Partager la publication "“Faire du kite sur les lacs glaciaires, c’est tout sauf une partie de plaisir”"
Avec son camarade Martin Thomas, athlète de haut niveau en canoë slalom, vice-champion d’Europe et 5ème au JO de Pékin 2020, Armelle Courtois a parcouru le monde en quête de lacs glaciaires appropriés au kitesurf, ce sport de glisse qui consiste à se faire tracter à la surface de l’eau à l’aide d’une voile proche de celle du cerf-volant et d’une planche. Une aventure sportive en duo pour un projet environnemental plus large nommé “Riding to Explore”.
D’abord passionnée d’équitation, elle découvre le kitesurf à la fin des années 2000. D’un simple loisir, elle en fera sa passion, tout en poursuivant ses études en parallèle et en travaillant dans le domaine de l’immobilier. Et puis, en septembre 2020, elle décide de se consacrer pleinement au kite et à un projet qui lui trotte dans la tête : explorer les lacs glaciaires qui se multiplient à toute vitesse, conséquence du réchauffement climatique. Pour évoquer cette aventure, elle se réunira les 11 et 12 août à Chamonix avec une dizaine de sportifs de haut niveau pour sensibiliser à la fonte des glaciers en présence de glaciologues et d’experts de la Fondation Eau Neige et Glace.
WE DEMAIN : Comment en vient-on à faire du kitesurf sur des lacs glaciaires ?
Armelle Courtois : Depuis 2010 environ, et même un peu avant, j’ai commencé à faire du kite. Ce fut d’abord un loisir avant que je ne rencontre mon coach et qu’il ne me fasse comprendre que j’avais une carte à jouer en compétition. C’est comme ça que je suis devenue vice-championne du monde de kitespeed (discipline de vitesse) et vice-championne de France de kitesurf. En parallèle, mon frère, qui est guide de haute-montagne à Saint-Gervais, m’a initié à l’alpinisme et j’ai adoré cette expérience de la montagne. Puis est venue cette rencontre avec Martin Thomas, qui était lui aussi un amoureux de la montagne et pratiquait le kite en loisir. Tous les deux, nous avons eu l’idée de monter nos ailes et notre planche en altitude dans les Alpes pour tester ça sur des lacs. On les trouve grâce à Google Earth et on n’a pas besoin d’un grand lac. S’il fait plus de 135 mètres de long, ça nous suffit. C’était donc un défi sportif grisant au départ, avant que nous constations l’impact du réchauffement climatique.
À quel moment le défi sportif s’est combiné à un projet environnemental pour donner vie à Riding to Explore ?
D’abord, il faut savoir qu’on ne va pas faire du kite sur des lacs glaciaires pour la qualité de la glisse. C’est tout sauf une partie de plaisir ! Le but n’est pas d’aller prendre son pied sur des spots cool. Les vents sont irréguliers car ils tamponnent sur les reliefs. La mise à l’eau est souvent compliquée. Il peut y avoir des rochers qui affleurent et qu’on ne voit pas, l’eau est gelée… Bien souvent, sur une après-midi, on va tirer en tout et pour tout trois bords. Avec du vent qui passe de 0 à 20 nœuds en cinq minutes. Et puis soudain, on va se retrouver sans aucune brise au milieu du lac. Sans parler des 25 kilos de matériel à monter en altitude. Bref, ce n’est pas une sinécure.
Mais cela nous intéressait avec Martin d’aller nous tester sur ces lacs. Donc, autour de 2019, nous avons exploré les lacs glaciaires des Pyrénées et des Alpes. À 3 000 mètres d’altitude parfois. Et c’est là que nous avons découvert des chapelets de lacs qui n’étaient pas répertoriés. En discutant avec les gardiens de refuge, ils nous ont expliqué que ces lacs étaient la conséquence du réchauffement climatique. Qu’avec l’accélération de la fonte des glaciers, ils se multiplient depuis quelques années. Ces lacs apparaissent plus vite que la mise à jour des cartes topographiques… C’est ainsi qu’est née notre envie d’aller au-delà du défi sportif et de créer le projet Riding to Explore. Une initiative en partenariat avec des glaciologues et des experts. L’objectif était de mieux comprendre le phénomène et d’alerter le grand public.
Ce fut d’abord des lacs glaciaires français puis vous avez voyagé…
Oui, nous avons commencé par échanger avec le glaciologue Jean-Baptiste Bosson. Il nous a expliqué que les Alpes sont un peu comme le château d’eau de l’Europe. Et que le jour où cette source sera tarie, tout deviendra beaucoup plus compliqué que cela ne l’est déjà aujourd’hui. Quant aux lacs glaciaires, il a confirmé ce phénomène de multiplication. Près de 15 000 lacs glaciaires sont apparus depuis 30 ans et ce n’est que le début. D’après les premières modélisations planétaires (projet Ice&Life), plus de 50 000 nouveaux lacs vont se former d’ici 2100. Jean-Baptiste Bosson nous a aussi alertés sur le fait qu’ils sont sur le domaine public. Et qu’à tout moment, une société privée peut obtenir le droit de mettre un grillage et d’exploiter cette eau pour son propre bénéfice. Une situation qui est déjà une réalité en Amérique du Sud. C’est comme cela que nous avons eu l’idée de lancer une expédition dans les Andes.
