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Seriez-vous prêt à louer une chambre chez vous à un ancien détenu ?

Loyers élevés, discriminations, barrière administrative… L’accès à un logement décent est devenu difficile pour une part grandissante de la population. Mais pour les personnes qui sortent tout juste de prison, cela relève du parcours du combattant. Une précarité qui augmente le risque de récidive, et celui de finir à la rue.

En France, 80 % des détenus sortent sans accompagnement et 14 % n’ont aucune solution d’hébergement , pointe l’Observatoire International des prisons. Un sans-domicile sur cinq aurait perdu son logement suite à une hospitalisation ou une incarcération. La situation n’est guère meilleure aux États-Unis, où les ex-détenus ont 10 fois plus de risques de devenir sans-abris, selon une étude menée par le think tank Prison Policy Initiative.

Face à ce constat, une solution originale est née sous le soleil de Californie, dans le comté d’Alameda. Lancé à l’été 2018 par l’organisation américaine Impact Justice, le Homecoming Project met en relation des propriétaires volontaires avec des détenus récemment sortis de prison.

Ceux-ci obtiennent la garantie de louer une chambre privée pendant au moins six mois pour un loyer mensuel fixe de 25 dollars/jour, soit environ 750 dollars mensuels. Un tarif abordable, si on le compare avec les prix astronomiques de l’immobilier californien. À Oakland, ville principale du comté, le loyer moyen d’un studio tourne autour de 3 800 dollars par mois

“Certains créent des maisons partagées pour accueillir des étudiants ou des réfugiés. Nous sommes les premiers à adapter ce modèle à des personnes en réinsertion”, souligne Terah Lawyer, responsable du programme-pilote, dans les colonnes du New York Times. Cette éducatrice santé, elle-même déjà passée par la case prison, dit avoir été inspirée par “le succès d’Airbnb et de l’économie collaborative”.

À lire aussi : Chambres à échanger : Ces sites qui réinventent la colocation étudiante

Créer un cercle vertueux grâce au logement

Des programmes de réinsertion d’anciens détenus existent déjà, mais ils impliquent le recours à des logements de transition ou des foyers temporaires, souvent saturés. L’organisation Impact Justice, elle, opte pour l’utilisation d’espaces inexploités, en subventionnant les propriétaires pour les encourager à mettre en location une chambre privée.

Avant de se décider, les hôtes volontaires peuvent contacter – et si besoin rencontrer – leurs futurs colocataires.

Chaque participant bénéficie ensuite d’un suivi personnalisé à la clinique LifeLong Medical Care de Berkeley, où il peut recevoir des soins, demander conseil, et suivre des ateliers de sensibilisation. Un accompagnement qui vise à améliorer l’entente, la communication, et résoudre les petits couacs du quotidien, comme l’explique Terah Lawyer :

Un hôte ne comprenait pas, par exemple, pourquoi son locataire faisait un tel cas du respect de l’intimité. Une fois qu’il a saisi la réalité des établissements pénitentiaires, où vous allez aux toilettes devant d’autres personnes, ça a résolu le problème.”

Un modèle à généraliser ?

Outre la garantie d’un logement, les ex-détenus reçoivent également un kit d’accueil composé d’un téléphone, de bons d’achat pour des vêtements et de produits d’hygiène. Pour financer leurs kits, et aider à payer leur loyer, Impact Justice propose sur son site de parrainer des volontaires. Chaque prise en charge coûte au total 7 500 dollars.

Depuis son lancement, le programme a accompagné une quinzaine de prisonniers. Tous ont repris leurs études ou retrouvé un travail. Le succès est tel que la demande de logement dépasse l’offre : la liste d’ex-détenus volontaires s’est allongée d’une centaine de noms, pour une vingtaine d’hôtes prêts à les accueillir. 

Pour mettre ces chiffres en perspective, 600 000 personnes sortent de prison chaque année aux États-Unis. Le Homecoming Project n’a donc pas fini de révéler son potentiel. Ou comme le résume joliment Crocette, une hôte participante, au Süddeutsche Zeitung : “Je ne peux accueillir qu’une seule personne, mais le besoin est infini.”

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