Féminicides : la lutte s’organise aussi sur les réseaux sociaux

Battue à coups de poing et de canne par son mari, une femme de 92 ans a perdu la vie à Réalmont (Tarn), dimanche 1 septembre. Il s’agit de la 101e victime a perdre la vie en France, tuée par un conjoint ou un ex-compagnon depuis le 1er janvier 2019.

C’est pour lutter contre ces féminicides qu’a été lancé le Grenelle contre les violences conjugales cette semaine. En parallèle, la mobilisation d’associations et de citoyens continue. Organisés sur les réseaux sociaux, des comptes cherchent à rendre visible ces meurtres et à aider les victimes de violences conjugales, tout en dénonçant les carences du système.

We Demain en a repéré trois, aux leviers d’action distincts.

Un décompte précis des féminicides

“Faits divers”, “Crime passionnel”, “Meurtre amoureux”… Lasses d’entendre circuler ces mots imprécis à chaque féminicide, quatre françaises – dont trois ex-victimes de violences conjugales – créent le collectif Féminicides par compagnon ou ex en janvier 2016.

Bénévolement, et ce depuis trois ans, le groupe s’attèle à établir un décompte précis des cas de féminicide en France sur sa page Facebook. Parallèlement, il tient aussi à jour une carte Google Maps publique localisant ces crimes – de manière à en dégager des statistiques – ainsi qu’un compte Twitter. Un travail aujourd’hui relayé par le collectif à forte notoriété Nous Toutes.

Leur objectif est aussi de dénoncer les insuffisances du dispositif actuel de lutte contre les féminicides.

“Emmanuel Macron a érigé l’Égalité femmes-hommes en ‘Grande cause nationale’ du quinquennat. Pour l’instant, on a plus l’impression d’assister à une ‘Grande cause toujours'”, estime une bénévole. “Ce n’est pas avec le 39 19 que les victimes sont protégées : c’est un numéro d’information et non pas d’action, en plus de ça plus personne ne répond à partir de 18h.”
 

Déclencher des procédures

Présente quant à elle sur Facebook et Instagram, l’association Putain de Guerrières utilise le numérique pour entrer en contact avec les victimes et les épauler. 

Le groupe publie parfois des photographies de victimes, et surtout des images blanches sur lesquelles est inscrit le nombre de décès actualisé, accompagné d’un coeur brisé. Des posts devenus viraux, notamment grâce au relai de deux personnalités, l’influenceuse Coucoulesgirls et l’écrivaine Elsa Wolinski, aujourd’hui respectivement marraine et ambassadrice de Putain de guerrières.

“On reçoit énormément de messages. Grâce à notre notoriété grandissante sur Instagram,  des adolescentes nous contactent même pour aider leurs mamans. Ensuite bien sûr, il faut agir.”

Pour venir en aide aux victimes, les cinq bénévoles de l’association – toutes ex-victimes de violences conjugales – ont  renseigné leurs numéro de téléphone sur les réseaux sociaux. Et leur mobilisation sur internet a parfois de vrais impacts sur le terrain, comme en témoigne l’histoire de Laura.

“Amie d’une maman ayant quitté son mari après avoir découvert qu’il attouchait leur petite fille, Laura a contacté Putain de Guerrières. La chaîne de solidarité créée sur les réseaux sociaux a interpellé le procureur, qui a suspendu le droit de garde du père. Le procureur a même décidé de reprendre l’enquête à son commencement.”

Présidente de l’association – créée en novembre 2017 – Caroline Boisnoir regrette elle aussi que le gouvernement ne parvienne pas à agir assez rapidement.

“Un Grenelle dure trois mois, et il faut du temps pour que les décisions prises soient mises en place. Nous ne disposons pas de ce temps. Il nous faut prendre des mesures radicales maintenant, comme en Espagne, où des tribunaux traitent les dossiers de féminicides en 72h, où les bracelet électroniques sont beaucoup plus utilisés”, explique-t-elle.
 

Un signal de détresse universel

Le compte Le point noir fait aussi parler de lui sur Instagram, ou encore Facebook et Twitter.

Créé par Alice Lepers, il propose un signal de détresse simple et universel, inspiré d’une initiative britannique : un point noir à dessiner sur la paume de la main. La personne qui décèle cet appel à l’aide a pour mission d’engager une conversation discrètement, et d’aider la victime à s’orienter vers des professionnels.

Chacun peut aussi décider de se munir d’un sticker, d’un magnet ou encore d’un badge “Le point noir”, qu’Alice distribue dans des relais et envoie par la poste.

“Ça me permet de quantifier les gens solidaires prenant part à la campagne. Avec Le point noir, je fais de la politique de proximité, explique Alice. Je propose aux gens de devenir acteurs.”
 

La campagne a débuté en 2018 et se terminera en 2022. En 2013, la militante avait déjà initié la campagne Mettez du rouge, qui invite les hommes à s’engager pour la cause en s’affichant avec du rouge à lèvres.

Si Alice est moins critique envers le gouvernement que d’autres militantes, elle exprime elle aussi son inquiétude quand à la suite des événements :

“Je n’ai pas de réel grief contre ce gouvernement, il est le premier à organiser une Grande cause nationale pour les femmes. Mais il faut aller vite sur le terrain : on ne sait pas qui tiendra les reines du pays après Macron, si on nous forcera à reculer ou non.”

Recent Posts

  • Déchiffrer

Christophe Cordonnier (Lagoped) : Coton, polyester… “Il faut accepter que les données scientifiques remettent en question nos certitudes”

Cofondateur de la marque de vêtements techniques Lagoped, Christophe Cordonnier défend l'adoption de l'Éco-Score dans…

14 heures ago
  • Ralentir

Et si on interdisait le Black Friday pour en faire un jour dédié à la réparation ?

Chaque année, comme un rituel bien huilé, le Black Friday déferle dans nos newsletters, les…

21 heures ago
  • Partager

Bluesky : l’ascension fulgurante d’un réseau social qui se veut bienveillant

Fondé par une femme, Jay Graber, le réseau social Bluesky compte plus de 20 millions…

2 jours ago
  • Déchiffrer

COP29 : l’Accord de Paris est en jeu

À la COP29 de Bakou, les pays en développement attendent des engagements financiers à la…

3 jours ago
  • Déchiffrer

Thomas Breuzard (Norsys) : “La nature devient notre actionnaire avec droit de vote au conseil d’administration”

Pourquoi et comment un groupe français de services numériques décide de mettre la nature au…

4 jours ago
  • Respirer

Les oursins violets, sentinelles de la pollution marine en Corse

Face aux pressions anthropiques croissantes, les écosystèmes côtiers subissent une contamination insidieuse par des éléments…

4 jours ago