Partager la publication "Au Groenland, la grandiose et éphémère ronde des icebergs"
Arrivée à Ilulissat, ce qui signifie en inuktitut “beaucoup d’icebergs”. En effet, le navire en croise de plus en plus. Le premier ressemble à une tour de Babel rasée dont il ne resterait que le premier tour de spirale. Le second, à un gros ours terré, la tête aplatie sur l’eau et sa croupe remontée …
Chacun d’eux est unique. Certains sont sculpturaux, d’autres sont des monstres de plusieurs dizaines de mètres de haut et jusqu’à plusieurs kilomètres de long. Et, comme chacun le sait, un volume sept à neuf fois de celui qui émerge, se déplace, caché sous la ligne de flottaison.
Du bleu vert-émeraude auréole parfois leur base érodée par le ressac. D’autres sont d’un bleu cristallin. Ils sont faits de glace issue de neige compressée pendant plusieurs milliers d’années, et dépourvue de bulles. Certains, ayant piégé des eaux de bédières (les rivières de fonte des glaciers) qui se sont recongelées, sont veinés d’un bleu laiteux comme des sucettes.
Glaciers émissaires
Kangia produit chaque année 46 km cube de glace, de quoi couvrir les besoins annuels des États-Unis en eau. Ce glacier est un des milliers de “glaciers émissaires”, langues glaciaires qui, tout autour du petit continent, délestent des bouts de la calotte vers la mer.
Autrefois, Kangia vélait directement ses icebergs dans la baie de Disko. Mais en moins de 100 ans et de plus en plus vite le glacier a reculé vers le fond du fjord. Il avance aussi de plus en plus vite – la vitesse de sa progression est passée en quelques dizaines d’années de 15 m par jour à 30 m par jour. En comparaison un glacier des Alpes avance de quelques mètres en un an, autre signe que l’Arctique se réchauffe beaucoup plus vite que partout ailleurs.
C’est là que depuis l’inscription du site par l’Unesco en 2004 sur la liste du Patrimoine de l’Humanité, on peut venir les voir en traversant sur des passerelles en bois une toundra où s’étaient établies, il y a 4 000 ans les tribus nomades Sermermiut. Un spectacle féérique.
Mais aujourd’hui je constate qu’en place des véritables paquebots de glace qui saturaient l’embouchure en 2013, la plupart des icebergs, toujours très beaux, sont beaucoup plus petits et nagent dans une soupe bleue, escortés par des centaines de glaçons.
Paysage grandiose et éphémère
Le pêcheur raconte que cette année il n’y a eu aucune banquise dans la baie alors que les années précédentes elle était encore présente de décembre à mars. À peine arrivés près d’un mastodonte, Elsa Freschet, l’une des naturalistes, repère le souffle de deux baleines à bosse nageant on ne peut plus tranquillement au pied du mur coupé au cordeau de l’iceberg géant.
Leurs dos apparaissent trois fois avant qu’elles ne se cambrent, leur nageoire caudale se lève et elles disparaissent. Ne restent que quatre têtes noires de phoques oscillant comme des flotteurs… Les baleines refont surface quelques centaines de mètres plus loin dans un des défilés de ce paysage grandiose et éphémère.
Finir de s’éroder et de fondre
La plupart des icebergs vont entreprendre un long voyage de 3 ans qui va les emmener, portés par les courants dans une ronde le long de la côte jusqu’à l’extrême nord de l’île, va passer devant la Terre d’Ellesmere et redescendre, longeant la côte de l’île de Baffin, où ils vont finir de s’éroder et de fondre au Labrador.
Certains s’aventurent beaucoup bas, comme l’illustre inconnu qui a coulé le Titanic, ou le bourguignon (petit iceberg) vu aux Bermudes en 1926. On a pu suivre l’odyssée d’un iceberg tabulaire qui, au bout de 10 ans, est parvenu jusqu’aux Açores !
Jean-Paul Curtay.
Pour en savoir plus :
Christian Kempf, Le Monde des icebergs, Éditions de l’Escargot Savant.
Janot Lamberton et Philippe Bourseiller, Voyage dans les glaces, La Martinière
www.blog-de-glace.org
Il est l’auteur de nombreux livres, dont Okinawa, un programme global pour mieux vivre, le rédacteur de www.lanutritherapie.fr, et continue à peindre et à voyager afin de faire l’expérience du monde sous ses aspects les plus divers.