Partager la publication "Antonin Léonard : “Un âge 2 de l’économie collaborative se dessine”"
We Demain : Le 20 mai, vous inaugurerez à Paris la troisième édition OuiShare Fest. Que nous réserve ce rassemblement des acteurs de l’économie collaborative ?
Antonin Léonard : Le programme a été co-construit avec la communauté mondiale de OuiShare, qui nous a soumis plus de 200 contributions. Il est organisé autour de douze grandes questions, telles que “économie collaborative et développement durable”, “travailler avec des robots”… Il y aura des keynotes, des workshops, de la musique. Ce n’est pas une “conférence business”, c’est un festival. Ici, tu peux discuter avec l’auteure et entrepreneuse américaine Lisa Gansky, à côté d’une fanfare, ou boire un club Maté avec Michel Bauwens, le théoricien belge du “peer to peer”. On fuit la “starification”, qui est à l’opposé des valeurs collaboratives.
Vous avez choisi comme thème “Lost In Transition ?”. Expliquez-nous.
On a beaucoup réfléchi à ce titre qui n’est pas forcément le plus vendeur. Le terme “transition” est de plus en plus utilisé, voire revendiqué par différentes communautés qui se posent la question du passage d’un modèle centralisé à un modèle plus décentralisé source “d’empowerment” pour les individus. Mais dans le même temps, on ne voit pas toujours très bien quelles sont les avancées concrètes, ni où cela va nous mener. Et le terme ne recouvre pas toujours la même réalité. Prenez Michel Bauwens et Jeremiah Owyang. Le premier milite pour une société post-capitaliste avec le développement de la production en commun. Le second est plus dans le prolongement d’un modèle libéral et se demande comment les organisations traditionnelles peuvent se transformer au contact des start-up. On trouve peu d’espaces où la tension entre ces deux modèles peut s’exprimer. On a décidé de fuir le consensus.
Justement. Deux livres récents, l’un de Jeremy Rifkin et l’autre de Michel Bauwens prédisent rien de moins que la fin du capitalisme. Dans ces scénarios, la propriété privée et la logique de la concurrence cèdent respectivement la place aux “communs” et aux “communaux collaboratifs”. Est ce que OuiShare se positionne face à ces prophéties économiques et politiques ?
On est tiraillés. Beaucoup de personnes impliquées dans OuiShare pensent qu’il ne suffit plus de créer les conditions du débat mais qu’il faudrait aussi prendre position et influer ce débat. Ne pas se positionner comme de simples experts neutres, mais également comme des militants. Cela dit, il est clair qu’on veut faire évoluer le monde vers plus de progrès social et davantage d’égalité. Et qu’on se demande dans quelle mesure l’économie collaborative peut y contribuer.
L’économie collaborative est vue depuis sa naissance comme une source d’innovation rendant possible la “transition”. Mais toutes ses promesses n’ont pas été tenues et aujourd’hui beaucoup de questions se posent autour de ce que serait cette fameuse “société collaborative”. Les critiques se concentrent sur le fait que des plateformes comme Airbnb ou Uber utilisent des logiques collaboratives comme la décentralisation du travail, mais restent dans un partage de la valeur capitaliste classique, centralisé. C’est vrai, mais il faut voir plus loin, car des modèles alternatifs se dessinent, notamment grâce aux cryptos-monnaies. Je pense à La’zooz, qui mêle la logique du blockchain à celle d’Uber.
En français, cela donne quoi ?
Cela donne une voiture qui génère une monnaie convertible directement en actions de l’entreprise lorsqu’elle embarque des passagers : plus vous conduisez, plus vous prenez des parts. La valeur produite par l’entreprise s’est partagée plus équitablement entre ses différents contributeurs. Autre exemple de partage de la valeur : lorsque Etsy, ce site de vente d’objets faits main (qui a récemment racheté le leader français du secteur A Little Market, NDRL) est entré en bourse, l’entreprise a libéré une partie des actions prioritairement pour les contributeurs du réseau. C’est d’ailleurs l’une des principales entreprises certifiées B-Corp (NDLR : Benefit Corporation, un label qui assure que l’entreprise respecte un certain nombre d’engagements vis-à-vis de ses parties prenantes), la seconde à entrer en bourse.