Près de 15 000 lacs glaciaires sont apparus depuis 30 ans et ce n’est que le début.
D’où l’idée de partir au Pérou ?
Oui, dans ce cheminement pour alerter le grand public, nous avons voulu pousser le sujet. Nous sommes allés voir ces nouveaux lacs glaciaires formés avec la fonte des glaces sous différents hémisphères et latitudes. C’est comme ça que nous nous sommes retrouvés à 5 000 mètres d’altitude sur un chemin qui n’existait pas encore deux ans auparavant. Car la glace était encore présente. C’était extrêmement sauvage et pas du tout emprunté par le moindre trek touristique. Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir près du glacier une mine d’or illégale. Les habitants du village en dessous ont saisi l’opportunité de se faire un peu d’argent en allant creuser sous ce glacier qui disparaît peu à peu.
On ne peut pas leur en vouloir de chercher des solutions pour améliorer leur quotidien. Mais le hic est que la pollution générée par cette mine d’or est déjà visible. D’un côté, le lac est d’un joli bleu pâle comme tout lac glaciaire. De l’autre, il est rouge-marron à cause du mercure utilisé dans la mine. Et cette pollution va descendre plus bas, contaminant l’eau consommée par les populations… Tout cela a été filmé lors de notre expédition pour créer un film et témoigner des conséquences du réchauffement climatique.
La suite de votre exploration vous a amené en Himalaya…
Oui, nous voulions montrer que, même dans le massif montagneux le plus haut du monde, le dérèglement climatique a déjà un impact bien visible. Nous n’avons pas opté pour le Népal car les lacs y sont sacrés. Au Ladakh en revanche, une région de l’Inde, la religion est différente. Elle est majoritairement bouddhiste et les lacs ne sont pas sacrés. Les lacs glaciaires s’y multiplient aussi. Avec la sécheresse qui augmente aussi là-bas, il n’y a plus assez d’eau à disposition pour irriguer des zones traditionnellement agricoles. Les gens sont donc obligés de se déplacer pour aller vivre dans des régions moins hostiles.
On parle des dégâts que pourrait causer le réchauffement climatique dans quelques années. Mais c’est déjà une réalité dans bien des régions du monde.
En outre, en juillet, c’est traditionnellement une période de fortes pluies. Le problème est que celles-ci se combinent désormais aux fontes des glaciers. Cela crée d’importantes inondations qui ravagent tout sur leur passage. Ainsi, dernièrement dans le village de Gia, situé à plus de 4 100 mètres d’altitude, il y a eu une catastrophe. Un jour de beau temps après des pluies, un bout de glacier s’est détaché. Cela a créé des torrents de boues, de rochers et d’eau qui ont ravagé l’école. Il leur faudra deux ans pour la reconstruire car tout est compliqué d’accès à cette altitude. On parle des dégâts que pourrait causer le réchauffement climatique dans quelques années. Mais c’est déjà une réalité dans bien des régions du monde. Aujourd’hui, au Ladakh, les populations multiplient les stupas de glace pour lutter contre la sécheresse. En hiver, ils forment des cônes de glace pour pouvoir une réserve d’eau en été. Et on est sur les flancs des montagnes les plus hautes du monde…
Quel est le but des deux jours de sensibilisation organisés par Riding to Explore ?
L’objectif est de convier le plus grand nombre de sportifs, dans des disciplines très différentes pour toucher et sensibiliser le plus de communautés possibles. il y aura Kilian Jornet, champion d’ultra-trail, d’alpinisme et de ski-alpinisme, Nicolas Fleury, champion du monde de BMX, Émilie Morier, cycliste et triathlète, Chloé Trespeuch, snowboardeuse vice championne olympique à Pékin, Hilary Kpatcha, championne d’Europe de saut en longueur, etc. L’objectif est de les sensibiliser pour qu’ils en parlent autour d’eux et d’organiser un débat sur le sujet des glaciers.
Le but n’est pas de faire de l’écologie punitive en pointant du doigt toutes les dérives. Mais de montrer les merveilles que la planète nous apporte aujourd’hui et qu’il faut préserver pour éviter qu’elles ne disparaissent. Pour les glaciers, c’est encore réversible si on fait tous de vrais efforts, sans juger ce que fait le voisin. Le 11 juillet, nous allons donc emmener ces sportifs au haut de la Mer de Glace au-dessus de Chamonix. On y dressera un état des lieux avec des glaciologues. Puis nous ferons une table ronde pour en parler avec différents experts. Kilian Jornet en profitera pour dévoiler un guide pour mieux profiter de la montagne sans l’abîmer.
Le 12, nous irons cette fois en bas de la Mer de Glace, au Montenvers pour bien comprendre le recul des glaciers au fil des ans. Tout cela ne dure que deux jours mais nous menons en parallèle des actions dans les écoles et nous sortirons un film de 52 minutes cet automne autour de l’expédition en Himalaya et au Pérou. Nous voulons faire passer le message de bien des manières.
>> Pour en savoir plus sur Riding to Explore, rendez-vous sur leur site.
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