Smoking Hills, l’un des paradis géologiques les plus fascinants et mystérieux au monde

De l’Islande à la péninsule antarctique, Jean-Paul Curtay est parti en “croisière-expédition” autour des nouvelles routes maritimes rendues possibles suite à la fonte des glaces. Chaque semaine, il la raconte à We Demain.

John Franklin n’a probablement pas réalisé qu’il a découvert en 1826 un des lieux les plus fascinants et mystérieux du monde. Il n’a pu l’approcher que par voie terrestre, du haut d’une falaise, et a été très probablement gardé à distance par l’odeur sulfureuse des fumées acides.

Quand on approche par la mer, on découvre sur des dizaines de kilomètres des panaches de fumée, certains isolés et espacés, d’autres groupés en rideaux. Ces fumerolles sont-elles volcaniques ? Absolument pas. Il s’agit de la combustion spontanée de lignite qui suite à des éboulements s’est embrasée grâce à des sulfures provenant de bactéries au contact de l’oxygène !

Un phénomène dont on connaît pas l‘équivalent ailleurs sur notre planète. Mais l’étonnement ne s’arrête pas là. Avant même de débarquer on remarque un patchwork de couleurs noires, rouges foncés, jaunes… La falaise se compose d’un improbable mélange de charbon, d’argiles bigarrées, de pierres incrustées, de cendres et de boues…

Le passage jusqu’à la mer

​Dès qu’on arrive sur la plage les yeux sont captivés par un tapis de petits galets abandonnés là par un orfèvre à la créativité débridée : cookie avec ses crottes de chocolat, poche revolver noire toute bordée de blanc, le cri de Munch revisité par un frottis beige de Max Ernst sur une boule terre de sienne, une pierre de rêve triangulaire où l’encre du calligraphe est bue par du papier buvard, une crête toute noire coiffe un caillou crème, des anneaux de Saturne enlacent une forme de coquillage, un amas stellaire luit sur les stries oranges d’un oiseau de Brancusi, d’énigmatiques runes rouges gravées sur un caillou noir…

Quand on parvient à relever la tête, c’est pour découvrir au fond de la plage, près de la falaise, de gros blocs de glaise cuite jaunes et fragmentés dans un style cubiste, rouges et feuilletés, orange et lustrés… L’un d’eux est couvert d’écailles vitrifiées, comme du mica. Un disque presque parfait, dont s’est détaché une jante, est posé verticalement au bas de la falaise.

C’est alors qu’on découvre que celle-ci est incrustée de bombes, certaines entières, d’autres éclatées. Parfois ne subsistent que les creux laissés par les bombes qui se sont détachées. Une accumulation d’énormes rochers noirs décorés d’un ruban jaune qui serpentent dans tous les sens, aussi ponctués de bombes, obstrue le passage jusqu’à la mer.

Écoulements de boue

Tout autour les roches feuilletées émettent sans cesse des micro-débris. Ce décor est en mutation constante. C’est le moment de monter pour s’approcher des fumées. Le sol est très meuble et se déchire, formant des séracs noirs, et on devine que dans les heures qui suivent des pans entiers se seront effondrés sur la plage. Des écoulements de boue forment des lacs suspendus en entonnoirs, les uns au dessus des autres.

De petites excroissances des rivières ont charrié du bois flotté. C’est la première fois depuis le début du voyage que nous voyons des troncs d’arbres. Arrivés à quelques mètres du rideau de panaches, on distingue à leur base le soufre cristallisé. David Heyton, le géologue australien, donne quelques explications sur l’argile qui a été cuite comme dans le four d’un céramiste et les couleurs des minéraux qui sont apparues en fonction des températures.

Mais il n’a aucune explication sur le mécanisme de formation des bombes. “C’est un lieu absolument exceptionnel mais tellement éloigné de tout, tellement isolé qu’il n’a jamais été étudié de près”. Je réalise que depuis le Groenland nous n’avons, en effet, pas vu un seul navire. Nous avons du mal à repartir de ce lieu si saisissant, si original, si mystérieux.

