250 millions de joueurs dans le monde, un bénéfice de plus de 2 milliards de dollars en 2018… Les chiffres donnent le tournis. Lancé par le studio américain Epic Games en 2017, Fortnite s’est imposé en peu de temps comme un des jeux vidéo les plus populaires (et les plus rentables) au monde.
La recette du succès ? Son mode “Battle Royale”, où 100 joueurs s’affrontent sur une aire de jeu virtuelle (“map”) qui se réduit progressivement au fil de la partie. Pour remporter la victoire, il faut trouver des armes, construire des abris, et, évidemment, éliminer ses adversaires. Le tout dans un décor joyeux, coloré, sans aucune effusion d’hémoglobine.
Le jeu, disponible en ligne gratuitement sur un grand nombre de supports (console, ordinateur, smartphone), est devenu un incontournable. Les “danses de la victoire” de ses personnages sont copiées dans les cours de récréation, les terrains de foot, et jusqu’au plateau de BFMTV.
Bien sûr, il n’est pas le seul à modifier nos conceptions du sport et des relations sociales. Avant Fortnite, League of Legend, FIFA ou encore Habbo avaient déjà posé les premiers jalons. Mais sa diffusion massive à l’échelle mondiale fait prendre au phénomène une ampleur inédite. Fortnite bouscule les codes, et pas seulement dans l’univers des jeux vidéos. La preuve par trois.
Les joueurs professionnels de jeux vidéo peuvent-ils être considérés comme des sportifs ? La question divise encore les spécialistes. Une chose est sûre : les participants à la première édition de la Fortnite World Cup, qui s’est tenue du 26 au 28 juillet dernier à New York, ne sont pas arrivés là par hasard. Les pratiquants de sport électronique, ou e-sport, doivent en effet s’entraîner quotidiennement pour maintenir leur niveau de jeu. Ils sont encadrés, comme n’importe quel athlète de haut niveau, par des coachs personnels, et peuvent aussi se blesser physiquement.
Dans un article paru en 2018, le site France Info faisait état de cas de tendinites ou syndromes du canal carpien, qui gênent les performances des joueurs et peuvent même mettre (définitivement) leur carrière entre parenthèses.
Côté chiffres, les compétitions d’e-sport gagnent chaque année en popularité sans encore égaler les manifestations sportives dites “traditionnelles”. La Fortnite World Cup a ainsi rassemblé 20 000 spectateurs au stade Arthur-Ashe de New York, et plus de 2 millions de personnes en streaming pendant la finale de la catégorie “solo” (dont une écrasante majorité via les plateformes Twitch et YouTube). À titre de comparaison, la finale de l’édition 2018 du Superbowl avait réuni 100 millions de téléspectateurs, et la finale de la Coupe du monde de foot 2018, 1,12 milliard selon la FIFA.
Le vainqueur dans la catégorie solo, le jeune Américain “Bugha”, a empoché la somme de 3 millions de dollars. Soit bien plus qu’un champion olympique français, qui reçoit 50 000 euros pour une médaille d’or.
Tous les signes pointent vers une plus grande reconnaissance du sport électronique comme une discipline à part entière. Tony Estanguet, coprésident du comité Paris 2024, n’excluait pas de faire figurer l’e-sport au programme des prochains Jeux. Une éventualité jugée “prématurée” par le Comité olympique en décembre dernier qui, tout en reconnaissant le développement croissant du jeu électronique de compétition, jugeait que “l’utilisation du terme “sport” en ce qui concerne l’e-sport et les jeux électroniques [devait] faire l’objet d’un dialogue et d’une étude plus approfondis”.
Avec plus de 200 millions de joueurs enregistrés et des pics à 10,7 millions de connections simultanées, Fortnite se hisse au niveau de Twitter (330 millions de comptes actifs) ou Snapchat (188 millions d’utilisateurs quotidiens). Peut-il pour autant être considéré comme un réseau social à part entière ?
