Le modèle alimentation-santé inuit et les “bienfaits” de l’industrie agro-alimentaire

De l’Islande à la péninsule antarctique, Jean-Paul Curtay est parti en “croisière-expédition” autour des nouvelles routes maritimes rendues possibles suite à la fonte des glaces. Chaque semaine, il raconte son expédition à We Demain.

Un petit tour dans les supermarchés de Sisimiut, “le peuple du terrier du renard” en inkutitut, confirme la constatation atterrante déjà faite en 2013 à Nuuk, la capitale : les Groenlandais ont été, comme les Crétois et les Okinawaïens, envahis par la malbouffe industrielle.

Les rayons de produits sucrés aux additifs de couleurs criantes sont encore plus obscènes que chez nous. Et cela continue avec les murailles de sodas, les chips et autres produits salés et grillés… L’alimentation traditionnelle inuit comportait surtout :

– les phoques, les morses, le béluga, le narval, la baleine boréale ; tous étant surtout consommés crus, ce qui est essentiel pour la préservation des acides gras oméga 3 et de la vitamine C qui sont détruits par la cuisson.

– plus marginalement des viandes : l’oie sauvage, le canard, le lagopède et leurs œufs, le lièvre arctique, le renard arctique, le caribou, le bœuf musqué. L’ours blanc était surtout chassé pour fabriquer avec sa fourrure le pantalon des chasseurs dont les jambes étaient ainsi bien protégées du froid dans les kayaks.

Baies de Baffin, airelles, camarines

L’été s’ajoutaient :

– des palourdes, moules et autres fruits de mer.

– des baies de Baffin (sortes de framboises), airelles, camarines (sortes de myrtilles), “têtes de violon” (jeunes pousses de fougères) et autres herbes.

Un exemple de recette d’été, “l’agutuk”, qui mélange les baies de l’été préservées dans la graisse de mammifère marin et neige. “Mammartoq” (hmm, c’est bon !).

Hugh Sinclair, un médecin anglais, descendant du roi viking Woldinius, observe une fréquence très faible des pathologies inflammatoires, auto-immunes et cardiovasculaires chez les Inuits et est le premier à consacrer un livre, en 1953 à ce modèle.

Acides gras oméga 3

En 1956, il émet dans un article célèbre l’hypothèse qu’une carence en acides gras oméga trois est un des facteurs des pathologies cardiovasculaires, auto-immunes comme la sclérose en plaques, et de certains cancers dans les sociétés occidentales.

En 1976, il participe à l’expédition au Groenland qui fera connaître dans le monde scientifique les avantages, en particulier sur les risques cardiovasculaires, d’un apport riche dans ces acides gras très présents dans la viande de phoque et des poissons des mers froides. Les apports en acides gras oméga 3 chez les Inuits sont trois fois supérieurs aux apports en acides gras oméga 6.

En comparaison, ils sont trois fois inférieurs chez les Japonais, et 15 fois chez les Français. L’étude de l’ensemble des diagnostics portés dans l’hôpital d’Upernavik au Groenland de 1950 à 1974, révèle une incidence fortement réduite des diabètes, infarctus, asthmes, psoriasis et sclérose en plaques et une incidence plus élevée des accidents vasculaires cérébraux hémorragiques (les oméga 3 augmentent le temps de saignement) et d’épilepsies (les oméga 3 facilitent les neurotransmissions ce qui leur donne des effets anti-dépresseurs, mais sur des terrains susceptibles peut favoriser des épilepsies).

Pollution sévère sur les régions polaires

On constate par ailleurs la grande rareté du surpoids dans les populations circumpolaires avant l’arrivée des produits agro-alimentaires, de l’alcool et des équipements modernes. Mais selon les dernières études les aliments traditionnels ne fournissent plus en moyenne que 28 % des besoins énergétiques des Inuits. Le gras, le sucré, le salé, mais aussi l’alcool, le tabac et la sédentarité ont fait une entrée fracassante.

Malgré la quasi absence d’industries, la pollution est extrêmement sévère sur les régions polaires du fait de la descente des polluants mondialisés dans l’atmosphère avec le froid et de la bioconcentration par les mammifères marins (en particulier les polluants liposolubles et le mercure dans leur graisse).

Elle menace aussi la survie des ours blancs, des narvals et des belugas affectés par une chute de la fertilité, des dépressions immunitaires et une explosion des cancers. Chez les Inuits on observe une augmentation de l’infertilité, de l’obésité, du diabète, de l’hypertension, des accidents vasculaires cérébraux, des autres maladies cardiovasculaires, des cancers, un accroissement exponentiel des dépendances de tous ordres (alcool, tabac, drogues), de la dépression et des suicides qui ont atteint une dimension épidémique : le taux le plus élevé de suicides au monde, qui touche encore plus les jeunes que les adultes.

Sourires édentés

​La majorité des jeunes et des adultes nous adressent des sourires édentés. Pas étonnant avec la quantité de sodas sucrés qu’ils sirotent, de sucettes que têtent toute la journée les enfants… C’est en plus rapide, violent, caricatural, ce qui s’est passé chez nous et continue de s’aggraver, malgré notre technologie médicale plus poussée qui soigne mieux les pathologies dont la fréquence explose.

Jean-Paul Curtay.

Pour en savoir plus :
La cuisine inuit
Hélène Fagherazzi-Pagel, Des hommes victimes de “l’occidentalisation” des modes de vie : le modèle des Inuits

Jean-Paul Curtay, a commencé par être écrivain et peintre, au sein du Mouvement Lettriste, un mouvement d’avant-garde qui a pris la suite de Dada et du surréalisme, avant de faire des études de médecine, de passer sept années aux États-Unis pour y faire connaître le Lettrisme par des conférences et des expositions, tout en réalisant une synthèse d’information sur une nouvelle discipline médicale, la nutrithérapie, qu’il a introduite en France, puis dans une dizaine de pays à partir des années 1980.

Il est l’auteur de nombreux livres, dont Okinawa, un programme global pour mieux vivre, le rédacteur de www.lanutritherapie.fr, et continue à peindre et à voyager afin de faire l’expérience du monde sous ses aspects les plus divers.

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