Partager la publication "“À l’heure du digital, l’enseignant doit connecter les savoirs au monde réel”"
Pour Koby Rubinstein, vice-président de la recherche et professeur de mathématiques au Technion, les professeurs doivent aider les élèves à comprendre l’intérêt des savoirs, et interroger leur utilité dans la société, à travers des projets pratiques, interdisciplinaires, et une réflexion éthique.
Koby Rubinstein : Quand j’ai débuté ma carrière, je m’imaginais l’enseignement comme un transfert des connaissances, de ma tête à celle des étudiants. Et puis il y a vingt ans, les élèves se sont mis à déserter mon cours. D’abord 20 %, puis un quart, puis la moitié. Je me suis remis en question : était-ce ma faute. Qu’avais-je fait pour cela ? J’ai fini par comprendre : j’avais mis mes cours en ligne. On pouvait télécharger, gratuitement, tous les contenus. Pourquoi les élèves se déplaceraient-ils en classe ? Je n’ai pas remis en cause ce que j’avais fait, apporter de la connaissance, à tous. Ce que je devais faire, c’était changer ma manière d’enseigner.
Mon métier d’enseignant, à l’ère du digital, c’est de connecter le savoir au monde réel et de questionner l’intérêt des savoirs. Je ne cesse de demander aux élèves : quelles applications concrètes feriez-vous de telle ou telle découverte mathématique en archéologie, en technologie, etc. ? Ils ne sèchent plus mes cours !
Pour rendre ces cours plus pratiques encore, vous fonctionnez en mode projet ?
Oui, tout au long de l’année. Nous bâtissons des projets qui mobilisent des connaissances dans plusieurs disciplines scientifiques. Les projets sont de merveilleuses façons d’apprendre, dès le secondaire. Le projet FIRST, par exemple, une compétition de robotique, disputée par plusieurs établissements scolaires : chaque école conçoit et réalise son propre robot. Comme plusieurs universités, Technion participe aussi depuis 2012 au concours iGEM, qui cherche à la biologie de synthèse des applications susceptibles d’améliorer le quotidien des individus. Nous croisons les mathématiques, le génie chimique, la physique, la médecine, etc.
Hormis ce changement de pratiques pédagogiques, quels avantages voyez-vous au numérique ?
C’est un outil de communication, qui nous permet de résoudre – en partie – le problème auquel nous sommes sans cesse confrontés : le temps long de la recherche conjugué à l’urgence de trouver des solutions. On peut mobiliser en quelques minutes et à distance plusieurs étudiants et chercheurs, on échange très vite. Il aide indirectement le progrès mathématique sans lui être indispensable. De leur côté, les mathématiques sont indispensables aux progrès du numérique.
C’est aussi un outil qui nous permet de nous former plus facilement tout au long de la vie. 20 % de nos formations, à distance, par vidéo, sont dédiées à des professionnels, des ingénieurs notamment.
Comment (ré)apprendre les sciences à l’ère du numérique ?
Grâce à une démarche éthique. Les scientifiques doivent se sentir responsables de ce qu’ils font, et les expériences doivent être contrôlées. Je vous donne un exemple concert. J’ai proposé une expérience aux classes de génie civil : imaginer un tuyau pour transporter du sang de Tel-Aviv à Jérusalem. Ils se sont appliqués à calculer la pression nécessaire, la texture en fonction de celle du sang, le diamètre… Mais personne ne s’est demandé : “Pourquoi faire cela ? Pourquoi est-ce bon ?” C’est pourtant essentiel. Pour que nos recherches restent sur la bonne voie, nous avons mis en place cinq comités d’éthique. Nous avons aussi embauché davantage de professeurs de philosophie et d’éthique pour apprendre la responsabilité sociale à nos élèves. Cette question se pose tout particulièrement aujourd’hui, quand l’IA est embarquée dans un véhicule ou un outil chirurgical. À qui incombera la faute si elle provoque un accident mortel ? Ces questionnements doivent être posés, et nous devons y répondre avec toute notre intelligence. Notre dignité d’homme en dépend.
Pour vous inscrire, c’est ici.