Dans la dernière mer de l’Océan Arctique, un refuge pour les morses

De l’Islande à la péninsule antarctique, Jean-Paul Curtay est parti en “croisière-expédition” autour des nouvelles routes maritimes rendues possibles suite à la fonte des glaces. Chaque semaine, il la raconte à We Demain.

Depuis que nous sommes sortis de l’Archipel arctique, les parcours en mer, maintenant la mer de Beaufort, s’allongent. Débarquement sur l’île Herschel, dans le Yukon, fief des Inuvialuits, investi par les baleiniers et finalement remplacés par les rangers et les scientifiques.

Deux boeufs musqués, qui malgré leur nom sont des sortes de chèvres géantes, sont aperçus de la plage qui est jonchée d’une quantité considérable de bois flotté avec lequel plusieurs bâtiments ont été échafaudés par les Inuvialuits. Ils ressemblent plutôt à des bisons avec leur tête placée très bas, surmontée d’une épaisse coiffe de cornes avec lesquelles les mâles entrent dans d’impressionnantes collisions frontales. Ils sont couverts d’une véritable montagne de laine qui redescend en rideaux vers le sol. Elle s’agite avec le vent.

Des baraquements de la station baleinière ont été transformés en petits “musées” permettant de voir les ossements de baleines franches du Groenland et de bélugas. On peut également y admirer les fourrures des animaux de la région : phoque, rat musqué, castor et renard arctique. La laine de bœuf musqué, dont les Inuvialuits bourrent leurs bottes pour garder le bout de leurs pieds au chaud, est aussi exposée.

Le miracle de l’Arctique

À 4 heures du matin, le commandant annonce une aurore boréale. Sur le pont, il faut s’agripper aux rambardes tellement le vent est puissant. Une tache verte qui s’étend en aura, semble exploser et se transforme en une longue langue.

Le lendemain, dans la dernière mer de l’océan Arctique, la mer des Tchoutchkes, la banquise réapparaît. Le navire s’arrête : trois baleines du Groenland sont en train de dormir, côte à côte. Elles ne vivent que dans l’Arctique et sont les seules à pouvoir casser la glace. Elles supportent bien le froid grâce à la plus épaisse couche de graisse de tous les mammifères marins, pouvant faire un mètre d’épaisseur.

Pourtant, cela a failli leur être fatal. En effet, après avoir été harponnées, elles flottaient et fournissaient énormément d’huile. Certains spécimens peuvent peser jusqu’à 100 tonnes. Aujourd’hui, c’est émouvant de voir ces rescapées de l’extinction vivre enfin une vie tranquille.

Un animal craintif

Le jour suivant, le pilote des glaces repère un morse dans le brouillard. Une fois le bateau plus proche, il se dresse comme une otarie sur ses pattes avant et met en mouvement son énorme masse brune avec une rapidité surprenante. Il rentre dans l’eau, ce qui fait se rompre la bordure de la plaque de banquise. Un peu plus tard, c’est une douzaine d’entre eux qui sont tassés les uns contre les autres.

Certains sont bruns, d’autres roses. “Leur peau est très vascularisée, les roses sont en vasodilatation”, précise la naturaliste.
 

“Ce sont toutes des femelles. Les femelles ont aussi des défenses, moins longues que celles des mâles. Les mâles, eux, sont rassemblés plus au sud en ce moment”, continue-t-elle.

Panique générale

De nouveau, l’approche du bateau déclenche une agitation. Les têtes se relèvent, se tournent, les corps se soulèvent et toutes se laissent glisser dans l’eau. Elles se bousculent les unes les autres, laissant derrière elles une plaque noircie par leurs excréments sur laquelle s’empressent de venir se poser des goélands.

Plus on avance et plus il y en a. Maintenant deux plaques de banquise sont occupées. La première est saturée par une quarantaine de morses. Et même scénario : les têtes se tournent dans un sens, dans l’autre et les reptations massives finissent en plongeons successifs. Elles ont l’air plus inquiètes, tournant la tête avec un œil écarquillé, injecté de sang. On distingue bien leurs vibrisses. Dans l’affolement, l’une donne une claque à sa voisine. Plusieurs disparaissent sous l’eau, agitant leur large nageoire caudale caoutchouteuse. Mais cette fois-ci, l’une des plus grosses est restée seule sur la plaque, nous regardant passer placidement.

