“Nos démocraties en panne d’idéaux devraient s’inspirer de la solidarité des Philippins”

De Nouvelle-Zélande au Bhoutan, du Pacifique à l’Himalaya, le Wānanga Trek est un reportage solidaire  mené par Anne Sophie, étudiante en sciences politiques de 21 ans. Chaque mois, elle raconte ses aventures à We Demain.

Après plus de trente heures de voyage de Paris jusqu’à Riyad puis Manille, je suis accueillie dans un café de Makati par Tom Graham, journaliste anglais qui n’est jamais rentré de son premier voyage aux Philippines pour y monter une entreprise sociale, Make a Difference Travel, pour laquelle je vais travailler pendant les prochains mois.

Il m’offre alors son livre, The Genius of the Poor, traduit en français par La richesse des pauvres. Tandis que je cogite, perplexe, à la lecture de cet oxymore, il m’écrit un mot de bienvenue en me racontant son expérience de ce qu’il appelle le “virus philippin”.

Il m’explique alors que cette expression est en réalité de Tony Meloto, le très inspirant fondateur de Gawad Kalinga, qui m’avait prévenue avant mon départ pour les Philippines : le “virus philippin” concerne beaucoup d’étrangers qui, séduits par le pays autant que par son peuple, décident d’y rester pour y monter des projets de développement social et solidaire. 

Tom me dit alors que j’aurai l’occasion de comprendre cet oxymore dès le lendemain : j’embarque le soir même avec Sophie dans un bus en direction de Baler, à six heures au Nord de Manille ; où je rencontrerai les premières communautés avec lesquelles MAD travaille.
 
La première chose qui m’a frappée en arrivant dans ces bus collectifs, issus de la récupération et la réappropriation des jeeps américaines, outre la bassesse du plafond, est la manière de s’acquitter de son payement. Au lieu de se frayer un chemin ténu et assurément gênant entre les passagers pour donner leur monnaie au chauffeur, les gens se la font passer de mains en mains, jusqu’au conducteur.

“La richesse des pauvres”

Sous mon regard effaré – si je faisais ça dans un bus de la RATP mon interlocuteur s’enfuirait évidemment avec mes pièces en riant de ma naïveté – Sophie me prévient : tout est comme ça ici, “c’est l’esprit du ‘Bayanihan’”.

Elle m’explique alors la principale valeur des philippins : “Bayanihan”, mot-à-mot : “tout le monde aide tout le monde”. Un principe de solidarité qui est à la base de toute relation sociale, du Nord au Sud, des vieux aux jeunes, des villes aux campagnes ; et surtout depuis le plus petit service jusqu’au plus grand.

“Bayanihan” : la solidarité comme racine de toute relation sociale

Cet exemple de la maison, qui peut être déplacée seulement par le concours de la communauté entière, est une image pour un œil occidental, mais aux Philippines c’est un principe réellement ancré dans toute relation sociale ; et j’aurai l’occasion durant mes quelques mois ici, de l’expérimenter à de nombreuses reprises.
 

“Through Bayanihan, the Philippines has no reason to be poor.” Tony Meloto 

“Walang Iwalang” : ne laisser personne sur le côté

La première communauté que nous rencontrons est située à seulement quelques kilomètres au Nord de Baler, au milieu des montagnes et des forêts tropicales. On m’explique alors le fonctionnement de toute communauté Gawad Kalinga : tout le monde aide à la construction du village, les futurs occupants comme des voisins, aux côtés de volontaires venus des quatre coins du pays ou du globe.

Personne ne sait à l’avance à qui appartiendra telle maison : une fois la construction du village terminée, elles sont distribuées par tirage au sort. Chacun met donc autant de volonté pour construire sa propre maison que celle du voisin.
Et, plus improbable : personne ne peut habiter dans une habitation, tant que l’ensemble de celles qui constituent la communauté n’est pas terminé. “Même s’ils n’ont nulle part où vivre ?”, je demandais à Sophie. “Oui, même si ça dure un an, deux ans, trois ans : tout le monde doit attendre car c’est le principe du ‘Walang Iwalang’ : personne n’est laissé de côté”.
 

“We build communities on values, not just on stone, wood, hollow blocks. When values change, the Filipino himself becomes the solution to his own poverty. ”
Tony Meloto 

Bâtir des communautés sans seulement s’arrêter aux pierres

Toutes les couleurs qui ornent chaque maison sont à l’image des valeurs qu’elles portent en leur sein : bâtir des communautés sans seulement s’arrêter aux pierres, aux murs, aux toits. Mais apporter aussi des relations de confiance, de la dignité, de la paix et de la sérénité. Toute les maisons sont aussi pourvues d’un petit jardin, souvent issu de techniques de recyclage.

Comment appréhender ces deux valeurs au cœur de la nation philippine, “Bayanihan” et “Walang Iwalang” d’un œil étranger ; et d’autant plus, occidental ? Après être repartie de Baler, ma première rencontre avec un typhon a justement été l’occasion d’achever de me convaincre de tout ce que nous avons à apprendre de ces principes de solidarité et d’entraide non seulement mutuelle mais naturelle.

En l’espace de cinq jours au cœur d’un typhon, ces expériences des valeurs philippines m’ont appris bien plus que trois ans d’études supérieures sur les bancs parisiens. La solidarité, la conscience de la communauté et des relations sociales, surtout la valeur de l’autre ; mais aussi ce dynamisme permanent à construire, à inventer, à innover…

Or nos civilisations occidentales n’ont jamais tant eu à apprendre des pauvres en faisant leurs les valeurs de solidarité et de sens de l’autre. Les Philippins, par ces valeurs et les expériences sociales, solidaires et durables qu’ils mettent en place, montrent une voie de développement qui peut éclairer bien des aspects de nos démocraties en panne d’idéaux.
 

“Given opportunities and the right guidance, we have discovered that there are countless closet heroes just waiting to come out.”
Tony Meloto 

Si vous souhaitez en savoir plus sur les projets, les initiatives et les personnes qui font vivre les communautés rencontrées par Anne Sophie Roux, rendez-vous sur le blog Wanangatrek.com.

À (RE)LIRE : La présentation du projet d’Anne Sophie Roux : Je pars à la rencontre des peuples les plus touchés par le réchauffement climatique

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