Partager la publication "À Bruxelles, ces citoyens volent au secours du moineau"
Ce jeudi de février, l’élégante salle des mariages de l’hôtel de ville de Schaerbeek, commune du nord de Bruxelles, est presque comble. Plus d’une soixantaine de convives attendent que débute la cérémonie.
Sur l’estrade, cependant, point de contrat ni de couple en émoi. Ce soir, insolite configuration, le maitre de cérémonie est un ornithologue. Et celui qu’on célèbre est un compagnon dont
la fidélité à l’homme n’est plus à démontrer : le moineau.
L’ambiance n’est malheureusement pas à la fête. Car depuis quelques années, le mariage bat de l’aile. L’homme a tant transformé ses villes qu’il en a progressivement exclu le petit volatile. À Bruxelles, le divorce est même quasiment consommé : depuis vingt-cinq ans, la population de passer domesticus y a baissé de 95 %…
Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN n°31, paru en août 2020, disponible sur notre boutique en ligne.
Mise à jour : La population des oiseaux des villes et des champs en France a décliné de près de 30 % en trente ans, souligne le 31 mai 2021 une nouvelle étude du Muséum national d’histoire naturelle, de l’Office français de la biodiversité (OFB) et la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).
Toutes les grandes villes sont concernées. À Paris, la Ligue protectrice des oiseaux (LPO) estime qu’entre 2003 et 2016, 73 % des moineaux, soit trois sur quatre, ont disparu ! Une hécatombe qu’il devient urgent d’enrayer, si l’on veut encore entendre chanter, dès janvier, cet oiseau à nos fenêtres.
L’époque est à l’extinction de masse, et toutes les espèces sont concernées… Pourquoi dès lors cibler ce si banal piaf ? Objectent certains. Parce que, répondent les spécialistes, la déroute de ce passereau de quelque 40 grammes pour 14 centimètres de long a valeur de symbole. Celui, d’abord, de la rupture de l’homme moderne d’avec le reste du règne animal.
“Le moineau domestique est un très vieil et très proche ami de l’homme”, explique l’ornithologue du soir, Erik Etienne. “Depuis le néolithique, il vit littéralement avec nous : il niche dans nos constructions et mange à notre table. Et ce partout dans le monde et toute l’année, puisqu’il ne migre pas.”
Originaire du Moyen-Orient, le moineau domestique s’est épanoui dans toute l’Europe, mais aussi en Inde, en Russie, en Amérique, en Afrique et jusqu’en Australie. Qu’en à peine vingt ans, l’homme ait pu expulser ce colocataire millénaire est un dramatique exemple de la croissante déconnexion homme-nature.
Symbole, aussi, de villes devenues hostiles au vivant. Car si les causes de la disparition des moineaux sont multiples, et que l’évolution du bâti en est une cause majeure (les nouvelles constructions et la rénovation des façades privent cette espèce cavernicole d’habitat), l’inhospitalité généralisée de l’environnement urbain est largement incriminée : bruit, pollution lumineuse, minéralisation et bétonisation, contamination aux particules fines, disparition des insectes (dont un tiers des espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction)…
Dès lors, le moineau fait office de lanceur d’alerte. “Comme le canari prévenait les mineurs du danger, la disparition du moineau doit nous alarmer. Une ville devenue invivable pour lui ne le sera-t-elle pas bientôt pour nous ?”, questionne ainsi l’ornithologue.
Et puis, plus prosaïquement, sauver cet oiseau, c’est aider l’ensemble de l’avifaune urbaine. Martinet noir, mésange bleue et charbonnière, hirondelle, accenteur mouchet, troglodyte mignon ou pouillot véloce… tous ont à y gagner : leur frère moineau est, dans la terminologie écologique, une espèce dite “parapluie”.
“Cela signifie qu’en le protégeant, on protège aussi un grand nombre d’autres espèces”, souligne Erik Etienne.
Aussi, convaincu de l’urgence, ce dernier est-il devenu le héraut des moineaux bruxellois, et l’un des moteurs de la riposte citoyenne. Guide nature, formateur et ornithologue, membre de la grande ONG de protection de la nature Natagora, il sillonne la capitale belge pour prêcher la bonne parole, et consolider la petite armée militante de défense du volatile.
Avec succès : cette dernière ne cesse de croitre. Ainsi, depuis qu’il a cofondé en 2016 le tout premier “groupe moineaux” de Bruxelles, dans la commune de Saint-Gilles, l’initiative a largement essaimé : dix communes (sur les dix-neuf qui composent la capitale) ont désormais leur groupe moineaux. Et la petite armée, lancée à deux, réunit aujourd’hui des dizaines de bénévoles.
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Tant mieux, car le travail ne manque pas. Il a d’abord fallu dresser un état des lieux. C’est-à-dire arpenter les rues et interroger les habitants pour répertorier et cartographier les dernières colonies de moineaux et repérer les sites de nidification – un tel recensement a même été lancé au niveau régional en pleine crise du Covid-19. Puis l’opération de sauvegarde elle-même a pu débuter.
Le collectif s’est doté de deux outils. Le premier, le “kit moineaux”, est une aide d’urgence pour endiguer l’hémorragie. Il est distribué gratuitement aux habitants candidats, et réunit l’essentiel : une mangeoire spécifique (qui bloque l’accès aux voraces pigeons, perruches et autres rats) ; un nichoir trois places (le volatile est grégaire) ; et quelques kilos de nourriture, riche en protéines végétales (graines) et animales (vers de farine).
Sur la seule commune de Saint-Gilles, une cinquantaine de kits ont d’ores et déjà été installés. Soit une copieuse aide alimentaire locale et 150 nouvelles cavités pour les nids. Ce qui a conduit à une fréquentation des moineaux décuplée dans les jardins de certains habitants.
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Le second outil, le “cahier des moineaux”, s’inscrit dans le long terme. Véritable bible de la préservation de l’espèce, il doit sensibiliser la population et lui donner toutes les clés pour s’investir. Y sont notamment consignés les principaux “coups de main” à offrir à l’oiseau.
Parmi eux : la végétalisation (qui attire les insectes, dont dépendent les oisillons, et qui fournit des graines, nécessaires aux adultes) ; le bon usage des mangeoires et des nichoirs ; la surveillance des chats (dont les études montrent que chacun cause en moyenne la perte de 7 à 40 oiseaux chaque année) ; ou encore des conseils relatifs au bâti, pour des rénovations extérieures accueillantes aux oiseaux. Des bonnes pratiques relayées lors d’actions de sensibilisation sur le terrain et dans les écoles.
Les citoyens ont toutefois vite compris qu’ils n’y arriveraient pas seuls. Opiniâtres, ils sont parvenus à convaincre les communes de s’impliquer. Comme celle de Saint-Gilles, pionnière. Cette année, elle s’est engagée à tester un nouveau dispositif : des “bandes nourricières”, parterres de plantes céréalières installées sur une grande avenue, pour recréer un réservoir naturel de graines dans la ville.
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