Le digital peut-il réinventer l’école ?

Retrouvez cet article  au sein du supplément “ET SI ON CHANGEAIT L’ÉCOLE?”publié dans le numéro d’hiver de We Demain, disponible en kiosque et sur notre boutique en ligne .

“Car l’avenir de nos enfants sera de toute façon numérique, l’école ne pouvait pas passer à côté”, estime Anne Capiaux, directrice du développement économique et numérique à la mairie de Bois-d’Arcy. Enseignante en classe de CM2 à l’école élémentaire Jean-Louis-Barrault (Bois-d’Arcy), Stéphanie Le Normand a intégré le numérique dans chacun de ses cours, en complément des activités pédagogiques “classiques”. Grâce à un vidéoprojecteur numérique interactif (VNI), elle crée des exercices qui favorisent la collaboration entre les enfants. Sur les tablettes tactiles – mutualisées entre les classes –, elle enregistre des dictées que ses élèves, rassemblés par petits groupes, rédigent sur leurs cahiers. “Selon leur rythme et leur niveau, ils peuvent me faire répéter les phrases autant de fois que nécessaire”, explique l’enseignante. Affichés sur un mur de la classe, des QR codes que les élèves scannent avec les tablettes leurs permettent de consulter des leçons antérieures ou de réaliser d’autres exercices. “Les élèves rechignent moins à faire des exercices supplémentaires sur un support comme la tablette numérique”, ajoute Stéphanie Le Normand qui encourage aussi leur curiosité en leur proposant d’accéder à des contenus complémentaires.
 

Véritable levier, cette motivation qui comme l’écrit le chercheur Philippe Meirieu, professeur émérite en sciences de l’éducation et de la pédagogie, “n’est pas un préalable à l’apprentissage et à la réussite d’un élève mais un objet de travail pour un pédagogue”, les outils numériques suscitent plus d’intérêt qu’un tableau noir ou une feuille blanche. Ainsi, depuis trois ans, Stéphanie Le Normand initie ses élèves aux bases de la programmation en leur apprenant à utiliser un logiciel de codage informatique pour donner des instructions à un robot. En parallèle, ils réalisent des vidéos, rédigent des articles sur un blog et recourent alors tant aux mathématiques qu’au français. “L’utilisation de ces outils numériques pousse les élèves à travailler en équipe, à coopérer, sinon ça ne peut pas fonctionner”, analyse l’enseignante. Toucher, écouter, regarder, lire… par cette approche multisensorielle que génère le numérique, il est possible d’adapter les enseignements aux besoins spéci ques des élèves. “Tous n’apprennent pas de la même manière, ni au même rythme, développe Anne Capiaux. Certains sont plutôt auditifs, d’autres plutôt visuels ou manuels. L’outil numérique permet d’individualiser et de différencier les apprentissages.”

Pédagogie active

Dans cette logique, en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse, le Cned a déployé depuis janvier 2019 un outil numérique d’aide au devoir dans tous les collèges français. Sous la forme d’un avatar du nom de Jules, que les élèves peuvent “customiser”, le dispositif propose aux collégiens des contenus personnalisés, en français et mathématiques. On ne compte d’ailleurs plus les applications pédagogiques pour tablettes. Bien que de nombreux éditeurs privés se soient engagés dans ce secteur, comme eduPad en France et son catalogue de 160 applications éducatives à destination des élèves de primaire et de collège, l’Éducation nationale développe elle aussi ses propres ressources. L’académie de Dijon propose ainsi une quinzaine d’applications dédiées aux mathématiques que les enseignants peuvent télécharger gratuitement. Applis, moocs…, le digital est aussi l’allié de l’école à la maison, mode d’instruction qui fait de plus en plus d’adeptes.

S’il diversifie les supports, le numérique permet aussi de nouveaux modes d’apprentissage. Inspirée de la pédagogie active – qui consiste à rendre l’élève acteur de ses apprentissages –, la classe inversée (qui a son association “Inversons la classe !”) est aujourd’hui pratiquée par plus de 20000 enseignants. Le principe : faire découvrir les leçons aux élèves à la maison, sous forme de capsules vidéo, de document texte, d’enregistrements sonores, pour se concentrer, de façon collaborative, en classe, sur les exercices et approfondir, de façon personnalisée, ce qui n’est pas compris.

Retour aux craies et tableau noir

Alors le digital, remède miracle aux failles d’un système ? Le tout digital annoncé par certains ne fait pas l’unanimité. “Durant les premières années, il s’agit d’offrir à l’enfant un cadre de motricité : être dans l’action, le mouvement, l’activité, détaille Clément Defèche, qui enseigne l’informatique et l’électronique selon l’approche pédagogique Steiner-Waldorf à l’école Mathias-Grünewald (Colmar). Dans la deuxième tranche d’âge, on essaye de cultiver l’imagination et la créativité chez l’enfant en privilégiant les activités de nature artistique. Cette créativité et cette imagination, le numérique est-il l’outil qui les favorise ? Pas forcément” Dans cette école, pas de numérique avant la fin du collège : un choix moins radical que celui de la Waldorf School of the Peninsula de Los Altos, école californienne fréquentée par les enfants des pointures de la Silicon Valley. Cette dernière, à la demande des parents, a en effet banni le numérique des enseignements au profit du tableau noir, des crayons, du papier.

À l’école Mathias-Grunewald, ce n’est qu’auprès des adolescents, que le numérique est introduit dans les apprentissages, mais avec un postulat : comprendre et maîtriser l’outil avant de l’utiliser. Clément Defèche commence donc par fabriquer un calculateur avec ses élèves, une manière de les accompagner “dans la création d’un lien avec ce monde du numérique basé sur la compréhension plutôt que sur la fascination”.

L’omniprésence du digital soulève en effet de nombreux questionnements, par exemple celui de l’écriture cursive qui aide à synthétiser et mémoriser. “Attention à la totémisation de technologies dont l’usage incontrôlé nous enferme dans l’immédiateté, paralyse la pensée et prépare l’avènement de ce que Deleuze nommait les ‘sociétés du contrôle’ !”, prévient Philippe Meirieu.

L’éducation aux médias et au numérique fait aujourd’hui partie intégrante des programmes scolaires des établissements publics ou privés sous contrat. Durant ses cours, Clément Defèche aborde avec ses adolescents ces questionnements. “La question n’est pas d’être pro ou anti-numérique, poursuit-il. Je pense que le numérique est une facette du monde actuel et qu’il est important de la cultiver à l’école de ce point de vue seulement.”

L’avenir de l’éducation vous intéresse ? Participez le 10 décembre au Forum “Et si on changeait l’école” que We Demain organise avec France Info.
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