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L’entreprise de demain existe déjà : c’est la Scop !

C’est un espace collaboratif de vie, de travail et de loisirs. Face aux jardins partagés où verger et potager assurent une autonomie alimentaire, il y a l’économat, sorte d’épicerie solidaire, une crêche – “la nourricerie” – pour les enfants des employé(e)s de la manufacture. Non loin des confortables habitations, un théâtre, une bibliothèque qui accueillent des cours du soir, conférences, sont des lieux de culture et d’émancipation. Le Familistère, c’est son nom, est un tiers-lieu, espace hybride du faire et du vivre ensemble qui depuis peu essaime sur les territoires du nouveau monde. Sauf que nous sommes dans l’ancien, en 1880 !

En plein cœur de l’Aisne, le Familistère de Guise est l’œuvre de Jean-Baptiste André Godin, un ouvrier devenu chef d’entreprise (la fonderie Godin célèbre pour ses poêles) qui s’est juré d’apporter sa quote-part à la “question sociale”. Celle notamment du quotidien laborieux de l’ouvrier qu’il connaît bien pour l’avoir lui-même subi. “Si un jour je m’élève au-dessus de la condition de l’ouvrier, je chercherai les moyens de relever le travail de son abaissement”, écrit-il au retour de son Tour de France. Mais c’est aussi une autre vision du travail que son collectif veut instaurer. Une valeur travail juste et solidaire que les contrats de société de travailleurs nés dès 1830 ont tenté d’initier.

De Charles Fourier aux Scop, une utopie toujours vivante

Autodidacte, l’ouvrier picard s’est inspiré du phalanstère, collectivité idéale portée par Charles Fourier. Chantre d’un nouvel ordre social, écologiste, féministe, le philosophe milite pour une société harmonieuse, où le travail serait attrayant. Démocratie participative, mixité, conseil de gérance élu par les membres associés, protection sociale (caisse pour les accidents de la vie et une retraite à 60 ans), la Société du Familistère de Guise Godin & Cie devient, en 1880, une coopérative du capital et du travail : le Familistère, les usines, sont la propriété collective de ses travailleurs. Emblème des Sociétés coopératives ouvrières de production, c’est l’esprit Scop avant l’heure !

Ancêtre de la Confédération générale des Scop, la Chambre consultative des associations ouvrières de production est créée en 1884. Avec le statut Scop inscrit dans le Code du travail en 1915, le Mouvement coopératif connaît des poussées d’effervescence pendant le Front populaire, les années 1970 et 1980, et des phases d’essoufflement. Remettant en cause la doxa entre capital et travail, et les rôles impartis au patronat et aux travailleurs, les Scop ont longtemps dérangé les patrons mais également les syndicats ! Depuis ces dernières années, elles connaissent une nouvelle vigueur. “L’utopie expérimentale de Charles Fourier trouve ses prolongements dans les questions sociales et environnementales d’aujourd’hui”, commente l’autrice Chantal Guillaume dans son ouvrage Fourier ou l’utopie en réel (Les Presses du réel, 2024).

Preuve qu’un autre modèle d’entreprise mais aussi de société est possible, les Scop étaient 500 à la fin des années 1970, elles sont aujourd’hui près de 4 500. Objectif de leur Confédération générale : atteindre 5 000 entreprises, 100 000 salariés et 10 milliards de chiffre d’affaires en 2026. La Scop : l’entreprise de demain ?

La Scop, elle coche (presque) toutes les cases !

Face aux bouleversements liés aux transitions économiques, sociales, technologiques et surtout écologiques, l’économie sociale et solidaire (ESS) s’impose de plus en plus comme un choix raisonné. Et raisonnable. Et les Scop figurent comme une alternative “humaniste” et une possible réponse au contexte multicrise auquel est confrontée notre société : crise économique de 2008, symptôme d’un système capitaliste pour certains “à bout de souffle” ; crise écologique liée au dérèglement climatique et son corollaire, l’écoanxiété ; crise de la valeur travail, fracture territoriale… Sans oublier ces “passions triste”» hexagonales : défiance, frustration, colère vis-à-vis des pouvoirs en place et de l’entreprise, peur de l’avenir.

