Comment un ingénieur en aérospatiale se mue en spécialiste de la préservation des chameaux sauvages du désert de Gobi ? À l’origine, Liu Shaochuang travaille
dans la technologie de télédétection. Il développe les systèmes de navigation des rovers lunaire et martien chinois. Vers 2010, il prend conscience de la situation précaire du chameau sauvage de Tartarie. Dans ce vaste désert situé entre le nord de la Chine et le sud de la Mongolie, il ne reste qu’un peu plus de 1 000 spécimens.
Dotée d’une épaisse fourrure hirsute et de deux petites bosses, cette espèce est biologiquement unique. Avec une variation de 1,9 % de l’ADN par rapport au chameau domestique (celle entre l’homme et le chimpanzé est de 1,3 %). C’est en testant un prototype de rover lunaire dans le désert de Gobi que le scientifique dresse un constat sombre de la situation. Pour pouvoir surveiller la population et ses mouvements sur une surface de 200 000 km2, l’apport des satellites est crucial.
Liu Shaochuang : En 2010, j’ai pris conscience de la situation des chameaux sauvages. Deux ans plus tard, j’ai décidé de travailler en faveur de leur préservation. Cette année-là, nous avons capturé et suivi une femelle chamelle sauvage avec un tracker satellite. Nous avons pu la voir évoluer dans la réserve naturelle de chameaux sauvages de Lop Nur au Xinjiang. C’était la première fois qu’un chameau sauvage était traqué en Chine. Plus tard, des pièges photographiques placés près d’une source d’eau ont capturé des photos du même chameau buvant de l’eau. Mais malheureusement, elle fut tuée par des loups quelques mois plus tard. Depuis, j’ai compris que les loups constituent une autre menace majeure pour les chameaux sauvages.
Il n’y a pas de différences évidentes entre les chameaux sauvages de Mongolie et de Chine. Que ce soit en apparence ou en comportement. Cependant, comme leurs populations sont divisées en différentes régions, les échanges génétiques ne peuvent pas avoir lieu. Il peut donc y avoir des différences génétiques entre les deux. J’ai l’intention d’étudier les différences entre eux grâce à des tests génétiques. Et si les résultats sont prometteurs, nous espérons promouvoir à l’avenir les échanges génétiques entre les chameaux sauvages de différentes régions.
Une partie importante de mon projet consiste à estimer la taille de la population de chameaux sauvages. Des estimations antérieures évaluaient le nombre de chameaux sauvages à environ 1 000 en Chine et en Mongolie. Respectivement 650 et 350. Alors que des études récentes ont montré une augmentation de la population de chameaux sauvages, mes propres conclusions suggèrent l’inverse. Je pense que la population a diminué par rapport à il y a dix ans.
La prédation par les loups pourrait être la principale raison du déclin dramatique de la population de chameaux sauvages. Comparés aux chameaux adultes, les chamelons [le bébé du chameau, NDLR] sont plus susceptibles d’être la proie des loups. Le tourisme illégal a poussé les chameaux sauvages à migrer de la région de Lop Nur vers les montagnes d’Altun. Or, celles-ci sont densément peuplées de loups, aggravant ainsi la situation. Nous devons de toute urgence réduire ou éliminer la prédation par les loups. Ce serait un moyen important de freiner le déclin de la population de chameaux sauvages.
Sur la base des données de suivi des chameaux sauvages, nous avons combiné des images de télédétection satellitaire et d’autres types de données pour établir un modèle d’adéquation de l’habitat. À l’aide de ce modèle, nous évaluons et prédisons la qualité des habitats des chameaux sauvages en Chine et en Mongolie dans les conditions actuelles et futures du changement climatique. Les résultats nous aident à révéler l’impact du changement climatique et de l’activité humaine sur les chameaux sauvages et leurs habitats. Mais aussi à estimer la taille de la population de chameaux sauvages. Ainsi qu’à évaluer la capacité de charge de l’habitat et bien plus encore.
À l’aide du modèle d’adéquation de l’habitat, nous avons cartographié l’adéquation de l’habitat des chameaux sauvages dans les conditions climatiques actuelles et les futurs scénarios de changement climatique en 2050 et 2070. Les résultats montrent qu’en raison des effets du changement climatique et de l’activité humaine, les habitats appropriés diminueront nettement. À l’avenir, les chameaux sauvages seront confrontés à de graves difficultés. Ce résultat fournit une base scientifique en faveur de la création du parc national de chameaux sauvages de Chine et de la réserve naturelle transfrontalière de chameaux sauvages sino-mongolais.
J’ai créé une station de conservation à Lop Nur. Nous fournissons aussi aux réserves naturelles de Lop Nur et Annanba Wild Camel des équipements de surveillance, tels que des réseaux de capteurs sans fil, qui amélioreront considérablement leur capacité de surveillance des habitats sauvages des chameaux. Les gardes forestiers sont aussi sensibilités. Ils sont ainsi mieux à même de changer l’attitude du public à l’égard de la protection des chameaux sauvages. Enfin, je travaille en étroite collaboration avec mes homologues mongols depuis 10 ans pour avancer main dans la main.
Pour assurer leur protection, je veux adopter plusieurs approches. Premièrement, je vais travailler en étroite collaboration avec les administrations des réserves naturelles de chameaux sauvages en Chine et en Mongolie et leur fournir des équipements de pointe. Je crois que l’utilisation de moyens techniques innovants peut améliorer l’efficacité de la surveillance des habitats des chameaux sauvages. Deuxièmement, mon équipe va lancer une campagne éducative pour attirer l’attention du public et des agences gouvernementales sur la protection des chameaux sauvages et de leur habitat. L’objectif est d’attirer davantage d’investissements. Enfin, sur la base des conclusions de la recherche, je ferai des recommandations aux gouvernements chinois et mongol pour la création du parc national de chameaux sauvages de Chine et du parc sauvage transfrontalier Chine-Mongolie. Avec le soutien du prix Rolex et de la la Perpetual Planet Initiative de Rolex, je crois que ces objectifs peuvent être atteints.
Mon but est que, d’ici cinq ans, la population de chameaux sauvages cesse de décliner et atteigne environ 1 200 individus.
Je prévois d’appliquer cette approche à la conservation du léopard des neiges. Son habitat de haute montagne est la source de plus d’une douzaine de grands fleuves d’Asie et l’un des paysages les plus importants de la planète. Plus de deux milliards de personnes vivent dans les bassins hydrographiques en aval de l’habitat du léopard des neiges. Il est essentiel de comprendre le comportement de cet animal et l’impact du changement climatique et de l’activité humaine sur lui et ses habitats. En raison de l’immense territoire habité par ces félins et de l’environnement hostile, c’est un objectif très difficile à atteindre. Mais je suis convaincu qu’avec le soutien approprié, nous pouvons l’atteindre.
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