Ce que les premières nations du Pacifique ont à nous apprendre sur la transition sociétale

De Nouvelle-Zélande au Bhoutan, du Pacifique à l’Himalaya, le Wānanga Trek est un reportage solidaire  mené par Anne-Sophie, étudiante en sciences politiques de 21 ans. Chaque mois, elle raconte ses aventures à We Demain.

Les “sociétés premières” se trouvent être des acteurs centraux de la lutte contre les changements climatiques ; et notre tour des innovations pour la transition des sociétés l’a prouvé. Car bien qu’absents du processus de réchauffement global, ils sont souvent les plus menacés par ses conséquences ; et ce, de façon encore plus marquée dans la région du Pacifique, où certains atolls ont déjà disparu sous la montée des eaux.

Or, leurs savoirs et savoir-faire, leurs coutumes et connaissances sont précieux et peuvent nous éclairer sur les transitions sociétales à de nombreux égards. Nous préférons les termes de “premières nations”, “premiers peuples” ou “sociétés premières” aux autres notions ternies de “peuples indigènes” pour deux raisons : l’idée de primauté conférée par le terme “premier” et l’idée de nation comme société organisée, complexe et se reconnaissant comme telle ; contre l’idée de “primitivité” accolée au concept colonial “d’indigène”.

Aetas philippins et communauté maorie de Whaingaroa

Aux Philippines, nous avons rencontré la tribu des Butbut dans les montagnes du Nord du pays, celle des Aetas de Yangil, située sur des volcans actifs à environ deux heures au Nord de Manille. En Nouvelle-Zélande, nous avons été immergés dans la iwi (tribu) de Whaingaroa sur la côte Ouest de l’île du Nord et celle de Kahungunu sur la côte Est. En voici comparées deux, la société Aetas philippins et la communauté maorie de Whaingaroa :
 

–  Situés à environ deux heures de la capitale, la tribu des Aetas a été bouleversée par l’éruption du Mont Pinatubo en 1991, qui a transformé leur mode de vie en appauvrissant leurs sols. Aujourd’hui la reforestation est l’un des principaux biais de leur renaissance, dont l’objectif est l’autosuffisance.

– Située sur la côte Ouest de l’île du Nord en Nouvelle-Zélande, la communauté de Whaingaroa est exemplaire à de nombreux égards. Par son histoire, elle est le fruit de liens unis et de combats pour la préservation de l’environnement, qui en fait aujourd’hui une communauté modèle..

Peuples polynésiens du Pacifique

Ces différentes “familles” de premières nations sont toutes issues des mêmes origines, les peuples polynésiens du Pacifique, qui se sont, au cours de l’histoire, déplacés et implantés dans toutes les îles, se forgeant alors chacun une culture particulière.

Beaucoup de traits communs, outre les similitudes linguistiques, sont en effet identifiables d’un bout à l’autre du Pacifique, telle que la culture du tatouage en tant que marqueur social, présente chez les Butbut au Nord des Philippines comme chez les Maoris en Nouvelle-Zélande, à 8 000 km d’écart.

Responsabilité naturelle de l’homme

Ce qui unit ces différents peuples à des milliers de kilomètres d’écart est une relation particulière nouée entre les individus et l’environnement. L’individu n’est jamais compris comme isolé, mais toujours comme faisant partie d’un tout : une société, une communauté, mais aussi un tout environnemental. Les actions d’un tel individu ne sont jamais sans lien avec son environnement, social et naturel.

Le concept māori de “Kaitiakitanga” est à cet égard symbolique : il définit une responsabilité naturelle de l’homme envers son environnement, mais une responsabilité à double sens. L’homme doit prendre soin de son environnement car celui-ci prend également soin de lui. Lorsqu’un ou une māori.e se présente, on parle de “mihi” : il ou elle ne donne ni son nom, ni son âge, sa profession ou ce qu’il possède. Il se présente avant tout en présentant sa montagne, sa rivière, sa forêt.

Ce qui définit l’individu est son appartenance à un environnement donné, qu’il doit protéger. Ces sociétés dites “primitives” ont donc conçu ce vers quoi l’Occident revient peu à peu : l’économie circulaire notamment, ou encore le nouveau concept d’économie bleu de Gunter Pauli, défini comme un développement holistique basé sur une exploitation raisonnée des ressources naturelles disponibles !

Résilience

Les clés de la résilience et les concepts de ces peuples sont par là-même inspirants : plutôt que de chercher des fonds financiers – ce qui serait un impératif pour notre mentalité occidentale – tous se reconstruisent d’abord par la restauration de la nature et de ses ressources, et participent par là- même à ralentir les conséquences des dérèglements climatiques.

Pour cela, la reforestation est un outil commun à ces deux cultures. Les arbres permettent en effet de limiter l’érosion des sols, de solidifier le substrat grâce aux racines, tout en facilitant la régénération des nappes phréatiques et de la qualité de l’eau ; sans compter le retour de la biodiversité qu’ils induisent. Les graines sont donc un bien plus précieux que l’argent, comme le souligne Erese, chef de la communauté Aeta de Yangil (Zambales, Philippines) :
 

“Vous pouvez me donner de l’argent, mais je ne saurai pas quoi en faire. Donnez-moi des graines, et je saurai non seulement quoi en faire, mais je sais aussi qu’elles bénéficieront à l’entière communauté.”

La résilience des Aetas, après l’éruption du Pinatubo, est exemplaire : avec le soutien d’associations locales qui leur donnent des graines, et grâce au tourisme solidaire de MAD Travel qui amène des volontaires, ils reconstruisent la forêt tropicale qui est le pilier de leur développement. Aujourd’hui, plus de 3 000 ha ont été replantés, et l’agriculture commence à reprendre. L’objectif de devenir autosuffisants passe par la reconstruction de la forêt tropicale.

Parcourir ces pays à la rencontre de peuples singuliers comme les Butbut, les Aetas et les Māoris de Whaingaroa et Kahungunu, nous aura enseigné de nombreuses choses que nous pouvons répliquer à notre échelle. Retrouver une compréhension holistique de l’environnement, appréhender l’individu comme appartenant à un tout, retrouver une gestion raisonnée de ses ressources pour permettre leur régénération : des concepts qui étaient déjà présents chez nos anciens !

Dans son ouvrage Créateurs de Mondes, Andreu Solé postule que tout société est façonnée et modelée sur des “possibles” et des “impossibles”. Pour les Indiens Yogi de Colombie, il est par exemple”impossible” de creuser un trou dans la terre – nos métros souterrains sont pour eux une aberration – ce serait détruire la Mère Nature. Pour les Aetas et les Maoris de Whaingaroa, il est impossible de ne pas prendre soin de son environnement, car les modes de vie en dépendent, mais il est possible de réparer les erreurs humaines en le reconstruisant.

Que sont, alors, nos possibles et nos impossibles modernes ? S’il paraît impossible de relever un défi global tel que le réchauffement climatique, comment faire pour transformer nos impossibles en possibles ? 

Anne-Sophie Roux.

Si vous souhaitez en savoir plus sur les projets, les initiatives et les personnes qui font vivre les communautés rencontrées par Anne Sophie Roux, rendez-vous sur le blog Wanangatrek.com.

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