Ces nouveaux acteurs émergent donc “en réaction” aux systèmes comme celui bâti par Uber ?
Probablement. Un deuxième âge de l’économie collaborative se dessine, où les entreprises leaders auront dans leur ADN un partage de la valeur différent. Sans Microsoft, il n’y aurait peut-être pas eu Linux. Quels seront les Linux de l’économie collaborative ? Accompagner leur émergence fait partie des missions de OuiShare.
Il y a une vraie appétence locale. Nous travaillons actuellement sur Sharitories, un programme visant à faire saisir aux collectivités locales les opportunités offertes par l’économie collaborative sur leur territoire. Nantes, l’Isère, le Grand Lyon, la Gironde ou Bordeaux y voient ainsi un potentiel de développement économique, de création d’emplois et de renouveau du vivre ensemble. Au niveau national, c’est plus dur, car cela demande un virage à 180 degrés face à la culture française de la hiérarchie. La génération au pouvoir freine. Même Emmanuel Macron a répété il y a peu qu’il croyait dans la verticalité du pouvoir politique et voyait d’un mauvais œil ce qui est horizontal. Il y aurait pourtant des choses à faire. Dans le livre Open Models qu’il a coordonné, Louis David Benyayer formule une dizaine de recommandations visionnaires, comme le fait qu’1 % du budget soit alloué aux projets open source. Au lieu de cela, on nous parle courbe du chômage, panier d’achat ou retour de la croissance, autant d’indices insuffisants aujourd’hui.
Et pendant ce temps, seuls les extrêmes semblent tirer profit de cette période de “transition”.
À côté de la montée, réelle, de certains extrêmes, émergent de nouveaux outils tendant à réinventer notre démocratie sur un modèle plus contributif. Il y a, de ce côté, une effervescence d’initiatives qui visent à faire de la politique différemment, comme Democracy OS, une organisation sans but lucratif qui développe un outil open source permettant la prise de décision collaborative, et qui vient d’intégrer le prestigieux Y Combinator, le principal accélérateur de la Silicon Valley.
Citons aussi Meu Rio, une plateforme de participation citoyenne pour changer la ville à son échelle qui fait grincer des dents le maire de Rio et s’apprête à investir 25 nouvelles villes au Brésil. Leur deux fondatrices interviendront d’ailleurs au OuiShare Fest. En France, la plateforme Parlement & Citoyens permet aux citoyens de participer à la rédaction de lois. A noter que Podemos a fait appel à la chercheuse Mayo fuster Morell pour rédiger son programme économie collaborative. Elle n’est autre que l’ancienne compagne d’Enric Duran, un anticapitaliste qui milite pour la création de coopératives autogérées et utilisant une monnaie locale !
Observe-t-on des effets de ce changement paradigme dans le monde du travail ?
On entre dans une phase de mutation plus importante. En 2020, plus d’un quart des actifs en Europe seront freelance (40 % aux Etats-Unis). Comment se prépare-t-on à cette évolution ? Nous avons consacré l’un des chapitres de notre livre Société Collaborative à ce sujet. Au OuiShare Fest, on retrouvera d’ailleurs Freelancer unions, le premier syndicat Américain pour travailleurs indépendants, qui a développé une mutuelle et une assurance chômage. Les grands groupes commencent à comprendre qu’ils ne sont pas armés pour ce changement et investissent des moyens importants pour se transformer, stimuler l’innovation en leur sein et attirer des talents, à grand coups d’accélérateur, de fonds corporate et d’innovation ouverte.
Il s’est passé cinq ans depuis le moment où l’étudiant Antonin Léonard ouvrait un blog sur la consommation collaborative et aujourd’hui, où le mot “collaboratif” est sur toutes les langues. Aviez-vous prévu ce qui s’est passé ?
