus gros émetteurs au monde de dioxyde de carbone. Le dioxyde de soufre largué par les industries entraîne des pluies acides qui détruisent massivement les forêts. Il s’agit de la ville la plus polluée du pays, selon le service statistique national de la Fédération de Russie. Le Blacksmith Institute l’a classé en 2007 comme étant l’un des 10 sites les plus pollués du monde.
37 % des maladies infantiles et 21,6 % des maladies qui touchent les adultes sont attribuables à la pollution atmosphérique. L’espérance de vie y est inférieure de dix ans par rapport aux autres régions de Russie, alors que l’espérance de vie russe est l’une des plus basses de tous les pays développés. Suite aux rapports internationaux, les industriels ont fait des efforts pour réduire la pollution, mais la tâche reste énorme.
Nadezhda Tolokonnikova, une des membres des Pussy Riot est originaire de Norilsk.
Les polluants émis dans le monde se retrouvent dans les régions froides du monde
Les Groenlandais craignent, à raison, les conséquences de ces exploitations sur leur santé et leur mode de vie. Ils ont donc exiger des normes environnementales sévères.
La préoccupation environnementale en Arctique est d’autant plus justifiée que, même en l’absence de pollution locale, la région arctique — du fait des grands courants marins et aériens mondiaux — est la destination de nombreux polluants transportés sur de longues distances.
Les polluants émis dans le monde s’élèvent dans les couches supérieures de l’atmosphère dans les régions chaudes et se condensent et redescendent sur les régions froides. C’est pourquoi leur concentration dépasse en certains endroits celle que l’on trouve près des villes densément peuplées. En émettre localement va avoir des conséquences aggravantes sur la santé des humains comme des animaux.
On comprend donc les hésitations des responsables politiques, au Groenland comme au Nunavut, et les protections récentes mises en place par les gouvernements des États-Unis et du Canada. Il semble, cependant, que pour les Russes, le poids des intérêts économiques écrase ceux de la santé et de l’écologie; les Norvégiens semblant adopter une position intermédiaire.
Jean-Paul Curtay.
La question du passage du Nord-Ouest : un enjeu réellement stratégique entre Canada et États-Unis ?
http://revel.unice.fr/psei/index.html?id=1057
La Russie commence à extraire du pétrole en Arctique
http://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRKBN0D40D920140418
L’Arctique ne sera pas de sitôt une grande route maritime
https://reporterre.net/L-Arctique-ne-sera-pas-de-sitot
L’exploitation des ressources naturelles du sous-sol dans l’Arctique : vers une rapide expansion ?
http://counterdimension.free.fr/Robin/pole/art_f_lasserre_ressources2.htm
Mining Diamonds in the Canadian Arctic : The Diavik Mine
www.gia.edu/gems-gemology/summer-2016-diamonds-canadian-arctic-diavik-mine
Mining in Greenland – a country divided
www.bbc.com/news/magazine-25421967
135 000 personnes affectées par la pollution de l’industrie lourde à Norilsk
www.goodplanet.info/photo/2015/07/03/135000-personnes-affectees-par-la-pollution-de-lindustrie-lourde-a-norilsk/
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