Partager la publication "On a vu “Caught”, le docu qui dénonce les 10 000 dauphins tués chaque année en France"
Officiellement, ce sont des “captures accidentelles”. Mais quand la flotte de pêche française tue pas moins de 10 000 dauphins chaque année dans le Golfe de Gascogne, c’est qu’il y a un vrai problème. À titre de comparaison, le plus grand massacre de dauphins en Europe – aux îles Féroé (Danemark) – en tue 1000 à 1500 par an. Même dans la baie de Taiji, au Japon, où des milliers de ces cétacés sont abattus chaque année, le nombre reste moindre. “C’est le plus grand nombre de dauphins tués sur la planète”, affirme Paul Watson, le fondateur de Sea Shepherd.
“C’est une réalité qui était passée sous silence jusqu’à présent. Ce documentaire vient mettre ce drame en lumière”, nous explique Lamya Essemlali, président de Sea Sherpherd France. L’ONG de défense des océans s’est associée avec Age of Union, une alliance environnementale qui œuvre à protéger les espèces et les écosystèmes menacés partout dans le monde, pour réaliser un documentaire. “Caught” (“Dans les filets”, en français) était présenté en avant-première ce samedi 22 octobre au Grand Rex à Paris. WE DEMAIN y était.
Dans ce documentaire, on découvre l’impact des méthodes de pêche non sélectives sur la faune marine. Les images sont le fruit du travail de l’équipage du bateau Sea Shepherd M/Y Age of Union. Les dauphins, bien sûr, mais aussi les oiseaux de mer sont particulièrement touchés par cette activité. Face à un État en retrait et des bateaux qui profitent d’une législation laxiste, la pêche au large de la côte sud-ouest de la France se révèle être un véritable far west pour les dauphins.
Et le phénomène est en hausse. Non pas à cause d’une hausse de l’activité de pêche mais pour des raisons multifactorielles. Le changement climatique concentre peut-être davantage de poissons dans le Golfe de Gascogne, ce qui attire d’autant plus les dauphins. Au contraire, le manque de nourriture incite peut-être les cétacés à venir chercher leur nourriture dans les filets. La pollution (chimique et/ou sonore) pourrait aussi perturber les dauphins. Les causes sont sans doute multiples mais le chiffre est là. 10 000 dauphins meurent en moyenne de l’activité humaine en mer dans le sud-ouest de la France. Plus globalement dans le monde, Sea Shepherd estime que 300 000 mammifères marins sont tués par année par des engins de mer. Un chiffre sans doute en-deçà de la réalité.
Même si la France possède le deuxième espace maritime mondiale, elle importe les 2/3 de ce qu’elle consomme. Et mange du poisson “à crédit” à partir du mois de mai de l’année car elle a déjà épuisé la totalité de son quota. Plus globalement, la planète mange beaucoup trop de produits de la mer par rapport aux ressources restantes. Au lieu des 22-24 kilos de poissons consommés par an, chaque être humain devrait en manger 8 kilos au maximum.
En France, il est interdit de pêcher les dauphins mais la législation tolère ce qu’elle appelle la “capture accidentelle”. Ce sont des espèces capturées involontairement par la pêche commerciale. Si un dauphin est pris dans les filets et meurt avant de pouvoir être relâché, le pêcheur ne peut le commercialiser (contrairement au requin renard ou peau-bleue que l’on retrouve régulièrement sur les étals d’enseignes comme Intermarché par exemple). Il va donc le rejeter à l’eau. Et une partie (environ 10 %) finira par s’échouer sur nos côtes. Officiellement, le pêcheur doit faire un rapport pour signaler ses “captures accidentelles”. Dans les faits, “à peine 5 % de la flotte le fait sérieusement et il n’y a aucune sanction de l’État”, assure la présidente de Sea Shepherd France.
“Le problème, c’est le choix des filets, leur taille et l’absence de volonté des bateaux de pêche d’éviter ces ‘prises accessoires’. Chaque semaine, dans le Golfe de Gascogne, c’est l’équivalent de 45 000 km de filets de pêche qui sont mis à l’eau. Autant que le tour complet de la planète. Et ces filets ne sont pas ou très peu sélectifs. Résultat : nous avons transformé des prédateurs, les dauphins, en proie. or, ils sont très fragiles“, met en garde Lamya Essemlali.
Pour éviter de mettre en péril la population des dauphins au large des côtes françaises, le CIEM (Conseil International pour l’Exploration de la Mer) a suggéré une restriction saisonnière de la pêche. Une idée soutenue par la Commission européenne en 2020 qui a incité l’Hexagone à “mettre en œuvre des mesures” en la matière. Pour l’heure, cette restriction spatio-temporelle en hiver n’est pas appliquée par la France, qui se refuse à pénaliser la pêche industrielle. Mais la Cour de justice européenne pourrait obliger l’État à prendre ces mesures.
En 2019, Sea Sherperd avait gagné un recours contre le gouvernement français. “Nous en avons appelé au Conseil d’Etat pour la non application de mesures de protection des dauphins, une espèce protégée au niveau européen. Il a reconnu une faute de protection des mammifères marins”, explique Marion Crecent, l’avocate de l’ONG. Mais la suspension totale de la pêche sur une période de l’année n’est pas encore à l’ordre du jour.
Le juge des référés du Conseil d’État a bien constaté “que les échouages de dauphins se sont fortement accrus depuis 2016 dans le golfe de Gascogne. Et que ces échouages sont dans la plupart des cas dus à une mort dans un engin de pêche”. Mais il a estimé que la mise en place de répulsifs sonores serait suffisante.
“Ces ‘pingers’ pourraient avoir un effet contre-productif. On craint que ces signaux sonores ne deviennent pour les dauphins comme un appel à venir manger, explique Lamya Essemlali. Je suis en revanche en faveur de la mise en place de caméras sur la totalité des ponts des bateaux de pêche. Cela permettrait de constater l’ampleur des “pêches accidentelles” et obligerait les pêcheurs à déclarer ces prises accessoires.” En outre, elle souhaite que, comme en Australie, les pêcheurs ne mettent pas à l’eau leurs filets s’ils constatent la présence de dauphins. “Ce serait déjà un bon début”. À défaut de vraiment mettre en place une pêche sélective, interdire la pêche sur une période de l’année et définir des zones réellement protégées.
Caught, documentaire de 37 minutes, est produit par Age of Union. Il sélectionné par le Wildscreen Film Festival 2022 et sera bientôt disponible gratuitement en ligne.
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