Indigo, “un réseau social pour réconcilier fin du mois et fin du monde”

En 2019, le troc se réinvente en mode 2.0 avec Indigo, nouvelle application d’entraide lancée par Stéphane de Freitas.

Le principe ? Donner des objets ou proposer des services gratuits et en recevoir en retour grâce à des Digos, la “Monnaie sociale de la générosité”. Plus on aide de personnes ou d’associations, plus son coefficient “GoodVibes” augmente, et fait baisser les prix. En 2 clics, une paire de baskets trouve une seconde vie, et peut s’échanger contre un cours de musique ou de pâtisserie.

Ce nouveau réseau social sera lancé ce mardi 30 avril lors d’une soirée-concert avec Matthieu Chedid et Kery James.

We Demain a rencontré le créateur d’Indigo, Stéphane de Freitas. Après avoir créé les formations de prise de parole Eloquentia, réalisé le documentaire nommé aux César À Voix Haute et publié la pédagogie Porter sa voix, l’entrepreneur de 32 ans rêve désormais de soulever une vague d’entraide pour faire changer le système. Rencontre.

  • We Demain : D’où vient le nom de votre application “Indigo” ?
Stéphane de Freitas : Quand Newton a essayé de définir les six couleurs primaires, il en a rajouté une septième, entre le bleu et le rouge, l’indigo, la couleur de l’indivisible. Moi je suis portugais d’origine, je suis devenu français, j’ai grandi en banlieue puis je me suis retrouvé dans un milieu plus privilégié. Je suis un peu un caméléon, comme beaucoup de gens aujourd’hui. On est la génération la plus métissée de l’histoire. Indigo fait référence à tous ceux qui ne veulent pas être classés à droite ou à gauche, en fonction de leur origine ou de leur religion. Une génération ni bleue, ni rouge, mais Indigo.
  • Des réseaux sociaux, il en existe déjà plein. Qu’est-ce qui fait la particularité d’Indigo ?
On a appelé ça “le premier réseau vraiment social” parce que contrairement aux autres, qui ont vocation à développer les rencontres, le dialogue, l’objectif est ici de changer les modes de vie, de développer l’entraide. Sur Indigo, dès qu’on a besoin d’un objet ou d’un service, on trouve une personne prête à nous le donner. Sans forcément prôner la sobriété heureuse de Pierre Rabhi, il est possible de recycler nos objets, de les donner à des personnes qui en ont besoin, de préserver l’environnement et donc de réconcilier la fin du mois et la fin du monde.
  • Il y avait vraiment besoin d’une application pour que les gens se mettent à s’entraider ?
Le recyclage, l’entraide, c’est une tendance qui monte d’années en années, Indigo est juste un outil qui s’y inscrit. En revanche ce qui est radicalement nouveau avec Indigo, c’est notre monnaie solidaire, le Digo. C’est une monnaie virtuelle, pas convertible en euro, de cette façon, nous restons dans la parfaite légalité. Le digo est accessible à tous, même aux gens très précaires, comme les réfugiés qui n’ont pas de papiers et n’ont pas accès à l’euro. Nous avons d’ailleurs le soutien de l’Union Européenne pour installer Indigo dans les camps de réfugiés.
  • Comment fonctionne le système de Digo ?
C’est très simple. Au lieu de mettre un t-shirt pour 5 euros sur Le Bon Coin, je le mets sur Indigo et je génère des Digos. Avec ces Digos, je peux ensuite trouver quelqu’un pour m’aider à déménager, à remplir ma fiche d’impôts, ou pour jouer aux échecs.  Nous espérons y attirer tous ceux qui ont envie d’entraide et de solidarité.

 

  • Comment a commencé l’aventure Indigo ?
J’ai eu l’idée en 2012, mais pendant trois ans, on ne me donnait pas un radis, on me disait “oh il est mignon, bien sûr on va changer le monde avec des Digos pour les bisounours”. Alors en 2015, j’ai décidé de faire un crowdfunding, j’ai parlé de mon idée à des artistes comme Kery James et Matthieu Chedid qui ont parrainé ma campagne, et à la réalisatrice Liza Azuelos, très engagée. En 24 heures, nous avions atteint l’objectif des 25 000 euros. Puis, nous avons reçu des donations en cascade. Le développement a coûté plus de 600 000 euros. On a sans cesse repoussé le lancement à cause de bugs. Mais cette fois, on est prêts !
  • D’où vous est venue l’idée de ce réseau social solidaire ?
Il  y a deux statistiques à l’origine d’Indigo. Dans le monde, les 26 personnes les plus riches détiennent autant d’argent que les 3,5 milliards les plus pauvres. Et plus de 600 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. On ne peut plus tenir ainsi. Il faut changer notre système économique. Les banlieues qui se sont soulevées il y a 15 ans, les Bonnets rouges en Bretagne il y a 6 ans, les Nuit Debout, et désormais les Gilets jaunes, en témoignent.
  • Vous croyez en un système anticapitaliste ?
Ce n’est pas le capitalisme en soit qui nous détruit, la méritocratie c’est bien. À la base, au temps des sapiens, c’était une bonne idée les petits cailloux en récompense : plus je travaille, plus j’ai de petits cailloux, qui me permettent d’aller chez mon ami cueilleur de tomates ou chasseur de bison. Mais désormais, la concentration d’argent est telle qu’elle donne le vertige. Par le recyclage, par la circulation des objets, on peut au moins recréer du lien. Une étude d’Harvard montre que le bonheur dépend de notre capacité à interagir. Les gens les plus isolés sont les plus malheureux, et ceux qui ont le plus d’interactions sont les plus heureux.
  • Quel est le rôle des citoyens, des entreprises et des gouvernements dans ce changement ? 
Le changement est inéluctable, c’est une course gagnée d’avance. Il est  dans la nature humaine de réagir quand on a peur. Mais c’est lorsque la société civile se soulève que les structures étatiques et économiques changent. Il faut donc proposer des outils pour s’organiser positivement, sans haine, sans violence, et j’ose le dire avec de l’amour !

Il y a déjà des milliers d’utilisateurs d’Indigo alors qu’on n’est pas encore lancés, ça montre qu’il y a un désir énorme. Twitter a mis plusieurs mois à se lever, Snapchat a mis 3 ans. Si Indigo marche, ça ne sera pas un tsunami mais un tsunamour !

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