“Pour faire bouger les habitudes, il faut comprendre les traditions”

ÉPISODE 3. Au lieu d’opter pour un stage classique en parallèle de leur école de commerce, nos quatre contributeurs sont partis en Ouganda pour aider au développement de modèles économiques à fort impact social. Ils consacrent leur troisième billet à une question qu’ils se posent quotidiennement : comment faire évoluer les pratiques, les usages, sans bouleverser les habitudes ?

Kampala, le 16 mars 2015, 

Quand on vous dit « plus tard », vous pensez à quoi ? Demain ? Dans un an ? dans 20 ans, ou carrément à la retraite ? Nous avons remarqué qu’ici, à Kampala, les gens n’ont pas la même notion du temps, ni la même façon de le gérer que nous. Depuis notre arrivée en Ouganda, nous découvrons une culture de l’immédiateté, qui n’est pas sans conséquences sur la façon d’entreprendre. Nous réalisons qu’il ne se suffira pas de plaquer ici les concepts que nous avons appris en école de commerce. Avant de songer à développer nos projets, nous devons d’abord comprendre. Et nous adapter.

Nous adapter à un certain rapport à l’argent, par exemple. Nos B-points, ces micro-entrepreneurs sélectionnés pour leurs liens forts avec les communautés défavorisées d’Ouganda, nous racontent qu’ils ne différencient pas systématiquement leur budget personnel de celui de leur magasin. Et que lorsqu’ils doivent régler les frais de scolarité de leurs enfants, ils réunissent l’argent nécessaire dans l’urgence, tout comme pour payer les factures à la fin du mois.

De la même façon, les consommateurs que nous côtoyons ne semblent pas ressentir le besoin de mettre de l’argent de côté pour assurer leur approvisionnement en briquettes, cette alternative au charbon à base de matériaux recyclés, associée à des fours économes en énergie dont nous vous parlions dans notre dernier billet.

FORMATION EN BUSINESS ET MANAGEMENT

Qu’en est-il au niveau de l’entreprise ? Mathias, un B-point très engagé, nous a raconté la façon dont il gère la comptabilité de son magasin. Lorsqu’il a embauché ses cinq vendeurs, il n’a pas anticipé le salaire qu’il allait devoir leur verser. C’est donc pour l’aider à garder une longueur d’avance sur l’état de sa trésorerie qu’à lui, ainsi qu’à d’autres entrepreneurs, nous avons proposé une formation en business et management. Lors de cette formation, nous nous avons pris conscience de l’importance que constitue la prise en compte des différences culturelles dans l’approche de l’entreprise.

Nous apportons aussi des conseils techniques. L’une des clientes de l’entreprise que nous accompagnons, Green Bio Energy (GBE), nous a surpris en nous expliquant que “[nos] briquettes ne marchent pas“. Nous lui avons expliqué que c’était son usage des biquettes qui posait problème. Car lorsqu’on cuisine au charbon traditionnel, il est nécessaire de le remuer pour permettre une meilleure combustion, ce qui n’est pas le cas avec les briquettes à base de matériaux recyclés. Après tant d’années d’utilisation du charbon de bois, quoi de plus normal que de constater des blocages chez des usagers appelés à changer leurs habitudes ?
 
Pour limiter ces blocages, GBE cherche à rester aussi proche que possible des méthodes traditionnelles d’utilisation. Les documents explicatifs, les démonstrations pratiques et le suivi régulier des clients visent ainsi à opérer en douceur cette transition. Une fois que l’utilisation de briquettes sera généralisée, nous espérons que le bouche-à-oreilles prendra le relais. 

Ainsi, nous avons compris qu’il ne suffit pas seulement de proposer des idées “révolutionnaires”, mais aussi d’être à l’écoute. Ce TED Talk en témoigne : 

Prenez un ballon de football, capable de générer de l’énergie lorsqu’on l’utilise, et de la restituer ensuite. Excellente idée ! Encore faut-il qu’il soit assez léger pour que l’on puisse jouer avec. Résoudre un problème, sans tenir compte de l’usage qui sera fait des solutions proposées, ni réfléchir à leurs conséquences sociales et culturelles, peut faire échouer tout projet, aussi bien intentionné soit-il.

BARRIÈRES CULTURELLES

Parfois, il vaut donc mieux partir d’un objet ou d’un fait déjà existant et chercher à l’améliorer, plutôt que d’en inventer un nouveau, dont l’utilisation ne traversera pas les barrières culturelles. C’est ainsi que les briquettes et les fours améliorés de GBE sont inspirés de produits du quotidien.

C’est avec optimisme que nous achevons nos deux premiers mois à Kampala. Et avec ambition que nous attaquons les quatre prochains. Portés par le dynamisme et stimulés par les surprises que réservent l’Ouganda, chaque jour apporte son lot d’enseignements. Reste à s’y adapter !

La suite ? Au prochain épisode.

Et pour (re)lire les précédents volets de notre aventure en Ouganda, c’est par ici -> Épisode 1 / Épisode 2

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