✅ Travailler autrement

Le travail a perdu de sa valeur : seuls 20 % de nos concitoyens le considèrent “comme très important”, contre 60 % des Français dans les années 1990. Travailler n’est plus un support identitaire, un levier d’émancipation et de lien social. Particulièrement pour les plus jeunes qui bifurquent, désertent, slashent ou rejoignent l’ethnie des « no work ». Le travail devient parfois une souffrance responsable de burn-out dont la France détient le triste record. Avec, comme implication pour les entreprises, des difficultés à recruter et plus encore à fidéliser. L’étude de la Dares (Direction de la recherche et des études statistiques du ministère du Travail) est limpide : “Une organisation du travail qui favorise l’autonomie, la participation des salariés et en limite l’intensité, tend à rendre celui-ci plus soutenable.”

Au cœur des préoccupations des DRH, la qualité de vie au travail (QVT). Ce qui fait cette QVT ? Un management bienveillant, de l’autonomie, une reconnaissance des compétences, de bonnes relations entre salariés, un sentiment d’appartenance. Association aux décisions, élection du dirigeant, organisation participative, prime au collectif pour éviter les dérapages d’égos, soutien social, promotions internes difficilement envisageables ailleurs : développant un double projet humain et économique, les Scop élargissent la définition de la QVT. S’y ajoute le sens, véritable Graal chez les plus jeunes. Exit les bullshit jobs fustigés par l’anthropologue David Graber. Travailler autrement pour revaloriser le travail, tel est l’un des défis des Scop.

Aux avant-postes : Éthiquable

Coopérative pionnière du commerce équitable qui a fêté ses 20 ans, la chocolaterie Ethiquable installée à Fleurance, dans le Gers, n’a aucun problème pour recruter : “Ils viennent chez nous parce qu’on est une Scop.” Qui ça ? Des jeunes, la génération Z qui ne veut pas perdre sa vie à la gagner, et leurs aînés pour lesquels il est difficile de travailler dans une entreprise conventionnelle.

✅ Être résilient face aux crises

“La forme coopérative peut aussi bien incarner un modèle anticapitaliste, une production vertueuse que la liberté d’entreprendre ou l’esprit d’innovation”, explique Anne-Catherine Wagner, professeure de sociologie à l’université Panthéon-Sorbonne et autrice d’une étude sur les Scop (1). Alternatives au libéralisme pur et dur, les Scop n’en sont pas moins des entreprises rentables, innovantes et pérennes. La plus grande de France, le groupe industriel international Acome, expert du câblage, a été créée en 1932 ! Un an avant l’Union technique du bâtiment, acteur majeur du second œuvre, fondée en 1933. La Scop n’est pas seulement la solution de la dernière chance, souvent médiatisée – voir la reprise de Duralex– les reprises d’entreprises en difficulté ne représentent, en effet, que 8 % des sociétés coopératives.

Très résistantes aux crises, telle celle du Covid, elles doivent leur résilience à leur agilité, leur capacité à intégrer le changement, à se réinventer, à innover et à l’engagement des salariés directement impliqués. Selon une étude menée par la Confédération générale des Scop et des Scic, trois ans après leur création, 89 % des entreprises sous statut de Scop sont restées en activité, contre 73 % pour celles aux statuts plus classiques. Selon l’Insee, ce chiffre passe au bout de cinq ans à 79 %, contre 61 % pour l’ensemble des entreprises.

Autre chiffre révélateur de leur viabilité : le taux de défaut de paiement des entreprises de l’ESS est deux fois moindre que celui des entreprises conventionnelles. Plus de 40 % des bénéfices étant mis en réserve chaque année, les Scop bénéficient d’une certaine sécurité financière, la difficulté de recours à des investissements extérieurs pouvant être palliée par le recours, entre autres, à des prêts coopératifs.

Aux avant-postes : UpCoop

Projet redistributif et démocratique à l’initiative de solutions de paiement (chèque déjeuner), UpCoop compte 3 500 salariés et près de cinquante sociétés. Première à viser la neutralité carbone, elle est aussi la première Scop à mission. La sienne : coopérer durablement pour un pouvoir d’achat à utilité locale et sociale.

✅ Booster la transition écologique

“Les salariés ne se voient pas seulement comme des travailleurs, mais aussi comme des acteurs qui participent à la transformation écologique”, commente la sociologue Anaïs Rocci, une des autrices de l’étude publiée en janvier dernier par l’Ademe. Las, en France, ces “co-tafeurs”, comme les nomme l’étude, sont un peu désabusés : seuls 43 % des salariés sont satisfaits de l’engagement de leur entreprise en faveur de l’environnement, contre 51 % qui estiment qu’elle fait primer les résultats financiers sur l’humain et l’environnement. Les enjeux de la transition écologique font partie intégrante de la feuille de route du modèle coopératif.

