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Légumes fermentés : du vivant dans son assiette !

Autour de Biliana Lesic, ancienne chercheuse en microbiologie, ils sont une petite dizaine à participer à l’atelier “Fermentation des légumes de saison”. Une activité apparue sur les réseaux sociaux à la rubrique “Chouchoutez votre microbiote, mangez fermenté”. En effet, surclassés depuis peu en “deuxième cerveau”, nos intestins sont désormais un lieu sous haute surveillance, car c’est dans notre ventre que se mijoteraient les maladies chroniques de notre siècle, du stress au côlon irritable. Se soigner en mangeant du fait maison est donc devenu le dernier tropisme à la mode – une tendance qui échappe, pour l’instant, à la grande distribution.

Dans son épicerie-laboratoire du XIIe arrondissement de Paris, la formatrice en « bien-être culinaire » s’est lancée dans le business de la fermentation juste après le Covid et l’explosion du manger sain et du Je-fais-tout-moi-même : “Au début, les gens venaient apprendre à conserver les légumes de leur jardin. Aujourd’hui, ils sont là surtout pour des raisons de santé.” Si ses stagiaires lui confient leurs petits soucis de ballonnements, de digestion difficile ou leurs problèmes de peau, l’experte ès microbiote intestinal précise qu’elle n’est pas médecin. Originaire des pays de l’Est et biberonnée à la fermentation, elle est surtout la porte-parole d’un procédé très ancien qui fait un retour en force aujourd’hui.

Choucroute coréenne

Le processus de fermentation existe depuis toujours, depuis que l’homme s’est jeté sur les fruits tombés de l’arbre ou une carcasse en train de pourrir. Une nourriture qu’il a trouvée acceptable sans doute pour sa survie, voire un peu euphorisante grâce à l’alcool dégagé par la putréfaction. En fait, l’ancêtre du faisandage, de la viande maturée. Selon Marie-Claire Frédéric, historienne de l’alimentation, ces pratiques très anciennes ont laissé des traces : “On a retrouvé, dans le sud de la Suède, une fosse archéologique de presque dix mille ans qui contenait des milliers d’arêtes de poissons écrasées, et cette pratique se prolonge aujourd’hui avec le ‘gravlax’ qui signifie ‘le saumon enterré’. On observe aussi que les chasseurs-cueilleurs, lorsqu’ils tuaient un animal herbivore, mangeaient le contenu de son estomac, tout contents de tomber sur du végétal fermenté source de nutriments et de vitamines ; en somme, nos premières choucroutes.”

Aujourd’hui, dans certaines régions du monde, la fermentation fait partie du patrimoine : le hareng suédois, le surströmming, salé et fermenté dans sa boîte pendant six à douze mois, se déguste avec oignons et pommes de terre à l’occasion de grandes fêtes. En plein air, à cause de l’odeur ! Le kimchi, choucroute coréenne, est aussi prétexte à une fête nationale où l’on se retrousse les manches entre voisins pour une préparation géante de ce plat national destinée aux familles dans le besoin.

Le surströmming, ce hareng fermenté suédois à l’odeur puissante, est une spécialité nordique appréciée des initiés. Traditionnellement dégusté avec du pain croustillant et des pommes de terre, il incarne un savoir-faire culinaire unique. Crédit : Marina Khlybova / stock.adobe.com.

Les légumes fermentés, une source de vitamines

La fermentation a accompagné l’homme durant toute son évolution, elle lui a permis de survivre en attendant de découvrir la pasteurisation et d’inventer la chaîne du froid. Au XVIIIe siècle, grâce aux tonneaux de choucroute emportés à bord, l’équipage du capitaine Cook, après deux ans en mer, est revenu à Londres au complet, épargné par le scorbut qui tuait à l’époque un marin sur deux. Une façon empirique de démontrer que la fermentation peut à la fois être source de vitamines, remplacer fruits et légumes et surtout, assurer une conservation au long cours.

Un processus naturel et spontané : les bactéries transforment le lait en yaourt ou fromage, en créant de l’acidité et en éliminant leurs ennemies, les bactéries pathogènes, moisissures, etc. Les bonnes bactéries occupent le terrain, le produit ne risque plus d’être altéré. Conservation garantie.

À lire aussi : Les 6 méthodes pour se lancer dans la lacto-fermentation

La lactofermentation pour une digestion facilitée

En créant cette acidité, les bactéries absorbent le sucre des aliments. Cette “lactofermentation” marche aussi pour les légumes où le sucre est très présent, comme les carottes, les betteraves, les tomates, les melons : “Dans le chou et, en général, dans tous les légumes crus, les bactéries se délectent des fibres qu’ils contiennent (en fait un bâton de sucre) et elles nous rendent service car en les grignotant elles les prédigèrent et nous permettent de mieux les assimiler”, explique Biliana, tout en invitant ses stagiaires à mélanger à la main chou en lamelles et carottes râpées avec du sel, avant de les enfermer dans un bocal et d’obtenir une mixture qui sera fermentée en quelques jours : “Pour les personnes qui ont du mal à manger cru ( pour cause de ballonnements, troubles digestifs, douleurs), je conseille d’en consommer un peu chaque jour en topping [garniture, ndlr] ou sous la forme de pickles.

