Partager la publication "Pollution de l’air intérieur : les bons gestes à adopter"
Au cours de la pandémie de Covid-19, l’aération de nos espaces intérieurs a conquis le statut de geste barrière et des appareils comme les détecteurs de CO2 et les purificateurs d’air ont fait une entrée polémique dans les salles de classe. Depuis une vingtaine d’années, la recherche scientifique a avancé sur le sujet de la qualité de l’air intérieur en cernant mieux les différentes sources de pollution.
Elles se cumulent à celles de la pollution atmosphérique et se concentrent à l’intérieur des bâtiments, dans lesquels nous passons 80 % de notre temps. Mais la qualité de l’air intérieur reste aujourd’hui un sujet d’experts, qui ne fait pas encore l’objet d’une appropriation citoyenne. Pourtant, chacun dispose chez lui de marges de manœuvre pour respirer un sain plus sain.
Une recherche pour mobiliser le public
Une recherche à laquelle j’ai participé, soutenue par l’Ademe et Leroy Merlin Source, a souhaité approcher la qualité de l’air intérieur des logements du point de vue des habitants, pour comprendre comment mobiliser le grand public sur ce sujet. Associant une équipe de sociologues (cabinet GBS) et d’expertes techniques (Médiéco), cette recherche a adopté une approche inédite mêlant ethnographie et accompagnement des habitants.
Douze familles ont ainsi participé en ouvrant la porte de leur domicile aux chercheurs pour une demi-journée, partagée entre un temps d’observation (entretien, visite commentée) et une séquence de conseils personnalisée, ludique et engageante. Durant les trois mois suivants, ces familles ont expérimenté la mise en place des conseils d’amélioration de la qualité de l’air, encouragées par leur participation à un groupe WhatsApp animé par les expertes. Un entretien final a permis d’évaluer la démarche et les changements mis en œuvre grâce à cet accompagnement.
Déni autour de la pollution intérieure
Nous avons qualifié de déni ordinaire le rapport que les Français entretiennent à la qualité de l’air intérieur de leur logement. Elle ne fait pas partie de leurs préoccupations, contrairement aux économies d’énergie par exemple.
Les habitants se focalisent sur la pollution atmosphérique qui bénéficie d’une forte exposition médiatique depuis plusieurs années maintenant.
Surtout, reconnaître que l’air chez soi est plus pollué que l’air du dehors revient à mettre en danger l’une des principales fonctions anthropologiques du chez soi – la protection : s’il est contaminé, il ne peut plus être un « cocon ».
La perception de la qualité de l’air intérieur au quotidien passe par des signes sensibles rarement cohérents avec la détection des polluants. « L’odeur de propre », par exemple, est en fait celle de polluants chimiques dans l’air.
L’aération, une pratique bien ancrée
Du côté des pratiques, la situation paraît plus encourageante au premier abord car le rituel d’aération matinale est une routine bien intégrée, même en hiver. En revanche, la seconde aération quotidienne recommandée est beaucoup plus aléatoire, elle entre en tension avec la préoccupation pour le confort et les économies d’énergie.
Le constat le plus frappant de l’étude est la distance que les ménages entretiennent avec leur système de ventilation. Ils n’ont souvent même pas les mots pour le décrire et n’en comprennent pas le fonctionnement : plusieurs habitants ont ainsi découvert l’existence d’entrées d’air dans leurs fenêtres.
Il n’est pas étonnant alors que son entretien – par le dépoussiérage – soit irrégulier voire inexistant, et que les habitants mettent en œuvre des pratiques contre-productives – comme l’obstruction des bouches – quand ils sont gênés par le bruit ou le froid.
Changer ses habitudes de consommation
L’accompagnement proposé a permis d’élargir le champ de vision et d’action des ménages sur la qualité de l’air de leur logement.
