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Pour préserver l’environnement, rien ne vaut l’échelle locale

À l’occasion de la Journée du Climat, le 8 décembre, la Fondation pour la nature et l’Homme (FNH) a rappelé que l’État n’avait plus que jusqu’au 31 décembre 2022 pour “sortir la France de l’illégalité climatique”, suite à sa condamnation, en 2021, pour inaction climatique dans le cadre de l’”Affaire du siècle”.

Précédemment interpellé à ce sujet sur divers réseaux, le chef de l’État, Emmanuel Macron, avait, en novembre, publié une vidéo rappelant les actions menées depuis sa première élection, et pilotées à Matignon par la cellule de planification écologique mise en place les jours suivants sa réélection au printemps. Ces actions sont désormais regroupées en 22 chantiers touchant à la vie quotidienne et articulées autour de six thématiques : mieux se déplacer, mieux se loger, mieux se nourrir, mieux produire, mieux consommer et mieux préserver nos écosystèmes.

Une expérience pour mesurer l’importance de l’action individuelle

La focale semble y être portée au niveau de l’individu. L’action individuelle est, de fait, l’échelle de mesure lorsqu’on s’intéresse aux changements dans les comportements. Ceci est important à rappeler face aux critiques, nombreuses, qui rappellent la responsabilité des gouvernements et des industries dans le changement climatique : derrière les institutions et les entreprises, les réglementations, les incitations et les contraintes, il y a des individus qui prennent des décisions et dont les actions vont devoir, à un moment donné, s’agréger.

Dans le cadre de la Grande Expérience participative de la Nuit des chercheurs, nous avons conduit, dans 11 villes françaises, avec près de 3 000 Français, une expérience pour tenter de mesurer l’importance des décalages dans les prises de décision entre les actions et leurs conséquences. Elle ne s’avère pas sans enseignement pour les politiques publiques.

Les animaux se moquent du colibri

Une légende amérindienne souvent reprise par les militants du climat raconte qu’un jour, les animaux de la forêt ont dû faire face à un terrible incendie. Pendant que tous, affligés par ce triste spectacle, regardaient leur lieu de vie partir en flammes, le colibri, lui, multipliait les allers-retours, transportant dans son petit bec quelques gouttes d’eau. Et à tous ceux le taxant de naïveté et lui expliquant que quelques gouttes n’éteindront pas le feu, il rétorquait :

“Moi au moins, je fais ma part.”

Cette légende nous dit que, entre autres, la façon dont se produit l’agrégation des actions individuelles, et la réussite ou non d’un effort collectif, vont dépendre de la capacité des individus à coordonner leurs actions et de la compréhension qu’a chacun de son rôle.

Plus il est difficile pour l’individu de l’intégrer, et plus son périmètre d’action lui paraîtra abscons, plus improbable sera la prise de décisions responsables. C’est parce qu’un animal pense qu’une éventuelle action de sa part ne changera rien qu’il reste passif et qu’il se moque du colibri.

Un décalage réel entre le désir de préserver les ressources… et le quotidien

En matière d’écologie, l’écart entre les échelles paraît parfois immense. Le dérèglement du climat, la surpêche des océans ou la déforestation sont des problématiques planétaires, ce qui fait que les individus se trouvent parfois incapables de visualiser les conséquences de leurs actions : elles semblent trop éloignées. Les échelles de temps aussi jouent à plein : la plupart des conséquences environnementales d’une action ne sont pas immédiates et les individus ne voient pas l’horizon temporel complet ni leur position dans la ligne de temps des décideurs successifs.

Alors que les enquêtes confirment un désir généralisé de la population de prendre soin des ressources, des données empiriques de plus en plus alarmantes montrent une surexploitation, parfois jusqu’à un point de non-retour. Mesurer les décalages entre les déclarations et les comportements réels semble ainsi être un volet nécessaire des politiques publiques.

Bien communiquer

Nous avons ainsi construit un cadre fictif, celui d’une population qui extrait les ressources d’un lac et d’une mer (ainsi que d’un bois et d’une forêt), jusqu’à un potentiel épuisement. Différents éléments étaient amenés à varier. Ce que nous avons observé est que plus l’échelle de partage est grande, plus il y a d’extraction. Les actions semblent ainsi plus pertinentes lorsqu’elles sont mises en place au niveau local plutôt qu’au niveau national.

Il apparaît également que les individus se montrent plus gourmands lorsqu’ils savent que la ressource se renouvelle rapidement. Par ailleurs, les participants s’autorisent une consommation supérieure lorsqu’ils ne reçoivent pas de recommandation précise sur la quantité optimale à extraire.

L’importance d’une communication claire et empirique sur les capacités des ressources à renouveler leur stock est ainsi clairement soulignée. Son absence pourrait laisser penser qu’une abondance de certaines ressources pourrait exister.

Les femmes plus économes que les hommes

Cette communication, reposant sur des données scientifiques précises quant à la disponibilité d’une ressource, ne semble avoir un effet significatif que si le taux de régénération de la ressource est relativement faible. Cela remet potentiellement en question l’efficacité des campagnes visant à limiter la consommation de ressources telles que l’eau, actuellement encore disponible en grande quantité, quand bien même sa disponibilité reste incertaine dans le futur.

Nos résultats montrent également que les femmes s’avèrent plus économes que les hommes, confirmant un effet de genre, documenté dans la plupart des recherches concernant les comportements. Elles semblent davantage motrices et plus exemplaires, plus coopératives et œuvrant davantage dans le sens de la préservation des ressources communes, que leurs homologues masculins. La jeunesse paraît également en moyenne plus responsable dans la préservation des ressources.

La vulgarisation reste essentielle

Notre expérience souligne enfin que, dans un contexte de ressources rares, mobiliser ce que l’on appelle le “capital comportemental” des individus et développer l’éducation à l’environnement peuvent être des outils efficaces. Cela influe notamment sur la résistance des individus au changement.

Les discours de type vulgarisation de la science semblent essentiels. Cela permet d’enraciner la définition de ce qu’est “préservation de l’environnement” par rapport à “l’utilisation de l’environnement” :

“La préservation de l’environnement exprime la croyance générale que la priorité doit être donnée à la protection de la nature et de la diversité des espèces animales dans leur état naturel, et à leur préservation de l’utilisation et de l’altération par l’homme.”

L’utilisation de l’environnement exprime la croyance générale qu’il est normal, approprié et nécessaire que la nature, et tous les phénomènes et espèces naturels soient utilisés et altérés pour atteindre les objectifs humains.”

Il s’agit aussi d’enseigner les conséquences perçues lointaines : en surexploitant l’environnement, l’individu non seulement diminue les possibilités pour les autres individus d’obtenir une part raisonnable des ressources, mais a également un impact sur la capacité de l’environnement à se régénérer sur le long terme, empiétant ainsi sur la capacité des générations futures à puiser dans les ressources.

Il faut faire connaître ce phénomène que le biologiste Garrett Hardin nommait déjà dans les années 1960 la “tragédie des biens communs”, conséquence d’un comportement humain guidé par la maximisation des gains individuels et non par le désir d’atteindre une solution socialement optimale.

À propos des auteurs :
Angela Sutan. Professeur en économie comportementale, Burgundy School of Business.
Youenn Lohéac. Enseignant-chercheur en Economie Expérimentale et Comportementale, Rennes School of Business.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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