Il n’est pas nécessaire d’en absorber des quantités pour en ressentir les bienfaits. Elle conseille d’essayer et d’observer les effets qui sont propres à chacun. Surtout sous nos latitudes où la fermentation ne fait pas partie de la nourriture quotidienne comme en Asie (miso, sauce soja) ou en Europe de l’Est (soupe bortsch ou Sarlame, chou farci polonais).

Un arc-en-ciel de saveurs fermentées : choux rouges, blancs et verts mêlés aux carottes pour une lactofermentation pleine de probiotiques et de croquant. Crédit : wollertz / stock.adobe.com.

Probiotiques naturels

Pourtant, les produits fermentés abondent autour de nous : le vin, la bière, le fromage, le pain et même le saucisson en font partie. La levure fabrique du gaz et fait lever la pâte du pain et des gâteaux, c’est elle qui rend la boisson pétillante. Mais le pain est cuit, la bière pasteurisée (donc plus d’organismes vivants, pas d’effet probiotique). Il a été observé que les peuples de la forêt qui se nourrissent de fruits et de graines ont un microbiote beaucoup plus riche que celui des populations des pays industrialisés : “Dans nos sociétés, notre microbiote est déséquilibré et s’appauvrit à cause de la nourriture industrielle, aseptisée et ultratransformée où il n’y a plus grand-chose de vivant”, explique Marie-Claire Frédéric.

L’intérêt de la fermentation, autrement dit un processus sans cuisson ni pasteurisation, est de conserver des micro-organismes vivants, des probiotiques naturels, différents selon chaque produit. Une variété capable de booster notre système immunitaire : “70 % de notre système immunitaire se trouve dans l’intestin, il est important de le stimuler ; notre bien-être physique et mental se joue au niveau de notre microbiote”, rapporte Biliana, qui a fait sa thèse à l’institut Pasteur.

“70 % de notre système immunitaire se trouve dans l’intestin, il est important de le stimuler ; notre bien-être physique et mental se joue au niveau de notre microbiote”.

5 fruits et légumes fermentés par jour ?

À l’Inrae, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, les bienfaits de la fermentation sur la santé sont devenus une priorité de la recherche, comme le souligne Marie-Christine Champomier-Vergès, directrice de recherche : “Il a été attesté que la consommation d’aliments fermentés augmente la diversité des micro-organismes de notre microbiote et que cette diversité diminue le risque de pathologies chroniques telles que le diabète et l’obésité.” Alors à quand une nouvelle recommandation “5 fruits et légumes fermentés par jour” ? La docteure en microbiologie y croit mais la recherche a encore besoin de preuves et de bases scientifiques solides.

De gros travaux sont d’ailleurs en cours à l’échelle européenne : “Est-ce bon en cas d’allergies, pour le métabolisme, les maladies cardiovasculaires, pour qui et quels aliments ? Seul le yaourt bénéficie d’une allégation de santé pour les intolérants au lactose attribuée par l’Efsa, autorité européenne de sécurité des aliments ; depuis, nous n’avons pas encore obtenu la même certitude pour d’autres produits fermentés, mais nous y travaillons !” Elle ajoute que la fermentation végétale en particulier, comme alternative aux produits laitiers mais aussi carnés, a un rôle à jouer dans la transition énergétique. Elle pourrait devenir l’alimentation de demain.

Explorer à grande échelle le potentiel de la fermentation et son impact sur la santé

Pour aller dans ce sens, un projet vient de voir le jour : le Grand Défi “Ferments du futur”, soutenu par l’État à hauteur de 48 millions d’euros. Il associe chercheurs et industriels de l’agroalimentaire pour explorer à grande échelle le potentiel de la fermentation et son impact sur la santé. Pour l’instant, elle est encore une niche où les initiés échangent leurs recettes autour d’un verre de kombucha, boisson fermentée, pétillante, non alcoolisée et peu sucrée. Aux États-Unis, pour anticiper la concurrence avec les sodas, Pepsi a racheté tous les fabricants et produit le kombucha sous une autre marque. Il faut compter aussi avec une boisson similaire et très tendance, le kéfir, dont Christophe Lavelle, biophysicien au Muséum national d’histoire naturelle, tente de percer le mystère : “Personne ne sait fabriquer les graines de kéfir, on ne sait pas non plus d’où elles viennent.”

Autre particularité, au cours de la fermentation, elles se multiplient comme des petits pains et ces quantités s’échangent et se donnent volontiers entre amateurs. Reste à en verser 20 grammes dans un litre d’eau, un peu de sucre, une rondelle de citron et un fruit sec pour que les bactéries se nourrissent et dégagent du CO2 pour les bulles. Un champ d’études inépuisable pour le chercheur qui a créé une “kéfirothèque” au sein du Muséum. Le but, récolter quelques centaines de souches de kéfir auprès d’un millier de foyers, séquencer leur ADN et mieux connaître la biodiversité de ces étranges petites billes translucides qui nous veulent du bien.

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