Contre le gaspillage alimentaire au resto, le “doggy bag” à la française

Qui ne s’est jamais senti gêné, au restaurant, de renvoyer une assiette à moitié pleine en cuisine ? Dans les pays anglo-saxons, il n’y a aucun mal à demander au serveur un doggy-bag (littéralement « sac pour chien »), ces sachets et boîtes qui permettent de ramener ses restes de viande ou de salade à la maison.

Mais en France, “rien que le nom rebute : il résonne dans l’esprit collectif comme une pratique culturellement négative”, explique Claude Fischler, sociologue et spécialiste de l’alimentation au CNRS, au journal allemand Die Zeit, avant de préciser :

“Un aliment entamé est considéré comme un déchet, et le client veut échapper à la honte d’avouer qu’on emmène des restes pour en faire le repas du soir ou du lendemain.”

Pour changer les habitudes au pays de la gastronomie et décoincer les fines bouches, la Direction régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt (DRAAF) Rhône-Alpes s’est lancée dans un concept à l’appellation plus glamour : le Gourmet bag.

Ces boîtes “design”, en plus d’être hermétiques et hygiéniques, sont déjà proposées dans sept restaurants lyonnais. Des établissements de gammes différentes, en vitrine desquels on trouve un macaron portant la mention : “c’est si bon, je finis à la maison”.

Pour inciter les restaurateurs à jouer le jeu, une note officielle de la DRAAF leur rappelle qu’ils ne sont plus responsables de leur nourriture dès lors qu’elle a franchi les portes de leur restaurant.

20 kg de nourriture par personne gâchées en un an

Prochain objectif de la Draaf : encourager tous les restaurateurs de France à adopter le Gourmet bag, qui pourrait constituer un moyen efficace de lutte contre le gaspillage alimentaire.

Car d’après le ministère du Développement durable, si les deux tiers du gâchis provient des ménages, le domaine de la restauration commerciale et collective  en est, lui, responsable à hauteur de 15 %. Dans le détail, 210 à 230 grammes de nourriture par assiette finissent à la poubelle. Cela représente près de 20 kg de nourriture par personne gâchées en un an.

D’autant que des objectifs nationaux ont été fixés. Lancé en 2013, le plan anti-gaspi du ministère de l’Agriculture stipule que le volume d’aliments jetés devra être divisé par deux d’ici 2025. Et début 2016, la loi biodéchets imposera aux restaurateurs qui servent plus de 180 repas par jour de trier et de valoriser leurs déchets, sous peine d’amende. Des initiatives comme le Gourmet bag pourraient apporter une partie de la solution.

Car les premiers résultats sont probants : en posant ces petites boîtes sur leurs comptoirs ou en les proposant directement à leurs clients, les enseignes pilotes du projet ont réussi à diviser par deux leur gaspillage alimentaire. D’autant que, selon la Draaf, 95 % des personnes interrogées seraient prêtes à l’adopter.

Mais le Gourmet bag n’est pas la seule initiative visant à rendre le “doggy bag” plus “french friendly”. Les boites Trop bon pour gaspiller , par exemple, jouent la carte ultra écolo avec leur matière compostable et étanche. La box TakeAway , quant à elle, propose des “sacs à vins” permettant de ramener chez soi, avec élégance, le contenu d’une bouteille entamée.

“Quand c’est bon, on ne gaspille pas”

À Paris, Raphaël Séry, gérant du petit restaurant réunionnais Le Goyavier, n’a pas attendu les boîtes design et écolo, ni les lois anti-gaspi et biodéchets, pour emballer les restes de rougaille ou de samossas de ses clients. Pas un seul ne part sans les restes de son repas. C’est même la règle depuis l’ouverture de l’établissement en 1987.

 “Au tout début, les gens étaient un peu gênés, se rappelle le restaurateur, mais maintenant, ils réclament carrément que je leur emballe leur nourriture, comme ça, ils peuvent prolonger le plaisir chez eux”.

Pour ce faire, il fournit des boxes “pas trop chères et adaptées aux micro-ondes”, observant au passage que “de plus en plus de [ses] collègues font de même”. “Quand c’est bon, c’est normal que les gens ne veuillent pas gaspiller”, poursuit le restaurateur, qui ne se voit pas “jeter tellement de nourriture alors que deux milliards d’humains crèvent de faim”.

Lara Charmeil
Journaliste à We Demain
@LaraCharmeil
 

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