5 campagnes de crowdfunding qui ont tourné au cauchemar

En mai dernier, Kickstarter, la plateforme de financement participatif numéro 1 aux États-Unis, fêtait son arrivée en France. Venue concurrencer Ulule et KissKissBankBank sur le marché en plein essor du crowdfunding, elle ne voit que 37,53 % de ses campagnes atteindre leur objectif, là où ses concurrentes atteignent respectivement 51 % et 65 %. Preuve que, malgré l’engouement qui entoure l’essor de ce nouveau mode de financement, son usage n’est pas toujours la panacée.

À l’inverse, lorsque la collecte atteint son objectif, comment s’assurer que celui ou celle qui l’a lancée fait bon usage de l’argent versé par les particuliers ? Malgré les filtres mis en place par les plateformes, les dérapages existent. Voire, les arnaques, en particulier aux États-Unis. Pour la première fois, l’une d’entre elles vient d’ailleurs d’être portée devant la justice américaine.

Une campagne pour son déménagement

L’histoire semblait pourtant bien engagée. En 2012, Erik Chevalier lance sur Kickstarter une idée de jeu proche du Monopoly : The Doom That Came To Atlantic City (La Ruine d’Atlantic City). Une campagne qui, à sa clôture, dépasse largement ses objectifs : son initiateur américain récolte 122 874 dollars, contre les 35 000 espérés au départ.

Mais voilà. Dans les mois qui suivent, Erik Chevalier reste très évasif sur l’avancée de son projet de jeu. Jusqu’à ce jour de 2013, où il publie un message lapidaire intitulé “Terminus” sur la page Kickstarter de son projet :
 

“Ce n’est pas facile à écrire.
Pour faire court : le projet est terminé, le jeu est annulé”.

Les commentaires appelant au remboursement des sommes versées se multiplient, sans réponse du fondateur. Finalement, en juin 2015, l’agence fédérale américaine spécialisée dans la protection des consommateurs (la Federal Trade Commission), se saisit de l’affaire et condamne Erik Chevalier à rembourser de l’argent perçu. Seulement, le fraudeur est aujourd’hui insolvable… Il s’est servi de cette manne pour déménager à Portland. L’exécution du jugement est donc, pour l’heure, suspendue.

“Une tablette pas comme les autres”

Indiegogo, autre géant américain du crowdfunding, affichait, en 2014, un taux de réussite de seulement 12 % de ses projets. La plateforme, récemment médiatisée dans le monde entier à la suite du lancement d’une campagne de financement du premier porno spatial, n’est pas épargnée par la fraude.

Dernier projet fumeux en date : l’UbuTab, une tablette numérique pour “les amoureux du multimédia”. Prévu pour contenir jusqu’à 2 teras de mémoire, l’objet n’a jamais vu le jour. Motifs invoqués : des problèmes avec les douanes en Pologne, là où étaient sensées être fabriquées les tablettes, ainsi qu’une qualité des produits non conforme aux exigences de la fondatrice. Depuis, le site de la société a disparu et les nombreuses demandes de remboursement demeurent insatisfaites.

La somme dérisoire de 36 000 dollars, sollicitée pour la fabrication du produit, ainsi que l’évolution récurrente des caractéristiques de la tablette, auraient pu alerter les potentiels clients. Pourtant, 152 personnes se sont retrouvées piégées.

Pour rassurer ses utilisateurs, Kickstarter affirme que les quelques projets douteux qui échappent à sa vigilance n’atteignent pas leur objectif, empêchant leurs initiateurs de recevoir l’argent versé. La réalité, on l’a vu, s’avère plus complexe…

Quant à Indiegogo, il propose même une option – intitulée “flexible” – permettant de contourner ce principe. En l’activant, l’initiateur de la campagne peut percevoir les financements reçus, même si à la date de clôture, le montant fixé n’est pas atteint. Une option qu’UbuTab avait activée… au détriment de ses soutiens financiers.

“La plus grosse escroquerie de l’histoire du crowdfunding”

Dans ses conditions d’utilisation, Kickstarter est formel : c’est aux usagers de vérifier la viabilité des projets. Sunny Bates, membre du conseil d’administration de la plateforme, expliquait tout de même au site d’information américain Polygon que sa société pouvait contacter les fraudeurs éventuels, voire se joindre à d’éventuelles poursuites en justice. Elle relativise toutefois l’intérêt d’une telle démarche. Selon elle, le montant moyen versé par les utilisateurs – 71 dollars – ne justifie pas la lourdeur d’une procédure judiciaire.

 

“Pourquoi Kickstarter ne peut pas intervenir ? Et bien, parce que ce n’est qu’une plateforme. Donc nous ne pouvons rien faire”, précise Sunny Bates.

Sur le site du géant américain, il revient donc aux contributeurs de signaler les campagnes qui leur paraissent douteuses, afin qu’une équipe baptisée “Intégrité” puisse intervenir et les supprimer si besoin.

C’est ainsi que le scandale du bœuf de Kobe bio a été évité. Les initiateurs de ce projet affichaient l’idée d’ouvrir un point de vente de bœuf de Kobe séché bio, ce bœuf japonnais élevé à la bière, massé puis séché, avant sa consommation. Pour ce faire, les fondateurs avaient notamment mis en ligne des avis dithyrambiques de faux testeurs.