Un solide appétit

Avant le dîner, nous avons droit à un débriefing. Cette fois-ci avec Delphine Aurès, la naturaliste qui anime la série “Loin du Monde” sur Canal + et France 5. “Les défenses des morses, les seuls phoques à en avoir, peuvent servir à se défendre, surtout contre les ours polaires, plus rarement à tuer les autres phoques dont ils ne mangent que le gras… De quoi se nourrissent-ils surtout ? De coquillages bivalves, de vers marins détectés par leurs vibrisses sur le fond vaseux. Ils en absorbent la chair (autour de 40 kg par jour) par des succions très puissantes.”

“Les individus avec les plus grandes défenses occupent les places privilégiées sur les échoueries. Mâles et femelles vivent séparés, probablement pour protéger les petits, qui sont allaités au minimum 2 ans, des écrasements. Ils vivent entre 40 et 45 ans, s’ils ne se font pas écraser lors d’une évacuation massive, plusieurs milliers de morses pouvant être tassés sur une plage”, poursuit-elle.

Jean-Paul Curtay.

Pour en savoir plus :

Documentaire sur l’Ile Herschel
https://vimeo.com/73013007

Documentaire sur les bœufs musqués
www.youtube.com/watch?v=hamNdUp11t4

Morses au Spitzberg
www.youtube.com/watch?v=5ZaSZuYNViY

http://ecologie.blog.lemonde.fr/2014/10/01/en-alaska-35-000-morses-se-refugient-sur-une-plage-faute-de-banquise/

Vocalisations des morses
www.youtube.com/watch?v=OAVL61yeCYs

Loin du monde : Rendez vous a Ittoqqortoormiit  avec Delphine Aurès
www.youtube.com/watch?v=gyHj8Oj7DZI
 

Jean-Paul Curtay, a commencé par être écrivain et peintre, au sein du Mouvement Lettriste, un mouvement d’avant-garde qui a pris la suite de Dada et du surréalisme, avant de faire des études de médecine, de passer sept années aux États-Unis pour y faire connaître le Lettrisme par des conférences et des expositions, tout en réalisant une synthèse d’information sur une nouvelle discipline médicale, la nutrithérapie, qu’il a introduite en France, puis dans une dizaine de pays à partir des années 1980.

Il est l’auteur de nombreux livres, dont Okinawa, un programme global pour mieux vivre, le rédacteur de www.lanutritherapie.fr, et continue à peindre et à voyager afin de faire l’expérience du monde sous ses aspects les plus divers.

Recent Posts

  • Découvrir

Tout comprendre au biomimétisme : s’inspirer du vivant pour innover

Le biomimétisme, ou l'art d'innover en s'inspirant du vivant, offre des solutions aussi ingénieuses qu'économes…

9 heures ago
  • Déchiffrer

Christophe Cordonnier (Lagoped) : Coton, polyester… “Il faut accepter que les données scientifiques remettent en question nos certitudes”

Cofondateur de la marque de vêtements techniques Lagoped, Christophe Cordonnier défend l'adoption de l'Éco-Score dans…

1 jour ago
  • Ralentir

Et si on interdisait le Black Friday pour en faire un jour dédié à la réparation ?

Chaque année, comme un rituel bien huilé, le Black Friday déferle dans nos newsletters, les…

1 jour ago
  • Partager

Bluesky : l’ascension fulgurante d’un réseau social qui se veut bienveillant

Fondé par une femme, Jay Graber, le réseau social Bluesky compte plus de 20 millions…

2 jours ago
  • Déchiffrer

COP29 : l’Accord de Paris est en jeu

À la COP29 de Bakou, les pays en développement attendent des engagements financiers à la…

3 jours ago
  • Déchiffrer

Thomas Breuzard (Norsys) : “La nature devient notre actionnaire avec droit de vote au conseil d’administration”

Pourquoi et comment un groupe français de services numériques décide de mettre la nature au…

4 jours ago