En plus de la discipline d’aération et le maintien d’une ventilation en bon fonctionnement, l’amélioration de l’air chez soi implique une révolution des habitudes de consommation courante, afin de réduire à la base les émissions de polluants : choisir des produits ménagers et cosmétiques sains, se détacher des parfums d’ambiance (bougies, diffuseur…), bannir le tabac en intérieur, limiter l’utilisation de la cheminée, adapter ses choix d’aménagements (éviter les tapis, privilégier les meubles en bois brut)…
Si une partie des habitants avaient déjà entamé ces changements, de fortes marges de progression existent afin d’adopter ces réflexes préventifs. Même les plus renseignés jugent ainsi la javel comme un produit inoffensif, ce qui est loin d’être le cas.
Gare aux solutions technologiques
Au-delà de ces habitudes quotidiennes, que faire pour améliorer durablement la qualité de l’air de son logement ? En premier lieu, ne pas tomber dans le piège des baguettes magiques technologiques que représentent les purificateurs d’air et les capteurs.
La pression marketing suscite la tentation d’achat de purificateur, alors que leurs effets assainissants en situation réelle sont limités, et dans certains cas, controversés. Quant aux capteurs de qualité de l’air, leur possession n’est pas suffisante pour enclencher une posture réflexive chez la plupart des ménages.
Tout comme le suivi des consommations d’énergie, ces outils de mesure ont un effet dans le cadre de dispositifs d’accompagnement. Or ceux-ci n’existent que de manière très marginale sur la qualité de l’air ou s’adressent à des populations spécifiques (malades, précaires énergétiques).
Des rénovations nécessaires
Les stratégies d’amélioration de la qualité de l’air les plus efficaces s’inscrivent en réalité dans le cadre de travaux. Elles paraissent néanmoins encore bien laborieuses aux habitants et leurs résultats assez incertains.
Utiliser une peinture non toxique (« naturelle », bio, écolabellisée…), par exemple, est une aspiration de plus en plus courante : mais la choisir reste difficile et son coût plus élevé aboutit à une utilisation partielle – souvent les chambres.
L’amélioration de la ventilation devrait être intégrée à toute rénovation, mais elle est trop souvent repoussée. En maison, son installation est hasardeuse : de nombreux dysfonctionnements sont constatés, y compris quand elle est réalisée par un professionnel. En immeuble, les efforts requièrent des décisions collectives trop difficiles à obtenir, par exemple lors de l’assemblée générale de copropriété.
Accompagner la prise de conscience
La démarche d’accompagnement expérimenté fait la preuve que des changements sont possibles du côté des habitants, à condition de dépasser une approche normative des comportements (comme les guides de bonnes pratiques) et de s’adapter à leur situation et à leurs préoccupations (propreté, cohabitation, copropriété, travaux…).
Chez les plus novices, l’accompagnement a produit une prise de conscience, « un choc » conduisant à l’abandon immédiat de nombreux produits nocifs. Chez les mieux renseignés, il a renforcé les dynamiques d’amélioration déjà à l’œuvre, et les a légitimés dans une position de porte-parole au sein de leur foyer, auprès de leur entourage voire au travail, conduisant à une diffusion des conseils.
Gageons que cette expérience, dont les outils sont librement accessibles, inspirera de nouvelles démarches portées par des professionnels au contact des habitants, qui n’identifient pour le moment aucun interlocuteur légitime sur le sujet.
Outiller les professionnels
La lutte pour un air plus sain dans les logements ne peut toutefois pas reposer exclusivement sur les habitants. L’état de l’art dressé au démarrage du projet a révélé qu’elle requiert une approche globale associant des politiques publiques plus ambitieuses, une offre de produits sains mieux développée et davantage de prescriptions par les professionnels.
Il serait utile de mettre en situation de conseil les professionnels présents tout au long du parcours des ménages : artisans, agents immobiliers, conseillers France Renov’, magasins de bricolage, travailleurs sociaux, sages-femmes… Des projets travaillent déjà sur la posture des professionnels et tentent de mieux les outiller (ECRAINS, Just’Air, FLARE).
Ces changements deviennent urgents à l’heure de l’intensification de la politique de rénovation énergétique des logements, si l’on ne veut pas transformer un progrès dans la lutte contre le réchauffement climatique en scandale sanitaire de l’air intérieur.
À propos de l’auteur : Gaëtan Brisepierre. Sociologue indépendant, École des Ponts ParisTech (ENPC).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.