Fin 2023, ce sont 11 899 salariés pour 1,342 milliard d’euros de chiffre d’affaires qui œuvrent dans des ressourceries, le recyclage, le commerce et les produits bio ou écologiques, la construction et la rénovation de bâtiments écologiques, la mobilité durable et les énergies renouvelables. Anticipant l’urgence climatique, nombre de Scop ont, depuis des années, calculé leur impact environnemental et modifié leur manière de produire.

Aux avant-postes : Tiers-Lab et WindCoop

• Espace hybride de travail, de formation et d’inspiration, le Tiers-Lab de transition du Lica (Laboratoire d’intelligence collective et artificielle), sis à Marseille, expérimente des innovations durables en matière d’intelligence collective, d’IA éthique, de gouvernance partagée, de découverte des métiers de la transition.
• Révolutionner le transport de la marine marchande, un des gros pollueurs, en utilisant le vent, énergie inépuisable, propre et gratuite : c’est le défi de Wincoop, qui souhaite accélérer la transition écologique avec une flotte de cargos à voile. Ouverture de la première ligne Marseille-Madagascar en 2026.

✅ Réduire la fracture territoriale

“Entre la France des grandes villes et la France des territoires, la fracture est totale et le divorce est consommé”, soulignait Christophe Guilly dans La France périphérique. Accès difficile aux services publics, à la culture, déserts médicaux : réduire la fracture territoriale est un enjeu économique, social et environnemental. Ancrage fort sur le territoire (77 % des 100 plus grandes coopératives ont leur siège en région), production locale : la Société coopérative et participative contribue à la vitalité des territoires, notamment des zones rurales. Parfois alternative aux défaillances des services publics, elle acte la préservation des savoir-faire et des milieux naturels comme priorité. Elle est surtout un vivier d’emplois pérennes, une Scop ne pouvant être vendue ni délocalisée.

Aux avant-postes : Ardelaine

Emblématique de la réussite en monde rural, Ardelaine, “coopérative de territoire”, située en Ardèche, a su relancer un secteur industriel en déshérence : celui de la laine. Elle utilise une ressource et un savoir-faire local pour fabriquer matelas, couettes, vêtements. Un projet collectif qui intègre un café-librairie, un restaurant qui a irrigué l’économie de la région : l’atelier accueille environ 18 000 visiteurs par an.

✅ Et se cultiver !

Facteur primordial d’émancipation, d’inclusion, de mixité sociale et intergénérationnelle, la culture version Scop est accessible au plus grand nombre.

Aux avant-postes : Théâtre du Soleil

“Un lieu de l’utopie, à savoir un possible non encore réalisé.” Ainsi Ariane Mnouchkine définissait ce théâtre unique qu’elle créa en 1964. En modèle Scop : “Aucun autre n’était envisageable.” Chaque création, sur le mode collaboratif et participatif, est vécue comme un événement. Dernier en date : Ici sont les dragons, jusqu’au 27 avril 2025.

Suggestion de lecture : Les Scop et La Fabrique de l’intérêt collectif. Anne-Catherine Wagner. CNRS Éditions 2022

C’est quoi une Scop ?

Reprise, transmission d’entreprise ou transformation d’association ou, cas le plus fréquent, création, une Scop, Société coopérative et participative, est une entreprise qui, comme les autres, se veut pérenne et économiquement viable. Sa valeur ajoutée: pas d’actionnaires mais des salariés associés majoritaires qui partagent le pouvoir, les risques et les profits de leur entreprise: 40 à 45 % des bénéfices sont affectés à la participation de tous au bénéfice et 40 à 45 % assurent la pérennité de l’outil de travail. Détenant au moins 51 % du capital social et 65 % des droits de vote (une personne = une voix), les salariés ont le pouvoir sur les orientations importantes.

Les dirigeants sont élus par AG pour un mandat de quatre à six ans. Les écarts de salaires sont faibles, voire inexistants. Quant à la Société coopérative d’intérêt collectif, ou Scic, elle a pour objet la production ou la fourniture de biens et de services d’intérêt collectif présentant un caractère d’intérêt public. Les salariés y sont associés aux côtés d’autres parties prenantes (producteurs, clients ou encore collectivités).

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