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Journal de crise des cheminots au temps du Covid-19

Dès les premières pages, il se présente comme faisant partie de “la longue liste des clients râleurs capables de tweeter plus vite que leur ombre pour dire tout le mal qu’ils pensaient d’un train ayant un peu de retard”. Emery Doligé a vite changé d’avis. 

Pendant le confinement, puis le déconfinement, du printemps 2020, l’ancien blogueur a rencontré plus d’une centaine de cheminots. Des managers, des conducteurs, des horairistes, agents de maintenance, contrôleurs, syndicalistes… De cette immersion de quatre mois, il tire un carnet de bord, “Sans précédent”, à lire ou écouter gratuitement en ligne. 190 000 exemplaires imprimés seront également distribués au personnel SNCF.

“Moi, j’espère que la désinfection avec des produits virucides va être reconduite après la crise.”
Frédéric, en charge des équipes de nettoyage de nuit. Crédit : Maxime Huriez

A chaque personne que je rencontrais, je demandais ‘tu ne connaîtrais pas un copain ou une copine qui voudrait me parler ?”, nous raconte Emery Doligé. “Ça a fait boule de neige. Quand vous passez tout un trajet Paris-Nice avec eux, ou une nuit entière dans un technicentre, les gens se confient.

S’adapter à la crise

Lire les 21 chapitres, c’est re-dérouler une crise qui prend par surprise la SNCF, comme l’ensemble de la population française, courant mars. Les doutes sur cette “gripette” venue de Chine, puis la sidération suite à l’allocution présidentielle du 12 mars 2020. 

Si, début mars, les gestes barrières sont encore peu appliqués, mi-mars, les consignes de confinement sont strictes, écrit Emery Doligé. Comment, dans ces conditions, diligenter une enquête, arrêter les trains, dérouler la procédure habituelle ? Il faut changer de doctrine et de façon de faire.

La SNCF compte un responsable pandémie dans chaque région, et ce depuis bien avant l’épidémie de Covid-19. Il faut tout de même tout repenser en quelques heures. Le confinement transforme les conditions de travail de 85 % des cheminots, lit-on dans le chapitre 7.

Nicolas, horairiste, a dû acheter ses outils dans la précipitation pour pouvoir continuer à travailler de chez lui. “Nous étions dans une vraie urgence sanitaire, comme s’il y avait le feu, se souvient Sylvia, du service de gestion des clients Grands Voyageurs. Quand je suis revenue chercher mon matériel pour m’installer à la maison, il n’y avait personne dans le bâtiment, j’ai eu un gros pincement au cœur.” 

Le télétravail plaît à certains, moins à d’autres, comme Eliane, directrice des Ressources humaines de Gares & Connexions, qui le trouve “redoutable en charge mentale”.

Le 26 mars, le premier TGV médicalisé mobilise 200 cheminots. Crédit : Maxime Huriez

Le trafic est réduit drastiquement, les billets deviennent 100 % remboursables. Entre le 26 mars et le 10 avril, dix TGV médicalisés transportent 202 malades dans le cadre de l’opération “Chardon” pour désengorger les services d’urgence dans les régions les plus touchées.

Certains, comme Dudu, contrôleuse, “ne [reconnaissent] plus [leur] métier“. “D’habitude, j’ai toujours des soucis dans les trains avec certains voyageurs, là, plus rien, c’est très très calme, déplore-t-elle.

Changer de regard sur la “deuxième ligne”

Plusieurs émotions transparaissent au fil des témoignages : la solidarité, la fierté, mais aussi une forme d’amertume face au “rôle ingrat de la deuxième ligne, celle qu’on ne voit pas, celle qui n’est citée que dans une locution fourre-tout par le président de la République, celle qu’on n’applaudit pas tous les soirs à 20 heures”

Pendant le confinement, plus de 400 trains quotidiens permettent d’acheminer dans la France des biens de première nécessité. Crédit : JC Milhet

Détail révélateur, souligné au sixième chapitre : les cheminots sont absents de la “seconde ligne” saluée par Emmanuel Macron dans son discours du 13 avril. Sur les réseaux sociaux, le groupe reçoit 5000 messages par jour… une goutte d’eau en comparaison des 40 000 sollicitations quotidiennes reçues pendant la grève de décembre 2019. 

Et puis il y a le problème des masques. “Nous sommes dans le combat de cette maladie, en deuxième ligne, mais tout de même dans le combat, souligne Thomas, syndicaliste. Alors ne pas avoir eu de masques pendant presque trois semaines a été une marque de notre non-prise en compte.

“Ils ont pourtant l’utilité chevillée au corps”, défend Emery Doligé, qui promet, dans les dernières phrases de son carnet de bord : “je ne serai plus un client râleur”.

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