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Ces applis qui promettent d’aider à “parler chien”

Retrouvez cet article dans la revue We Demain n°25, disponible en kiosque et sur notre boutique en ligne.

L’animal me regarde à peine, désormais. Au début, j’avais cru percevoir un peu d’intérêt de sa part. Il m’observait gesticuler, depuis le balcon d’en face, un Ipad à bout de bras d’où émanaient des sons bizarres. Il m’avait même gratifié d’un “wouaf” vaguement encourageant.

Mais la conversation a tourné court. J’ai eu beau essayer de varier les intensités sonores ou de modifier les simulations d’aboiements, me risquant même à lui adresser un peu de doberman bien senti, rien à faire. Peu de réaction, zéro communication. Pas facile de parler le yorkshire.

Pourtant, “parler le chien”, il y a des applis pour ça. Sans être pléthorique, l’offre est réelle. Sur iOS comme sur Android, TranslateDog, Human-To-Dog translator et autres Human To Dog Translator++ nous promettent de pouvoir mieux communiquer avec nos amis à poils.

Mais, comme moi, beaucoup d’utilisateurs déçus en arrivent à la triste conclusion : ces applis au mieux sont trop rudimentaires, au pire ne marchent pas du tout.

L’IA à la rescousse

S’il sera difficile de parler aux chiens dans leur “langue”, il n’est pas impossible de pouvoir un jour la comprendre. La start-up américaine Zoolingua assure vouloir traduire les aboiements en phrases.

“Et si vous pouviez vraiment savoir ce que vous dit votre chien, par exemple “j’ai faim”, “j’ai envie de sortir me promener” ou “j’ai mal à l’oreille” ?”, avance-t-elle.

L’entreprise a été créée par Constantine Slobodchikoff, ancien professeur de l’université d’Arizona du Nord, biologiste et spécialiste du comportement animal. Auteur de Chasing Doctor Dolittle : Learning the Language of Animals (st martin’s press, 2012) et fondateur de l’Institut du langage animal, il a consacré une grande partie de sa carrière aux chiens de prairie, des rongeurs proches des marmottes mais dont les cris ressemblent aux aboiements des chiens. Zoolingua entend tirer parti de ces recherches et les étendre à la communication homme-chien via l’intelligence artificielle.

“Nous développons des technologies qui décoderont les vocalisations du chien, ses expressions faciales et ses actions pour informer son propriétaire de ce que l’animal essaie de lui dire”, décrit-elle.

Si l’entreprise est pour l’instant peu diserte quant à son état d’avancement, elle souligne l’apport majeur de l’IA.

“J’ai montré que beaucoup d’animaux possèdent soit un langage, soit des aptitudes proches du langage. Par le passé, il était difficile de déchiffrer ces langages, mais nous disposons désormais des outils nous permettant de le faire”, expliquait Constantine Slobodchikoff début 2018 dans Digital Trends.

Et d’ajouter :

“Quand nous aurons un appareil permettant aux gens de communiquer avec leurs chiens, nous éten- drons le principe à d’autres outils pour échanger avec les chats, les chevaux, les vaches, les cochons, les chèvres et les animaux sauvages.”

50 ans de recherches

Tout au long de plusieurs dizaines d’articles scientifiques publiés depuis 1980, Slobodchikoff a notamment conclu que

“Les chiens de prairie transmettent des informations sémantiques, suggérant des tactiques d’échappement adaptées aux prédateurs qu’ils rencontrent ; leurs cris d’alarme contiennent des informations descriptives de la taille, la couleur et la vitesse des prédateurs”.

En outre, ses recherches suggèrent que les rongeurs “discutent” de choses qui ne sont pas présentes et créent de nouveaux “mots” en référence à des objets ou des animaux apparaissant dans leur environnement – deux caractéristiques jusqu’alors considérées comme exclusivement propres au langage humain. En somme, ces animaux disposeraient d’un système de communication complexe qui s’apparente à un langage évolué, mots et grammaire compris.

Ces découvertes ne sont pas isolées. Comprendre le langage animal ou converser avec des animaux a fait l’objet, depuis plus d’un demi-siècle, d’intenses recherches universitaires cherchant à mieux comprendre la “langue” des chats, chiens, singes, dauphins, éléphants ou oiseaux.

Une longue histoire qui a même fait naître des stars – à poils et à plumes. Le perroquet gris du Gabon, Alex, entraîné durant plusieurs décennies par la psychologue et spécialiste de la communication Irene Pepperberg (Universités Brandeis et Harvard), en est une.

L’oiseau disposait d’un vocabulaire d’une centaine de mots, pouvait compter jusqu’à six et reconnaître des formes géométriques et sept couleurs différentes. Selon Pepperberg, il pouvait également comprendre des concepts comme “différent”, “similaire” et même “zéro”, une notion typiquement humaine pour représenter l’absence d’une quantité. Le perroquet aurait même été le tout premier animal capable de formuler une question, demandant “quelle couleur ?” en se regardant dans un miroir.