J’avais une intuition : cela allait se développer de manière importante. Je pratiquais déjà le couchsurfing, le coworking… Mais je ne m’attendais pas a ce que cela devienne un mouvement médiatique aussi important. Surtout je ne m’attendais pas a ce que OuiShare devienne ce qu’elle est aujourd’hui. Nous avons 3 000 inscrits qui se reconnaissent dans la vision et le message de l’organisation. 70 “connecteurs” répartis dans 20 villes en Europe, Amérique du Nord et du Sud, au Moyen-Orient et au Maghreb, qui font dialoguer localement les acteurs, organisent des rencontres entre start-up, entrepreneurs, grands groupes, citoyens et politiques. Enfin, il y a les personnes les plus impliquées, pour qui OuiShare est un modèle économique de plus en plus important. Elles sont une vingtaine, en majorité à Paris.
Comment fonctionne cet écosystème ?
OuiShare est moins un think-tank qu’une expérience collaborative à ciel ouvert, avec ses réussites et ses douleurs. L’une de nos valeurs fondatrices, c’est d’être en “bêta” permanente. Nous sommes une organisation horizontale qui cultive l’agilité et la solidarité, qui rassemble beaucoup de déçus du salariat traditionnel : un réceptacle pour “job-outeurs”. Notre fonctionnement interne s’inspire des théories de l’holacratie, de la stigmergie et de la do-o-cratie. Il n’y a pas de période d’essai.
Arthur a débarqué sans prévenir et s’est retrouvé rédacteur en chef de OuiShare. Diana est venue en bénévole : elle est aujourd’hui responsable du programme OuiShare Fest et a coordonné le livre que nous allons publier. Chacun peut venir nous rencontrer tous les vendredis au sein de notre espace de co-working Volumes. Et nous réunissons notre communauté mondiale tous les six mois dans une ville européenne. Nous sommes actuellement dans une période faste. On se voit comme un incubateur pour ceux qui se sentent “en transition” dans le monde actuel.
Justement, en attendant l’avènement du “post capitalisme”, vos ressources proviennent principalement de grands groupes. Comment les choisissez-vous ?
On prend le temps de mettre en place des partenariats à long terme avec des entreprises avec lesquelles nous partageons des valeurs et une approche. L’assureur MAIF nous sollicite régulièrement pour notre vision stratégique autour de l’économie collaborative. Nous faisons des interventions en interne, du coaching sur certains sujets. La MAIF a créé un poste de responsable économie collaborative, avec une équipe grandissante et une chouette énergie. Ils se rapprochent de startups dans le domaine de l’habitat, du transport (Koolikar), du tourisme (Guest-to-Guest), toutes les activités qui sont impactées par l’économie collaborative et ont besoin d’un nouveau modèle d’assurance. C’est l’assureur historique de BlaBlaCar. Ils voient également une proximité de valeurs entre leur modèle mutualiste historique et la société collaborative.
La SNCF est aussi un partenaire. Pour elle, l’économie collaborative signifie l’intégration de nouvelles formes de mobilité partagée. Il s’agit aussi d’imaginer les gares de demain pour en faire des lieux de vie, artistiques et plus ouverts à la participation citoyenne. En retour, on apprend énormément de ces groupes. Up Group, anciennement Chèque déjeuner, par exemple, 80 ans d’existence et des milliers de salariés, se développe à l’international en rachetant des entreprises et en les transformant en coopératives.
Après le OuiShare Fest, quels sont vos projets ?
D’abord, un travail de réflexion et de production de rapports sur trois sujets : le lien entre l’économie collaborative et l’économie sociale et solidaire (ESS), les ruptures technologiques à venir comme le Blockchain, et enfin l’économie collaborative et les exclus de l’économie. Nous travaillons par ailleurs sur POC 21, un accélérateur de projets open source écologiques qui va débuter fin août. Mais aussi sur une structure d’accompagnement des grands groupes et des PME et une sorte d’académie-incubateur de projets et de personnes.
Propos recueillis par Côme Bastin
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