Ce sont les réalisateurs d’un documentaire sur Kickstarter qui ont découvert cette tentative d’escroquerie. Ses auteurs n’avaient en réalité pour autre projet que d’empocher l’argent et de disparaître. Un jour avant sa clôture, alors qu’elle avait permis de lever 120 000 dollars, la campagne a été annulée par la plateforme. Et le scandale évité.

Banqueroute personnelle et dépression

En France, les plateformes ne recensent pour l’heure aucune arnaque caractérisée. Mais les dérapages, en matière de crowdfunding, ne sont pas toujours le fait de personnes mal intentionnées.

Selon Arnaud Burgot, directeur général d’Ulule, les problèmes rencontrés avec le jeu de société Massilia étaient inédits. Peu après le financement du projet à hauteur de 123 % de la somme escomptée, son initiateur, Alain Epron, avait disparu, laissant ses soutiens financiers sans nouvelles. Abandonné par son fabricant, puis ses distributeurs, il a tout simplement été contraint de déposer le bilan, sans pouvoir produire son jeu.
 

“Cela a également conduit à une banqueroute personnelle, qui a conduit elle-même à une dépression”, affirme le créateur de Massilia, dans sa lettre d’excuse publiée par le site de jeux Ludovox.

L’histoire, cette fois, se termine bien. En 2014, la société de jeux de plateaux Quined Games accepte finalement de reprendre Massilia, pour permettre aux contributeurs d’obtenir leur exemplaire du jeu. Un sauvetage inespéré, mais jugé insuffisant par certains contributeurs, qui, encore aujourd’hui, demandent pourquoi Ulule n’est pas intervenu pour vérifier la crédibilité de l’idée.

Cet échec, qui ne relève pas de la fraude mais d’un enchaînement de circonstances économiques négatives, rappelle que le crowdfunding revêt un aspect aléatoire. Les plateformes devraient-elles rembourser les sommes versées en cas de déconvenue, comme le demandent certains internautes ? Fausse bonne idée selon Arnaud Burgot. Si les plateformes s’engageaient à rembourser les internautes en cas d’arnaque, estime l’entrepreneur, elles s’exposeraient à une augmentation du nombre de fraudeurs.
 

“Il ne faut pas que cela puisse pousser les porteurs de projet à se sentir moins responsables”, argumente le directeur général d’Ulule, à Proxi-Jeu, un site dédié aux jeux de société.

La seule protection viable, estime Arnaud Burgot, reste les systèmes de notation, qui permettent de mesurer la confiance accordée par les Internautes à tel ou tel porteur de projet. Ulule indique également, dans ses conditions générales, qu’il se réserve le droit de refuser tout projet incohérent, sans avoir à se justifier auprès du créateur.

De son côté, KissKissBankBank sélectionne les profils en vertu de leur “finalité précise” et évacue les projets personnels. En outre, il propose une gamme de “mentors” tels que La Banque Postale ou Greenpeace, qui peuvent accompagner les projets et garantir leur crédibilité.

“L’homme qui a perdu sa maison à cause d’une campagne réussie”

Parfois, à défaut d’esprit fraudeur, c’est la naïveté qui conduit une campagne à l’échec. C’est le sort qu’a connu le projet de jeu de société Glory To Rome, initié par Ed Carter, pour qui l’entrepreneuriat n’était qu’un passe-temps. Son objectif était de lever 21 000 dollars ? Il en a récolté 73 102 !

À cette surprise en succède une autre, moins heureuse… Sur la page de son projet, l’Américain a oublié de préciser les coûts d’envoi de son jeu hors États-Unis. Il doit donc financer lui-même les expéditions en Chine et en Australie !  Une malheureuse omission qui lui coûtera 120 000 dollars.

Licencié par son employeur en raison de son investissement trop important dans ce loisir, et alors que toutes ses économies étaient passées dans le projet, Ed Carter s’est retrouvé dans une situation délicate. Mais bien décidé à honorer son engagement, il a décidé de vendre sa maison située dans la région de Boston.

En France, un décret relatif au financement participatif signé en 2014 a imposé plusieurs mesures pour améliorer la sécurité et la transparence dans le secteur. Parmi elles, l’impossibilité de contribuer pour plus de 1 000 euros à un projet, ou encore l’accès au fichier bancaire des entreprises (FIBEN) pour vérifier leur situation financière.

À plus long terme, il ne serait pas impossible de voir se développer des systèmes d’assurance sur ces sites. En octobre 2014, la compagnie d’assurances Axa a investi 350 000 euros dans Particeep, une jeune entreprise qui offre aux start-up et PME des plateformes de crowdfunding personnalisées. L’objectif est clair :
 

“[Il s’agit] d’introduire une assurance de crowdfunding pour les investisseurs, qui fera partie d’un de ces standards indispensables pour créer de la confiance envers les projets de startups”, explique Steve Fogue, le PDG de Particeep.

Malgré ces progrès, il sera difficile, pour le crowdfunding, d’échapper à une règle immuable. En économie, tout investissement comporte sa part de risque.

Jean Duffour
Journaliste à We Demain
@JeanDuffour

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