La plus longue migration connue d’un mammifère

Une heure plus tard, nous sommes consolés par la rencontre avec une baleine grise et son petit. “C’est le premier animal du Pacifique que nous croisons. Elle vit l’été dans la mer de Beaufort et passe l’hiver dans trois baies de Baja California, effectuant 22 000 km par an, la plus longue migration connue pour un mammifère”, nous dit Jean-Pierre.

La photo de sa nageoire caudale révèle des cicatrices en forme de rayures sur son pourtour. Elle a été attaquée par des orques qui ont laissé ces marques avec leurs dents. “Les orques lui mordent la queue pour qu’elle ne puisse ni les frapper, ni se propulser. D’autres se couchent sur ses nageoires pectorales et une sur son évent pour l’empêcher de respirer. C’est pour pourvoir attaquer son petit et lui manger la langue. Visiblement, ils se sont bien sortis de cette attaque”.

Ou elles ont peut-être été aidées par des baleines à bosse qui ont été répétitivement observées intervenir pour protéger les petits de baleines grises ou des phoques d’attaques par les orques !

Jean-Paul Curtay.

Pour en savoir plus :

www.amusingplanet.com/2015/09/the-smoking-hills-of-canada.html

http://ultima0thule.blogspot.co.uk/2012/10/the-smoking-cliffs-of-franklin-bay.html

www.lemonde.fr/big-browser/article/2016/08/03/les-baleines-boss-des-oceans_4978124_4832693-html

http://www.maxisciences.com/baleine/quand-des-baleines-a-bosse-protegent-les-autres-animaux-des-attaques-d-039-orques_art38473-html

Jean-Paul Curtay, a commencé par être écrivain et peintre, au sein du Mouvement Lettriste, un mouvement d’avant-garde qui a pris la suite de Dada et du surréalisme, avant de faire des études de médecine, de passer sept années aux États-Unis pour y faire connaître le Lettrisme par des conférences et des expositions, tout en réalisant une synthèse d’information sur une nouvelle discipline médicale, la nutrithérapie, qu’il a introduite en France, puis dans une dizaine de pays à partir des années 1980.

Il est l’auteur de nombreux livres, dont Okinawa, un programme global pour mieux vivre, le rédacteur de www.lanutritherapie.fr, et continue à peindre et à voyager afin de faire l’expérience du monde sous ses aspects les plus divers.

Recent Posts

  • Découvrir

Tout comprendre au biomimétisme : s’inspirer du vivant pour innover

Le biomimétisme, ou l'art d'innover en s'inspirant du vivant, offre des solutions aussi ingénieuses qu'économes…

2 heures ago
  • Déchiffrer

Christophe Cordonnier (Lagoped) : Coton, polyester… “Il faut accepter que les données scientifiques remettent en question nos certitudes”

Cofondateur de la marque de vêtements techniques Lagoped, Christophe Cordonnier défend l'adoption de l'Éco-Score dans…

21 heures ago
  • Ralentir

Et si on interdisait le Black Friday pour en faire un jour dédié à la réparation ?

Chaque année, comme un rituel bien huilé, le Black Friday déferle dans nos newsletters, les…

1 jour ago
  • Partager

Bluesky : l’ascension fulgurante d’un réseau social qui se veut bienveillant

Fondé par une femme, Jay Graber, le réseau social Bluesky compte plus de 20 millions…

2 jours ago
  • Déchiffrer

COP29 : l’Accord de Paris est en jeu

À la COP29 de Bakou, les pays en développement attendent des engagements financiers à la…

3 jours ago
  • Déchiffrer

Thomas Breuzard (Norsys) : “La nature devient notre actionnaire avec droit de vote au conseil d’administration”

Pourquoi et comment un groupe français de services numériques décide de mettre la nature au…

4 jours ago