Ma maison demain

“En disant adieu à mon frigo, j’ai découvert d’autres moyens de consommer”

Cet article a initialement été publié en août 2017.

Marie Cochard est journaliste et mère de famille. Son cheval de bataille ? Le gaspillage alimentaire. Après s’être intéressée au réemploi des épluchures dans son précédent ouvrage (Les épluchures, tout ce que vous pouvez en faire), elle a décidé d’éliminer le frigo de sa cuisine, afin de revenir à une alimentation plus saine et locale.
 
L’auteure et sa famille ont tout de même conservé un petit congélateur, afin de pouvoir conserver ses petits plats maison ou “les glaces des enfants”.
 
Dans son nouveau livre, Notre aventure sans frigo, ou presque… qui parait aux éditions Eyrolles le 7 septembre, Marie Cochard livre plusieurs techniques de conservation naturelles telles que l’entreposage, la mise à l’eau, le séchage ou encore l’enrobage. 

  • WE DEMAIN : Pourquoi avez-vous décidé d’éliminer le frigo de votre cuisine ?

Marie Cochard : Par conviction. J’ai une amie qui vivait déjà sans. Je me suis rendue compte qu’avoir cet appareil électroménager pousse à faire des pleins de courses et à le remplir.

La chose qui me gêne, c’est qu’on se sert du frigo comme un placard. Machinalement, on arrive, on met tout dedans : café, miel, moutarde, fruits et légumes… La plupart de ces aliments n’ont pas besoin d’être mis au frais. Sans frigo, il faut faire autrement. Bien sûr, ce n’est pas applicable pour quelqu’un qui n’achète que des produits transformés.

J’essaie d’être la plus locavore possible depuis sept ans, c’est-à-dire depuis l’arrivée de mon fils. Je passe donc par les circuits courts comme La Ruche qui dit Oui, je fais des cueillettes dans les fermes voisines et j’essaie d’autoproduire au maximum.

Je boycotte les produits transformés pour ne consommer que des produits bruts.

Quand j’avais encore un frigo, il n’y avait déjà plus grand chose dedans. Je suis plutôt jusqueboutiste et aventureuse, donc je me suis dit “il faut le débrancher pour voir où est la limite, trouver des alternatives”.

  • Où avez-vous trouvé les astuces de conservation que vous présentez dans le livre ?

C’était un travail anthropologique. J’ai expérimenté tout un tas de recettes qui reviennent au goût du jour : confiture, stérilisation, séchage… J’avais aussi envie de rencontrer des gens d’origines culturelles différentes qui pouvaient m’apporter des savoir-faire que je n’aurais pas pu connaître autrement.

J’ai pris conscience du fait que tout ce qu’on mange aujourd’hui est très souvent carencé à cause du transport, de la réfrigération… Les aliments se conservent très peu de temps, ont un apport nutritionnel très pauvre et ont perdu leur goût et leurs saveurs.

  • Par exemple ?

Un sachet de gruyère râpé : maintenant je sais que le fait de râper le fromage n’est pas une bonne idée car on enlève la croûte qui permet de le conserver des mois, voire des années. Le gruyère râpé qu’on trouve dans le commerce est éventé et n’a plus aucun goût, il va très vite moisir.

Pour conserver les pommes, gardez-les dans une cagette avec des bouchons de liège. Crédit : Olivier Cochard

Les produits transformés sont aussi conçus pour avoir une date de consommation très réduite. Ce qui oblige le consommateur à acheter, jeter, acheter, jeter…
Pour conserver les pommes, gardez-les dans une cagette avec des bouchons de liège. (Crédit : Olivier Cochard)Ne pas gaspiller c’est aussi réapprendre à conserver. On ne sait plus du tout quelles sont les bonnes associations : ce qui ne doit pas être mis ensemble ou au contraire les associations judicieuses pour faire mûrir plus vite ou plus lentement.

