Bertrand Piccard : “ Mon nouveau défi après Solar Impulse ”

We Demain : Après l’aventure “Solar Impulse”, vous lancez l’Alliance mondiale pour des solutions efficientes : comment vous en est venue l’idée et quel en est l’objectif ?

Bertrand Piccard : L’objectif est de trouver 1 000 solutions rentables pour protéger l’environnement. L’Alliance mondiale des solutions efficientes va réunir des individus, des start-up, des petites et grandes entreprises… Et des organisations qui ont des idées, des produits, des processus, des technologies propres. Ce n’est plus en parlant des problèmes que l’on va mobiliser les populations, les politiques et les industriels, c’est en montrant qu’il existe des solutions.

Dès aujourd’hui, elles sont assez nombreuses pour diviser par deux les émissions de CO2 et les gaspillages d’énergies. Mais elles sont méconnues, négligées, non financées. L’idée, avec la fondation Solar Impulse et ses partenaires, c’est d’offrir gratuitement à tous les membres de cette alliance une mise en relation avec des experts, une promotion auprès des médias, des responsables politiques et des industriels.
 

Dans “solutions efficientes”, il y a bien l’idée d’allier efficacité économique et écologie ?

Oui, c’est l’idée de rentabilité. Au nom de la protection de l’environnement, nous n’allons pas obliger les gens à décroître, à réduire leur mobilité et leur qualité de vie. Sinon, nous nous heurterons à un refus généralisé : la nature humaine veut avoir plus et mieux et non pas moins et moins bien. Il faut offrir à la population et aux entreprises des solutions “gagnant-gagnant” entre environnement et économie, des solutions qui créent du développement et de l’emploi. Nous avons les moyens technologiques pour aller vers une croissance propre bien supérieure au statut quo sale d’aujourd’hui.
 

On peut vraiment trouver 1 000 solutions ?

Absolument. Je suis stupéfait du nombre et de la qualité des dossiers que nous recevons. Mascara, Ecotech Ceram, Akuo, View Glass créent un nouveau marché industriel : il s’agit de remplacer les moteurs thermiques, les maisons mal isolées, les ampoules à incandescence, les chauffages archaïques, les airs conditionnés démodés, les réseaux de distribution inefficaces, les processus industriels du siècle dernier, par des nouvelles technologies qui sont l’avenir de l’industrie et protègent l’environnement.
 

Qui peut faire partie de cette alliance ?

Peuvent adhérer à l’Alliance tous ceux qui signent une charte éthique et respectent les objectifs du développement durable de l’ONU. Ils soumettent leurs solutions, pour expertise, à nos partenaires : l’Agence internationale de l’énergie, la Commission européenne, la Banque européenne pour l’investissement, l’Union pour la Méditerranée, etc. Celles qui s’avèrent les plus efficaces pour l’environnement entrent dans la liste des 1 000 et sont labélisées.

Par ailleurs, on fait se rencontrer des entreprises qui ont des besoins financiers et des investisseurs. Un responsable de la Banque mondiale me disait récemment qu’il y a des milliards de dollars qui cherchent de bons projets pour investir. Notre rôle sera de leur apporter ces bons projets.
 

Comment sera financée cette Alliance ?

La fondation Solar Impulse a des partenaires privés et industriels comme Nestlé, Engie, Air liquide, qui lui permettent d’offrir gratuitement la totalité des services à l’Alliance.

N’est-il pas paradoxal d’avoir comme partenaire Engie, qui produit encore des énergies carbonées et ne compte pas abandonner le nucléaire ?

Engie est justement en train de se désinvestir des énergies fossiles pour se concentrer exclusivement sur le renouvelable. C’est un bel exemple : il faut travailler avec des entreprises qui ont des visions et qui les mettent en œuvre aujourd’hui, sans attendre 2050.
 

Avec quels gouvernements travaillez-vous ?

