Obsolescence programmée : ces citoyens devenus réparateurs militants

De nombreux industriels planifient une durée de vie limitée pour les produits qu’ils fabriquent. À quand la fin de cette obsolescence programmée ? Bientôt, si l’on en croit la loi relative à la transition énergétique, qui prévoit de punir de deux ans de prison et 300 000 euros d’amende tout constructeur s’en rendant coupable.

Mais en l’absence de contrôle préalable par les autorités publiques, il est difficile de prouver l’existence d’une date limite de consommation d’un appareil. Et plus encore pour le consommateur de mener l’enquête, de dénicher ou de déchiffrer les informations sur la conception d’un produit, que les industriels veillent souvent à cacher ou à rendre opaques.

Las d’attendre, certains particuliers luttent en secret et remettent l’art de la réparation au goût du jour. Au lieu d’interroger les constructeurs, ces réparateurs citoyens tentent de bousculer les habitudes des consommateurs, jugés eux aussi responsables du processus d’obsolescence programmée : smartphone renouvelé chaque année, écran d’ordinateur abandonné sur le trottoir, grille-pain enfoui au fond d’une cave. Redonner vie aux objets permet de réduire à la fois nos déchets et nos dépenses. Rencontre avec quatre réparateurs militants.
 

Damien Ravé, créateur de Commentreparer.Com

Au départ, il y a un geek. Pas très bricoleur, certes, mais sensible aux questions environnementales. Damien Ravé, 34 ans, a toujours eu “les mains dans les ordinateurs“. Ce spécialiste en design, marketing et développement web tombe des nues en 2011 lors de la diffusion sur Arte du documentaire Prêt à jeter, sur l’obsolescence programmée.

Comme beaucoup de jeunes de sa génération, Damien s’aperçoit que, contrairement à son grand-père, s’emparer d’un tournevis n’est pas aisé lorsqu’un appareil tombe en panne. Il crée le site Commentreparer.com, une plateforme collaborative “bienveillante” où les internautes s’entraident pour apprendre à réparer toutes sortes d’objets. “En reprenant le pouvoir sur la technologie, nous redevenons des acteurs de notre environnement”, assure-t-il. Quatre ans plus tard, 11 000 néobricoleurs visitent chaque jour son site.
 
www.commentreparer.com
 

Bernard Arru, directeur des Ateliers du bocage

Dans la ligne de la philosophie de l’abbé Pierre, Bernard Arru gère la communauté Emmaüs du Pin, dans les Deux-Sèvres, depuis près de quarante ans. Informaticien de formation, il ouvre en 1992 Les Ateliers du bocage. “Notre ADN a toujours été le réemploi”, précise-t-il. Chaque mois, 40 000 téléphones portables passent entre les mains des 220 salariés, qui leur redonnent une deuxième vie, grâce à la réparation, à la revente d’occasion ou au recyclage.

La panne la plus courante : les écrans cassés. Ensuite viennent les problèmes de batterie. Bernard Arru affirme que “99 % des smartphones que nous recevons sont réparables en quelques secondes. Une aberration quand on pense qu’en Afrique, les mobiles ont facilement trois ou quatre vies “.

www.ateliers-du-bocage.fr
 

David Bourguignon, cofondateur du Repair Café Marseille

Consultant en innovation, David Bourguignon a été séduit par le concept néerlandais Repair Café. Apprendre à réparer ensemble, c’est pour lui le moyen de limiter son empreinte écologique : “Tant qu’un objet n’est pas réduit en miettes, il peut toujours servir à quelque chose.”

Une à deux fois par mois, Repair Café Marseille propose gratuitement aux habitants de mettre la main à la pâte grâce aux conseils d’un réparateur professionnel ou passionné. Pour David, les consommateurs portent ainsi un regard moins réducteur sur leurs objets : “Avec l’ouverture du Repair Café, nous souhaitons participer au développement d’un écosystème de la réparation à Marseille.”

www.repaircafe.org
 

Emmanuel Vaxelaire, directeur du Télécommandier

Emmanuel Vaxelaire est fier de son entreprise, qui est unique dans son genre. Le Télécommandier – c’est son nom – propose la réparation, à des prix abordables, de toutes sortes de télécommandes (téléviseur, garage, store, voiture…), “surtout si l’émetteur est considéré comme irréparable par un professionnel ou par son propriétaire”.

Ce métier, qu’il est le seul à pratiquer, est “né d’une révolte”. ” Je ne pouvais accepter la fatalité d’un monde qui jette tout ce qu’il produit le plus rapidement possible, avec des techniques de marketing devenues folles.” Preuve que le public en prend conscience : l’activité d’Emmanuel progresse de 32 % pour la sixième année consécutive. À ses yeux, Le Télécommandier est un geste qui sauve.

www.telecommandier.fr

Lisa Serero
Journaliste
@LisaSerero

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