Partager la publication "L’avenir sera intergénérationnel ou ne sera pas"
“La retraite, une affaire de jeunes”, “Retraitée, mais inquiète pour l’avenir de nos jeunes”, “Je veux profiter de papi et mamie”, “+2 ans, les vieux au boulot, +2°C les jeunes sous l’eau”… Récemment, dans les cortèges contre la réforme des retraites, les panneaux et les slogans portés par toutes les générations ont montré que les revendications allaient bien au-delà de la date de pot de départ.
Entre les lignes rédigées au marqueur, derrière les chants scandés aux mégaphones, la même envie de préserver ce qui constitue le socle de notre société : un précieux cordon d’engagement, de solidarité et de réciprocité qui lie les générations entre elles. Un genre de pacte de vie qui n’a d’existence que dans la continuité des générations, qu’elles soient précédentes ou futures.
“S’il n’y a pas d’intergénération, il n’y a pas de transmission, et s’il n’y a pas de transmission, il n’y a plus de société… On ne peut faire une société à partir d’une page blanche,” explique le sociologue Serge Guérin auteur de La Guerre des générations aura-t-elle lieu ? Par-delà la question des retraites, nous voilà donc au cœur du problème, maintenir et entretenir les liens entre les générations. Si l’on en croit les titres de journaux, ces liens se délitent, les écarts entre les générations se creusent. D’un côté les boomers, de l’autre les wokistes, entre les deux, un fossé d’incompréhension.
Si l’on s’en réfère aux récentes études, les chiffres vont dans une toute autre direction. 91 % des Français jugent les relations intergénérationnelles comme essentielles pour la construction personnelle, celles-ci ne relevant pas uniquement de la même famille mais pouvant s’étendre au cercle proche (amis, collègues, voisins…) et même au-delà (associations, clubs de loisir, pratiques sportives). Essentielles mais fragiles si l’on en croit les personnes interrogées. 37 % d’entre elles ont une crainte : que ces liens intergénérationnels se distendent dans les 30 prochaines années. Crainte louable lorsque l’on sait qu’en 2050, une personne sur trois en France aura plus de 60 ans. Dans ce contexte, comment les cultiver et les faire fructifier ?
“On ne peut comprendre la vie qu’en regardant en arrière ; on ne peut la vivre qu’en regardant en avant,” écrivait le théologien Sören Kierkegaard. C’est peut-être là le premier atout des liens intergénérationnels : transmettre et faire circuler les savoirs. Une notion ébranlée ces dernières années par l’usage intensif de Google et plus récemment du Chat GPT laissant à penser que l’on pourrait se dispenser de l’expérience des anciens grâce à Internet.
Mais un tuto pourra-t-il un jour remplacer une vie de pratiques, de savoirs et d’observations des agriculteurs dont la moitié va partir à la retraite d’ici 2030 ? Une vidéo sur Instagram saura-t-elle résumer et traduire 50 ans de luttes féministes ? Qu’il y a-t-il de plus puissant que le témoignage d’une personne déportée pour comprendre et ressentir profondément les dangers de l’extrême droite ? Les anciens sont des passeurs, laissons-nous traverser par leurs expériences de la vie, elles ne pourront que nous nourrir.
En 2023, la transmission doit également jouer la carte auto-reverse. Si les aînés peuvent partager leurs savoirs, leurs histoires de vie, leurs compétences et leurs valeurs avec les plus jeunes et contribuer ainsi à l’enrichissement de la culture, de l’identité et de la mémoire collective, la réciproque est vraie aussi. Aujourd’hui, les enfants apprennent à leurs parents à utiliser une tablette ou un smartphone mais surtout à comprendre les règles du jeu du nouveau monde, plus sobre, plus écologique, inclusif et solidaire. Et puis, “la seule arme des enfants contre le monde, c’est l’imaginaire,” rappelait le réalisateur Claude Miller. Qui saurait s’en dispenser pour inventer demain ?
Par-delà les savoirs, les liens intergénérationnels ont une autre vertu. Ils permettent de lutter contre la solitude qui touche aussi bien les jeunes que les plus vieux. Le rapport des Petits frères des pauvres publié en septembre 2021 rappelait que 530 000 Français de plus de 60 ans étaient en état de mort sociale. Le 23 janvier dernier, journée mondiale des solitudes, l’IFOP en remettait une couche, révélant qu’une personne sur cinq en France se sentait toujours ou souvent seule et que la génération des 18/24 était celle qui en souffrait le plus. La génération Z n’est donc pas à l’abri. Pire, selon une enquête de Santé publique France, aujourd’hui un jeune sur cinq présente des troubles dépressifs, une statistique qui a quasiment doublé en 6 ans.
Contre l’ennui et la solitude, croisons les générations et unissons-nous ! Échangeons nos savoirs, cuisinons ensemble, jardinons, partageons un logement, rencontrons-nous, promenons-nous… Ensemble, jeunes et vieux, rejoignons ces nouvelles formes d’engagement et de soutien adaptées à nos existences. Non seulement, elles permettent de nous sentir utiles mais en plus elles nous maintiennent en vie.
Enfin, en ces temps aussi troubles qu’incertains, qui serait assez mauvais conseiller pour inviter les troupes à se disperser ? Il est de la responsabilité de tous et toutes de mettre tout en œuvre pour réussir les transitions écologiques et sociales à venir. Les anciens ont du pouvoir et de l’expérience ? Les jeunes ont des idées et de l’énergie ? Mettons tout ce monde autour d’une même table pour déplacer les montagnes.
S’appuyer sur les luttes d’hier pour réinventer celles d’aujourd’hui, prendre conseil et appui sur celles et ceux qui s’y sont essayés, cultiver ensemble notre capacité à nous indigner et à nous émerveiller : les liens intergénérationnels permettent indéniablement d’être plus forts et outillés pour affronter l’avenir. “Désormais la solidarité la plus nécessaire est celle de l’ensemble des habitants de la terre,” rappelait le biologiste-philosophe Albert Jacquard il y a quelques années. Jeunes, vieux, vous êtes prêts ?
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