Dans une vallée des Hautes-Alpes, à quelques kilomètres du village de Saint-Julien-en-Beauchêne, résiste l’une des dernières zones blanches de France. Ici, aucun réseau mobile ni internet.
Si les zones blanches se réduisent comme peau de chagrin en France, tant le
New Deal Mobile du gouvernement et de l’autorité en charge des télécommunications (Arcep) accélère la couverture téléphonique du territoire, celle du hameau du Durbon pourrait perdurer grâce à un projet pionnier : la création du premier centre d’accueil médico-social en Europe pour les personnes électrohypersensibles et chimicosensibles.
L’
Association zones blanches, créée en 2014 par l’eurodéputée Michèle Rivasi, veut y réhabiliter 17 habitations sur un domaine de 63 hectares, qui appartient à la Caf des Bouches-du-Rhône.
“On est en train de définir le projet pour évaluer le nombre de personnes à accueillir. Il faut prendre en compte les besoins de chacun, savoir par exemple si un patient viendra seul ou avec sa famille. S’il veut rester longtemps ou non”, explique Marie-Noëlle Bollinger, cheffe du projet.
Les intéressés pourraient être nombreux : 3,3 millions de Français se déclarent, à des degrés divers, électrosensibles, selon un
rapport de l’Anses de mars 2018. Et bien souvent les personnes touchées se disent aussi chimicosensibles, c’est à dire intolérantes aux odeurs dégagées notamment par des produits chimiques.
Pour l’heure, aucun lien de cause à effet n’a été établi scientifiquement entre les symptômes des électrosensibles (maux de tête, nausées, troubles du sommeil… ) et les champs électromagnétiques, mais l’Anses reconnaît désormais la nécessité de prendre en compte la souffrance exprimée,
tout comme l’Organisation mondiale de la santé (
OMS).
Les personnes les plus gravement touchées ne peuvent se rendre dans les hôpitaux entourés d’antennes relais et munis de WIFI, et sont parfois contraints de trouver refuge dans des zones reculées, au fond d’une forêt par exemple. Un isolement qui peut être synonyme de perte d’emploi et de précarité…
À Durbon, l’association Zones blanche entend elle créer
“un lieu de vie agréable avec des habitations protectrices”, explique Marie-Noëlle Bollinger.
“Le site possède des bâtiments avec des murs très épais, ce qui est parfait pour les hyperélectrosensibles extrêmes. On pourra par exemple y rajouter des peintures ou des rideaux anti-ondes.” Pour concevoir le centre d’accueil, l’Association a visité des appartements pour personnes atteintes d’hyperélectrosensibilité et de chimicosensibilité à Zurich : “On a vu que les habitations suisses pour les chimicosensibles ont un sas d’entrée avec aération, afin de filtrer les odeurs. Les nôtres en posséderont peut-être aussi, et on va appliquer cette mesure à l’entrée principale du centre d’accueil”, avance Marie-Noëlle Bollinger.
L’Association veut aussi apporter un accompagnement thérapeutique corrélé à la recherche, afin de faire progresser les connaissances dans le domaine de l’hyperélectrosensibilité. “Il y aura un suivi médical, notamment pour savoir s’il y a eu une évolution entre l’arrivée et le départ d’un patient”, plaide Marie-Noëlle Bollinger.
Reste donc à trouver des fonds : la valeur des locaux est estimée à 880 000 euros et l’aménagement à 4 millions d’euros. Et à convaincre les acteurs locaux. L’Association zones blanches peut compter sur le soutien du bailleur social Soliha Provence. Mais il faudra rassurer le maire de Saint-Julien-en-Beauchêne, opposé au projet, qui a peur de voir son village devenir moins attractif à cause du manque de réseau. De son côté,
“la préfète des Hautes-Alpes dit que nous sommes légitimes mais n’ira pas à l’encontre du gouvernement s’il veut construire une antenne relais à proximité du village”, rappelle Marie-Noëlle Bollinger.
Les discussions se poursuivent donc entre le bailleur et la CAF pour le rachat du domaine de Durbon.
“Ce qui est sûr, c’est que nous avons besoin de cette zone blanche. Il n’existe pas un autre lieu sur le territoire capable d’accueillir notre projet”, conclut
Marie-Noëlle Bollinger.