Par exemple, j’explique dans le livre que pour conserver les poires il faut mettre de la cire sur leurs queues ; pour les pommes, il faut les disposer dans une cagette avec des bouchons de liège entre chacune d’elles…

Quand on achète une chose, elle est encore vivante.

Une carotte, si vous la mettez dans du sable, elle peut continuer à croitre. Un poireau, le pied dans l’eau, continue à pousser. 

  • Qu’est-ce que ça a changé dans vos habitudes ?

Je fais mes courses un peu plus régulièrement, une à deux fois par semaine. J’achète moins, mais j’achète mieux. J’achète bio et très peu de viande. Seulement une fois par semaine ou une fois tous les quinze jours, que j’achète chez un boucher bio. On mange la viande dans l’heure qui suit l’achat. Pareil pour le poisson.

Pour le beurre, j’utilise un beurrier breton, en céramique. Dans ce petit contenant, l’air ne passe pas, le beurre ne rancie pas et peut être conservé deux à trois semaines. En cas de forte chaleur, je trouve des alternatives comme la crème de noisette.

Nous n’avons plus d’impératif à avoir tel ou tel produit. Ce qui peut sembler être une contrainte m’a ouvert sur tout un champ des possibles que je ne connaissais pas du tout. Paradoxalement, on mange bien plus frais depuis que nous n’avons plus de frigo.

  • Cela vous prend-t-il plus de temps ?

C’est tout le contraire. Les priorités se déplacent. Des choses qui n’étaient pas agréables comme aller au supermarché, remplir un caddie, lire toutes les étiquettes… Aujourd’hui, ce n’est plus une corvée mais un plaisir. Faire mon marché, participer à des cueillettes avec mes enfants, rencontrer les producteurs… J’ai replacé du plaisir là où je n’en avais plus.

  • Avez-vous abandonné certains aliments ?

On ne mange plus de yaourts, mais c’est un choix personnel, ma famille étant sujette aux allergies. Manger du fromage suffit à nos besoins. Certes, on ne trouve toujours une alternative à tout. On boit du lait végétal, qui se conserve très bien à l’extérieur pendant une semaine. Pour avoir des bières fraiche, il suffit de les envelopper dans un linge humide et de les mettre quelques minutes au congélateur.

Le beurrier breton permet de conserver le beurre, sans avoir besoin de frigo. Crédit : Olivier Cochard

Mon mari avait peur. Mais finalement, les enfants ne s’en sont même pas rendus compte. On porte aujourd’hui un autre regard sur les choses. C’est un art de vivre, on trouve d’autres moyens de consommer et de conserver. On envisage plus du tout de reprendre un frigo. 

  • Que conseilleriez-vous aux personnes qui souhaiteraient ne plus utiliser de frigo ?

Ne plus avoir de frigo, ça commence par l’achat. Qu’est-ce que j’achète et où je me fournis. Ne pas acheter de produits transformés et passer par des circuits courts, c’est possible ! Je conseille aussi de passer du temps à préparer des choses. Il s’agit de remettre la main à la pâte, même si on fait des choses simples. Je passe un peu moins de temps sur les réseaux sociaux, ou devant les écrans en général, et plus du tout au supermarché. On dit “j’ai pas le temps”, mais ce n’est pas vrai. C’est un simple coup de main à prendre, il faut simplement optimiser son temps.

  • Comment ?

Par exemple, je prends une demi-journée pour faire des pots de confitures ou de sauce tomate, mais ça va durer plusieurs mois. C’est un plaisir, ce n’est pas fastidieux. Et c’est tellement bien quand les enfants sont contents et me disent que la sauce a du goût !

Dans mon livre, j’essaie de donner des trucs et astuce pour que les gens conservent mieux et jettent moins. Pour qu’ils se reconnectent et apprennent à se refaire confiance : à sentir, à voir évoluer le produit. Mais je n’incite personne à débrancher son frigo du jour au lendemain. 

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