Pour des villes 100 % cyclables, la Vélorution grille la priorité aux voitures

Il est un peu moins de 19 h, ce jeudi 21 mai, sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris. Profitant des derniers rayons du soleil sur des transats, quelques touristes regardent d’un œil amusé une réunion de cyclistes atypique. Parmi ces derniers, un homme entièrement vêtu de noir, la pipe au bec, installe un mini “sound system” sur son porte bagage. Les premières notes de Bombtrack des Rage Against The Machine retentissent.

Plus loin, un type dont le sweat-shirt arbore le nom de l’ONG Sea Shepherd semble mener les opérations. “Vous avez ramené votre vélo ?”, apostrophe-t-il les passants, avant de se présenter : Jérôme, 52 ans, informaticien à Châtillon.
 
Ambiance festive
 
L’association Vélorution est née en 2004 à Paris, dans la lignée d’un mouvement vieux de 40 ans. Son texte fondateur, le Manifeste vélorutionnaire, a été publié par le collectif Les Amis de la terre en 1977. Le crédo des “vélorutionnaires” ? Inviter les citoyens à repenser leurs modes de transports,  principalement axés sur l’automobile et la moto.

En novembre 2014, l’association a produit son propre manifeste. Il prône la transgression du code de la route, “qui n’a été conçu que pour faciliter la prolifération des véhicules motorisés”. Un programme régulièrement mis à exécution dans plusieurs villes de France. Des cyclistes militants s’y rassemblent, afin de former ce qu’ils appellent une “masse critique”. Dans une ambiance festive, quelques heures durant, ils jouent de leur nombre pour reprendre la route aux automobilistes.
 

“La masse critique, précise Jérôme, c’est une démonstration de fierté de la part des cyclistes de représenter, le temps d’un événement, le trafic dominant. “Masse”, car on doit être suffisamment nombreux pour s’insérer dans le trafic sans danger. Et “critique”, car on veut dénoncer la façon dont la ville est aménagée, la place accordée à la voiture, la pollution…”

D’inspiration écolo-libertaire – une pensée écologique radicale qui entend rompre avec la société industrielle -, la Vélorution fait de plus en plus d’adeptes parmi les cyclistes, et pas forcément les plus militants. “Depuis que je vis ici, j’ai investi dans un vélo, ça me permet de mieux connaître la ville”, raconte Tonya, une jeune étudiante norvégienne de 25 ans. C’est parce que “le vélo rassemble plus qu’il ne divise” qu’elle a décidé de rejoindre cette meute pacifique.

Conférence climat



Outre ces rassemblements ponctuels, le collectif prend position sur des questions d’aménagement urbain, à travers la publication de textes critiques disponibles en ligne. Il dénonce notamment le Plan d’action pour les mobilités actives (PAMA), présenté l’an passé par le ministre délégué aux transports, qui, d’après la Vélorution, “ne se montre pas à la hauteur des enjeux”. Selon l’association, “l’espace urbain appartient à tous mais n’est pas équitablement réparti par les politiques”.

Il est 19 heures passées quand le son d’un kazoo annonce le départ imminent du cortège. Quelques dizaines de personnes forment la “masse”, prête à se frotter contre son ennemi juré, la voiture. Pour Romain, un photographe de 39 ans, le nombre importe peu :
 

Aujourd’hui on est 50, demain on sera 70. Et bientôt 200… Si l’on ne commence pas à agir maintenant, il ne se passera jamais rien. Nous pouvons tous agir à notre niveau et c’est en accumulant [ce genre d’initiatives] que nous pourrons faire de grands pas.”

 
Planifiée chaque samedi depuis janvier, la manifestation se déroule désormais aussi le 21 de chaque mois. Des rendez-vous plus fréquents qui s’inscrivent dans une recherche de visibilité, en amont de la COP 21, le sommet mondial sur le climat organisé à Paris en décembre.

Prêts pour le changement

Selon Jérôme, ce rassemblement des chefs d’État du monde entier ne débouchera sur des solutions concrètes que si les gouvernements “se libèrent des lobbies et prennent en compte l’intérêt général”. Il se dit persuadé que “les gens sont prêts à changer de comportement, à l’instar des cyclistes qui ont décidé d’abandonner leur voiture.”

Au deuxième coup de kazoo, les participants s’en vont ravir aux voitures le monopole du trafic. L’objectif ? Perturber la circulation, à grands renforts de slogans : “À nous la rue !” ;“les voitures à la casse, les vélos à la place !”. La Vélorution arpente les rue sans direction claire. Ce sont les personnes situées à l’avant qui décident où l’on va, explique Jérôme.

Peu à peu, la “masse” fait son effet. Ni les voitures, ni les motos ne peuvent la traverser. Si quelques automobilistes ronchonnent, klaxonnent ou lâchent des jurons, la plupart des passants assiste à ce drôle de cortège le sourire aux lèvres.

Soudain, après avoir pédalé quelques dizaines de minutes, le groupe marque l’arrêt. Pendant que certains collent au mur une

affiche qui critique la COP 21, d’autres prennent la parole pour informer des prochaines actions organisées.

Une pause salvatrice pour certains.

Elle est rapide cette Vélorution, non ?”, lance une jeune habituée du mouvement, casque sur la tête et gilet fluo sur le dos. Mais déjà, la trêve est rompue. Après avoir contourné le Panthéon et traversé les ruelles du quartier latin, le groupe se dirige vers l’hôpital militaire.

On va monter en puissance jusqu’à la conférence, avec en point d’orgue une Vélorution planétaire le 5 décembre, annonce Jérôme. Militer, ça devient un art de vivre ! Même si on ne sait pas si ce qu’on fait aura un impact, c’est joyeux et on créé des liens… Et c’est comme ça qu’on peut entrainer des gens avec nous.” 


Il est 20 h, rue de l’Estrapade. Les rayons du soleil peinent désormais à percer les arbres qui bordent la chaussée. L’atmosphère printanière est apaisante. Peu à peu, les “vélorutionnaires” se séparent, en attendant le prochain grand soir.

Mehdi Boudarene
Journaliste à la Street School
@julius_barnabus
 

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