Vivre du tourisme sans nuire à l’environnement : deux villages ougandais tentent de relever le défi

Le 1er septembre, Ahmed, Karine et leur cinq enfants se sont envolés de Paris pour un tour du monde d’un an, à la découverte de villages qui ont fait le choix de l’autonomie et du développement durable. Dans leur quatrième billet pour We demain, ils racontent comment deux villages tentent, avec des approches différentes, d’allier développement humain et protection de la nature.

Winston Churchill l’appelait “La perle de L’Afrique”. Avec ses nombreux lacs, dont le lac Victoria, le plus grand en Afrique, la richesse de l’arrière-pays ougandais est extraordinaire, autant au niveau de sa faune (11 % des espèces mondiales d’oiseaux, 7 % des espèces de mammifères) que de sa flore tropicale (plus de 4 900 espèces). Avec ses luxuriants parcs nationaux, le pays ressemble à un jardin d’Eden.

C’est en bordure du parc national de Kibale que nous nous sommes d’abord installés, dans un village qui a fondé son développement sur la protection et la valorisation de l’écosystème environnant. Pour convaincre les habitants de cette zone protégée de stopper la déforestation, les leaders du village, avec l’aide financière et technique d’ONG américaines, ont promis de nouveaux revenus aux villageois. Ces derniers sont tirés du développement de l’écotourisme.

Même si initialement, et comme nous l’a raconté avec humour l’un d’entre eux, “les gens avaient du mal à croire que les blancs seraient assez stupides pour venir chez nous et payer pour voir des singes”, ils furent vite convaincus par les résultats.

Développement économique et protection de la nature

Aujourd’hui, le village accueille près de 4 000 touristes par an. Ces derniers sont hébergés dans des pensions ou des écolodges et pris en charge par des guides formés qui les emmènent découvrir les richesses naturelles environnantes. Avons-nous là un modèle gagnant qui allie développement économique et protection de la nature ? Malheureusement pas tout à fait…

Il y a à peine deux générations, les ancêtres des habitants du village étaient des chasseurs-cueilleurs tirant leur subsistance directement de la forêt. Si la politique gouvernementale de regroupement et de sédentarisation de ces populations a bien permis de protéger rapidement l’espace forestier, elle a eu des effets pervers.

En remplaçant l’autosubsistance par une économie fondée sur les revenus monétaires, et en suggérant l’idée que “l’argent est chez les blancs”, le développement de l’écotourisme a bouleversé les valeurs d’hospitalité de la communauté et les relations avec les étrangers (touristes ou ONG). À présent, les non autochtones sont assimilés à des portefeuilles ambulants, comme en témoignent les nombreux “give me money” que les enfants lancent du bord de la route.

Un écotourisme qui ne profite pas à tout le monde

Plus dommageable à long terme est la recherche effrénée du “cash-crop”, c’est-à-dire de la semence qui garantira le meilleur rendement financier. Or, cela ne peut qu’aboutir à développer de la monoculture (comme le thé ou la canne à sucre) et à faire reculer encore plus les cultures vivrières. Ces monocultures épuisent les sols, contribuant ainsi encore plus à la déforestation, et les retournements des marchés de matières premières fragilisent très fortement les communautés qui en dépendent.

​La menace est d’autant plus réelle que la demande touristique est, elle aussi, instable. Il suffirait d’une situation perturbée aux frontières pour que les revenus issus du tourisme ne se tarissent eux-aussi, plongeant les populations concernées dans la misère et la précarité. Enfin, l’écotourisme ne profite clairement pas à tout le monde. Les inégalités de revenus sont manifestes, entre ceux qui ont su en profiter et les autres, qui ne peuvent que regarder passer les gros 4×4 remplis de touristes.

Accès à l’eau plus hygiénique grâce à la construction de puits

À l’extérieur des parcs, la problématique environnementale reste entière. Comme dans beaucoup de pays africains, la déforestation laisse des plaies béantes dans le paysage ougandais : de 5 millions d’ha de forêts en 1990, seulement 3,5 millions d’ha subsistaient en 2005. Nous avons donc rencontré à quelques kilomètres de Kampala les responsables de l’association NECEA, dans une campagne qui a perdu jusqu’à 80 % de ses surfaces boisées depuis 1990.

Si la finalité environnementale de NECEA est quasiment la même qu’à Bigodi, les modalités d’interventions sont totalement différentes. Pour motiver les habitants à reboiser leurs terres, l’association n’a pas promis d’hypothétiques richesses mais a d’abord établi sa crédibilité en répondant aux demandes les plus urgentes des populations. C’est ainsi qu’avec l’aide de fondations comme celle de l’entreprise française Sogea-Satom, plusieurs puits ont été construits permettant un accès à l’eau plus aisé et plus hygiénique.

Sensibiliser les villageois à la problématique environnementale

Dans les communautés que l’association aide, elle parvient à sensibiliser les villageois à la problématique environnementale en leur apportant des solutions concrètes : fours consommant très peu de bois, fabrication de briquettes combustibles à base de déchets organiques, plantation d’arbres dont les fruits peuvent être consommés et les surplus revendus, etc.

Pour NECEA, l’étape suivante est celle de l’autonomie, afin de mettre ces communautés à l’abri des difficultés économiques qui pourraient les conduire à nouveau à surexploiter la forêt. La différence avec Bigodi ? Ici, on s’intéresse d’abord au bien-être immédiat des habitants avant de s’occuper de leurs revenus. Et ça marche !

Ahmed et Karine Benabadji, fondateurs du projet Open-Villages.

Suivez au quotidien l’actualité de ce projet sur sa page Facebook.       
Et pour (re)lire les précédents épisodes du tour du monde de la famille Benabadji, c’est par ici -> Épisode 1  / Épisode 2  / Épisode 3

Pour entrer en contact avec l’association NECEA, écrivez à : necea3n@yahoo.com

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