Oui, selon le groupe de réflexion Watch This Space, de l’entreprise de divertissement National Research Group, qui décrit le jeu comme “un ‘tiers-lieu” [pour] les digital natives”. Dans son étude “Fortnite – The new social media ?”, publiée en juin 2019, le think tank a interrogé un échantillon représentatif de 1500 utilisateurs de réseaux sociaux. Fortnite arrive en tête des plateformes les plus utilisées par les 10-12 ans. Un jeune public qui se connecte pour se mesurer aux autres… mais aussi pour se socialiser.
Sur le jeu Dofus, beaucoup se connectaient avant tout pour discuter avec d’autres joueurs, qui étaient devenus des amis. Cela ne m’étonnerait pas que ce soit aussi le cas pour Fortnite, bien que le rythme de jeu soit plus court, moins posé”, estime Mylène Lourdel, spécialiste en communication et marketing, ancienne cheffe de produit pour le MMORPG (jeu de rôle en ligne massivement multijoueur) français Dofus.
“Pour autant, je ne le considère pas comme un réseau social. Un réseau social est conçu spécifiquement pour communiquer et échanger. Fortnite ou un Dofus permettent certes cet usage, mais ce n’est pas leur vocation première.”
Si Fortnite peut relier, il peut aussi isoler. Dans un article paru en mai dernier dans le média anglo-saxon Polygon, la journaliste Patricia Hernandez s’interroge sur les dérives du système “free-to-play”, où les utilisateurs accèdent gratuitement au jeu mais doivent mettre la main dans le portefeuille pour obtenir du contenu additionnel. Ainsi, dans Fortnite, on peut personnaliser son avatar parmi un catalogue de “skins” qui se vendent généralement entre 10 et 20 euros l’unité.
Émerge alors un nouveau modèle de discriminations, où le marqueur social n’est plus le vêtement de marque ou le téléphone dernier cri, mais le look de son personnage virtuel. “Je ne pense pas que Fortnite ait remplacé les autres marqueurs sociaux, tempère Mylène Lourdel, mais il s’y ajoute. Là comme ailleurs, dès qu’un enfant sort du lot, il va recevoir des remarques. Les codes sociaux nous suivent à l’intérieur des jeux vidéo.”
Ce nouveau lieu d’échange attire l’attention des marques, mais aussi des associations qui cherchent à toucher un public jeune. C’est le cas du WWF France, qui lançait en avril dernier, en partenariat avec l’agence We Are Social, le défi #NoBuildChallenge sur la plateforme.
“Ce défi invite la communauté des gamers à suivre une nouvelle règle : se passer des ressources naturelles (le bois, le métal, la pierre…), qui constituent un avantage pour progresser lors d’une partie classique”, explique l’ONG sur son site. Ou comment encourager les joueurs à se surpasser, tout en les sensibilisant à l’importance de préserver les ressources.
Pour Mylène Lourdel, cette démarche est “parfaitement logique”. “Si l’on parle juste d’écologie à des jeunes, la plupart se sentiront peu concernés. Mais utiliser un moyen ludique permet de mieux faire comprendre les enjeux, et qu’ils s’approprient le message.”
Amuser pour mieux transmettre un message, c’est également la stratégie qu’a adoptée l’équipe américaine “Climate Scientist Squad” pour toucher son public.
Ses membres, le climatologue Andrew Dessler et l’étudiant en océanographie Henri Drake, se filment en train de jouer à Fortnite tout en discutant modèles climatiques, pollution atmosphérique ou éco-anxiété. Leurs parties, visionnables en direct ou en streaming sur Fornite et Twitch, attirent les curieux qui peuvent ensuite poser des questions aux deux scientifiques via le chat.
Nouveau support de communication et de sensibilisation, le potentiel du jeu n’a pas échappé à son propriétaire Epic Games. Les studios ont confirmé en juin dernier le rachat de Houseparty, une application de chat vidéo. Ce nouveau réseau social va-t-il fusionner avec Fortnite ? Comme le précise le site Business Insider, les deux plateformes devraient fonctionner de manière indépendante… du moins, pour encore un moment.
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