Nous travaillons notamment avec la Commission européenne, sous forme de conférences, de colloques, de voyages. Nous sommes, par exemple, partis en juin dernier en Chine, pour le Clean Energy Ministerial, la réunion des ministres de l’Énergie des 23 plus grands pays industriels.
 

La France, qui a organisé la COP 21, et qui a Nicolas Hulot comme ministre de l’Écologie, a-t-elle une responsabilité particulière dans cette transition ?

Oui, car la France est en recherche d’activité et de création d’emplois. Or ce n’est possible qu‘en remplaçant les vieux systèmes pollués par de nouveaux systèmes. La France doit y investir à fond pour retrouver de la croissance et réduire le chômage. Mais une croissance propre, avec des voitures électriques, des maisons mieux isolées, de nouveaux types de chauffage, des infrastructures durables, des énergies renouvelables… C’est le marché industriel du siècle. Ce serait un drame que la France manque cette opportunité, mais j’ai le sentiment qu’elle est sur la bonne voie.

En face de vous il y a des lobbys très puissants : pétroliers, nucléaires… il y a Donald Trump, qui est revenu sur les engagements de la COP 21. Pouvez-vous leur résister ?

Oui, car mon objectif n’est pas de lutter contre les lobbys mais de leur montrer que de se diversifier peut être rentable. C’est dans leur intérêt. Nous avons encore besoin de pétrole aujourd’hui, mais il ne faut pas le gaspiller. Dans les pays qui ont introduit une taxe carbone élevée, les industries jouent le jeu parce que ça les a rendues beaucoup plus compétitives. Le patron du pétrolier Statoil, en Norvège, est pour la taxe carbone. En Suède, elle est de 145 euros la tonne [30,50 euros la tonne en France en 2017, ndlr]. Loin d’être étranglées, les entreprises ont utilisé cette stimulation pour innover et devenir plus compétitives.
 

Il y a également les opinions publiques, qui vivent avec les énergies carbonées et veulent maintenir leur niveau et leur style de vie. comment les convaincre ?

Quand vous montrez qu’utiliser ces nouvelles technologies leur coûte moins cher et améliore leur confort, ils comprennent très bien ! Je suis totalement hostile à l’idée d’infliger à la population des sacrifices dans son confort et sa mobilité. On ne peut pas motiver les gens à protéger l’environnement si cela se traduit par un recul du niveau de vie. Mais grâce aux technologies propres, on peut augmenter la qualité de vie et la profitabilité tout en protégeant l’environnement. C’est le message qu’on doit faire passer. Avec un projet de décroissance, vous aurez 97 % de la population contre vous. Vous ne changerez pas le monde avec les 3 % restant qui votent écolo.
 

Une économie décarbonée, c’est possible demain ?

C’est tout à fait possible, à condition d’établir un cadre légal qui oblige la mise en application de toutes les solutions innovantes qui sont dans les start-up et les labos. Ce qu’on ne fait pas encore. Or la situation se dégrade et devient gravissime en termes de changement climatique, de pollution, d’épuisement des ressources naturelles, d’écroulement de la biodiversité… Il faut très vite inverser ce mouvement. C’est possible parce que les nouvelles technologies sont rentables et que l’on peut créer une adhésion du monde industriel et des politiques.

Et c’est encore plus vrai pour les pays pauvres. Ils s’épuisent à importer de l’énergie qu’ils n’ont pas, à détruire leurs forêts, à polluer leurs rivières, créant ainsi encore plus de misère. Pour qu’ils se développent, il faut les aider à créer de l’énergie localement : un four solaire remplace des mètres cubes de forêts qui sont aujourd’hui coupées en provoquant la désertification… Les énergies nouvelles, c’est la création de richesse et c’est la paix : une grande partie des guerres se jouent pour mettre la main sur le pétrole et le gaz…

Investir dans les énergies renouvelables et le développement écologique des pays d’Afrique du Nord et subsaharienne, évitera des milliards engloutis dans le coût des migrations climatiques. Tout se tient, et ce sont autant de gains cachés pour les technologies efficientes.
 

 

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