Depuis la mort d’Alex en 2007, c’est Griffin, tout aussi bluffant que son prédécesseur, qui travaille désormais avec Irene.

Dissensions scientifiques

Le sujet est d’une extrême complexité. Mais il se caractérise aussi par des dissensions dans la communauté scientifique, qui peine à s’accorder sur l’existence de véritables langages animaux ou la façon de les étudier. D’innombrables recherches ont été menées sur les dauphins.

Entre 2011 et 2015, l’Institut Speak Dolphin, basé en Floride et entièrement consacré à “étendre la communication entre dauphins et humains”, a multiplié les communiqués spectaculaires, assurant par exemple qu’un chercheur avait “parlé aux dauphins en utilisant leurs propres mots sonores”.

“Une démonstration convaincante que les dauphins utilisent un langage de communication sonopictural”, estimait l’institut en 2011.

En 2012, en Écosse, l’Université St-Andrews montrait que les sifflements des dauphins contiennent une signature propre à chaque animal, utilisée quand il rencontre un dauphin inconnu. De quoi conclure que les dauphins s’attribuent des noms et se “présentent” les uns aux autres.

“Leurs sifflements indiquent : “Je m’appelle Untel et je suis intéressé par un contact amical””, assure l’un des chercheurs.

Quant à l’océanographe François Sarano, qui décrypte le langage des cachalots autour de l’Île Maurice, non seulement il les comprend, mais il assure que les cétacés ont des dialectes régionaux (voir We Demain n° 21). Mais tout le monde n’est pas convaincu.

“Après 50 ans d’études de la communication des dauphins, il ne semble pas qu’ils produisent des vocalisations de mots que nous pourrions “décoder” comme on le ferait en apprenant une langue étrangère ou en déchiffrant des hiéroglyphes égyptiens”, note Justin Gregg, enseignant-chercheur, vice-président du Dolphin Communication Project en Floride.

“Il n’y a aucune raison de croire que la communication des dauphins fonctionne comme le langage humain, avec des symboles similaires aux “mots” et avec une “grammaire”, et par conséquent il n’y a pas de “langage” à apprendre”, conclut-il dans Live Science en 2012.

Les débats d’experts sur la nature même d’un langage, son acquisition ou la façon dont sont menées les expérimentations (certains arguant que les recherches elles-mêmes induisent une modification du comportement animal) ont contribué à une cacophonie nuisible à l’ensemble du champ, comme le déplore Pepperberg.

Dans un article intitulé Études du langage animal : que s’est-il passé?, elle retrace des décennies de travaux encourageants mais évoque le “total chaos” des années 1980- 1990.

“Les bourses pour ces recherches devinrent de plus en plus difficiles à obtenir, les doctorants se tournaient vers la neurobiologie humaine et les associations de protection animale contribuaient à faire adopter des lois et régulations interdisant les recherches sur les singes et les mammifères marins”.

En 2016, elle conclut :

«Nous manquons de multiples opportunités. »

Vers un traducteur animal universel

Mais voilà, intelligence artificielle et machine learning (ou apprentissage automatique, procédé basé sur des algorithmes de reconnaissance qui s’affinent et s’améliorent au fur et à mesure des données dont on les nourrit) ravivent l’intérêt pour le sujet.
Seront-ils le chaînon manquant de la communication humain-animal?

C’est l’avis de plusieurs chercheurs de l’Université britannique d’Exeter qui publiaient un article de synthèse, en 2017, destiné notamment “à familiariser les spécialistes du comportement animal aux promesses du machine learning“.

“Capteurs et technologies de tracking abordables génèrent un volume de données incommensurable sur le comportement animal. Le machine learning va jouer un rôle central pour convertir ces données en connaissance scientifique », expliquent-ils.

C’est en particulier vrai des vocalisations animales, dont l’analyse manuelle peut s’avérer “très consommatrice de temps et hautement subjective”.  Selon NBC News, Zoolingua serait d’ailleurs “en train d’amasser des milliers de vidéos de chiens montrant des aboiements et des postures variés”. On imagine qu’intelligence artificielle et machine learning feront le reste, comparant et analysant fréquences sonores et mouvements corporels pour en déduire l’expression d’un état cognitif ou physiologique spécifique.

Préparez-vous à parler chien! “Le développement des traducteurs d’animaux domestiques est à l’horizon”, lit-on dans Shop the Future, un livre blanc publié en juin 2017 par Amazon, imaginant l’avenir des produits de grande consommation à horizon dix ans.

Le futurologue William Higham y prédit “’avènement de ces appareils, permettant de simplement lire les aboiements et miaulements de nos compagnons domestiques pour recevoir des explications sur ce qu’ils veulent”.

Après tout, une intelligence artificielle pour faire se comprendre humains et animaux, il fallait bien ça.

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