J’ai visité la Singularity University, là où l’on innove sans réfléchir aux conséquences

Un leader ne prédit pas le futur, il l’écrit ! Voici en substance ce que l’on apprend à l’Université de la Singularité, dans un hangar de la Nasa à San José, Californie.
 
Durant l’Executive Program qui dure 6 jours, à raison de 10 heures par jour, avec 98 personnes de 36 nationalités différentes, on voit défiler les intervenants venant ouvrir nos chakras concernant les technologies de demain : intelligence artificielle, Internet des objets, neurosciences, blockchain, biologie digitale, robotique, exonomics, nanotechnologies, etc. Avec aux commandes le controversé Ray Kurzweil qui ne veut rien de moins que vaincre la mort. 

Ce qui m’est apparu très rapidement est que la question à poser n’est pas de savoir laquelle de ces technologies va le plus impacter notre futur, mais plutôt de savoir quand et comment leur convergence va radicalement changer le monde que nous connaissons aujourd’hui !
 
Un monde dans lequel la mort ne sera plus qu’une hypothèse, nos consciences seront téléchargeables dans le cloud, et choisir son super-pouvoir sera aussi compliqué que de commander un ouvrage sur Amazon. 

Et si nous vivions dans la caverne de Platon ?

Après chaque intervention, j’apprécie d’aller poser quelques questions aux intervenants. Je vais parler à Jody Medich après qu’elle nous ait parlé de réalité étendue – incluant réalité augmentée et réalité virtuelle – et expliqué que celle-ci décuplerait nos capacités cognitives, sensitives. Elle nous permettrait aussi de vivre des expériences plus vraies que nature, littéralement inconcevables autrement (comme voler dans les airs).
 
Elle nous apprend à force de démonstrations que le cerveau ne faisant pas la différence entre réel et imaginaire, il peut – par exemple – “réveiller” certains muscles supposément endormis à jamais. Elle nous explique également que l’on vit déjà dans une simulation puisque ce n’est pas la réalité que l’on voit (Matrix, vous avez dit Matrix ?) mais l’image recréée et projetée dans notre cerveau.  

Je lui pose alors cette simple question : “Mais finalement, pourquoi un gamin au quotidien morose ne déciderait-il pas de ne plus quitter cette réalité virtuelle ?”. Ce à quoi elle m’a répondu laconiquement : “Il trouvera la réalité d’autant plus intéressante qu’il a une alternative“.
 
Je reste sur ma faim… Je tente une autre approche : “Comment accompagne-t-on l’utilisation de ces technologies pour s’assurer qu’elles n’aient pas d’effets négatifs sur le développement cognitif et comportemental de l’enfant ? “. La réponse est encore plus lapidaire : “C’est comme les jeux vidéo, les parents n’ont qu’à surveiller”. Je reste un peu circonspect. 

Poser les bonnes questions

Pablos Holman, inventeur de son état, nous explique quant à lui que ne rien connaître d’un domaine est un avantage majeur pour le “disrupter” puisque le plus gros obstacle au changement réside dans notre capacité à oublier tout ce que l’on sait d’un domaine.
 
Que de toute façon, l’information dont nous pourrions avoir besoin est à présent abondamment disponible. Que nous pouvons tous nous transformer en makers (il y a bien un Fab Lab près de chez vous).
 
Le seul enjeu réside finalement dans le fait de poser les bonnes questions face aux problèmes posés, ce qui est à la portée de tous. Nous n’avons ainsi qu’à choisir notre « cause » et changer ce qui nous semble dysfonctionnel ! Rester spectateur par incapacité n’est plus une option.
 
J’ai été le voir ensuite, gonflé à bloc, pour lui demander ceci : “Si la technologie et l’information sont accessibles, qui va néanmoins nous apprendre à en tirer profit ? En désacralisant d’un côté l’usage des nouvelles technologies qui paraissent d’abord énigmatiques au grand public ? Et en entrainant de l’autre notre esprit critique afin d’apprendre à explorer finement un problème ?”. Il botte en touche en me répondant que d’autres personnes interviennent sur ces sujets…
 
S’il est si facile d’agir, pourquoi tous ces conférenciers n’ont-ils pas encore éradiqué la faim dans le monde ou nettoyé les mers ? Ou très prosaïquement réglé le problème des sans-abris – extrêmement nombreux – à San Francisco ?

Les machines vont-elles prendre le contrôle ?

Les jours passent, je continue d’en apprendre de plus en plus sur les technologies de demain et de poser mes questions sans réponse. Le plus éloquent fut l’échange avec le brillant Peter Norvig (le directeur de recherche star de Google).
 
Je lui ai demandé si les machines, de par leur capacité inductive à produire de nouvelles connaissances et à les partager avec l’ensemble des intelligences artificielles en temps réel, ne risquaient pas tôt ou tard de prendre le contrôle sur nous autres, Homo Sapiens aux capacités limitées.
 
Il m’a répondu texto : “Chaque technologie a toujours comporté son lot d’incertitude et de risques mais nous avons toujours su gérer la situation“. Je rétorque : “Oui mais nous faisons face à une situation unique où il ne s’agit pas de savoir comment l’humain va utiliser les machines, mais comment les machines vont utiliser d’autres machines“. La conversation a coupé court.
 
Il n’y avait aucun mépris dans ce silence, mais cette préoccupation n’était clairement pas la sienne. Lui est là pour inventer de nouveaux possibles, pas pour évaluer les risques associés ou bâtir une quelconque vision de la société. Bienvenu dans la vallée des apprentis-sorciers.

L’université des apprentis sorciers

Finalement, j’obtiens mon diplôme de cette étonnante université, qui a généré en moi une grande joie et une grande inquiétude. Je suis joyeux de me sentir plus apte que jamais à agir, à contribuer à changer une situation que je trouve anormale et dysfonctionnelle. Comprenant mieux l’impact de chaque technologie et de leur convergence, et me sentant plus légitime à agir dans n’importe quel domaine, pour peu que j’en ai vraiment l’envie !
 
Mais je me sens également très inquiet du fait qu’à aucun moment n’ait été posées des questions éthiques, politiques, sociétales, sociales, économiques… Est-il raisonnable d’accoucher de technologies exponentielles sans maîtriser la façon dont elles peuvent façonner notre avenir ? Bien sûr que non ! Alors pourquoi ne se posent-ils pas ces questions ?
 
Peut-être est-ce la mission de ces savants fous d’inventer. Peut-être est-ce notre mission, nous autres transitionneurs, venant de tous horizons, de tous continents, de définir comment exploiter ces technologies, de réguler leurs usages, de canaliser, d’accompagner. Agissons et créons dès aujourd’hui un comité de conscience dont le seul enjeu sera de se poser les bonnes questions, celles dont les réponses nous rapprocheront du futur dans lequel nous souhaitons vivre. Ensemble. Demain. 

Alexandre Pachulski
Chief Product Officer de l’entreprise Talentsoft

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