Partager la publication "Territoire Zéro Chômeur : “C’est la première fois de ma vie que mon travail a un sens”"
C’est un petit local aux murs jaunes qui passe presque inaperçu depuis la rue. Mais pour les habitants du 13e arrondissement de Paris, le comptoir Patay est devenu un rempart contre la précarité et l’isolement.
Derrière la porte, en ce jour froid de novembre, d’anciens chômeurs de longue durée accueillent un petit groupe de retraités. Ils les emmènent visiter le Musée de la préfecture de police de Paris. L’équipe du comptoir appelle aussi toutes les semaines ses abonnés seniors (une centaine) pour prendre de leurs nouvelles et leur proposer un “coup de pouce” pour monter des courses, chercher des médicaments ou réaliser des petits travaux. Chaque abonné a droit à deux “coups de pouce” par mois pour 55 euros annuel. Les retraités peuvent participer à des sessions hebdomadaires d’aide informatique ou de gym douce, des ateliers, ou tout simplement passer bavarder… “Maintenant quand on se rencontre dans la rue, on se dit bonjour“, se réjouit Martine, une des abonnés.
La société 13 Avenir, qui détient les lieux, voit le jour en février 2017. Cette Entreprise à But d’Emploi fait partie, comme toutes les EBE, d’un des dix territoires volontaires de l’expérimentation “Territoire Zéro Chômeur Longue Durée “ lancée en France depuis janvier 2017.
Leur objectif : embaucher en CDI des volontaires privés d’emploi depuis plus d’un an et résidant depuis au moins six mois dans une zone définie. À charge de ces nouveaux salariés d’imaginer et développer des activités pour faire vivre et développer leur entreprise.
Elle se finance sur son chiffre d’affaire mais aussi grâce au reversement des aides sociales destinées aux chômeurs. Le principe est plutôt astucieux : réallouer le coût de la privation d’emploi (estimé à 18 000 € par an et par chômeur selon ATD Quart Monde) vers le financement d’un poste au SMIC.
Un comité de pilotage local veille de son côté à ce que les activités créées par la société n’entrent pas en concurrence avec les emplois marchands et publics existants. “Nous nous développons beaucoup sur des secteurs de niche, en réponse à des besoins locaux très spécifiques”, précise sa directrice générale Elisa Lewis. Outre l’accompagnement des personnes âgées, l’entreprise anime aussi un “labo” pour fournir des solutions à l’échelle de la ville et répondre à des appels à projet publics.
Recréer une vie de quartier
Non-concurrentielle par essence, 13 Avenir se tourne, comme la plupart des EBE, vers des activités fortement ancrées dans le tissu local, en lien avec la transition écologique ou les services à la personne.
“Les salariés ont eu leurs premières idées d’activité en réfléchissant à ce qui manquait dans leur quartier”, appuie Elisa.
“Je savais qu’il y avait un besoin pour accompagner les personnes âgées”, explique Choukri, qui assure les permanences de l’après-midi. Une de ses plus grandes fiertés est ce tournoi de pétanque organisé à l’été 2018 dans le quartier qui avait réuni toutes les générations.
Aux côtés de la menuiserie, l’atelier couture et la pépinière, qui récupèrent et revalorisent du tissu et du bois, 13 Avenir développe des comptoirs de quartier pour proposer des services aux habitants.
L’entreprise qui s’adapte au travailleur
Travailler à 13 Avenir, un emploi comme un autre ? “Les EBE renversent complètement la logique d’emploi, explique Elisa, on ne va plus regarder le CV de la personne mais adapter le poste à ses compétences, ses passions et ses qualités propres.”
La structure travaille étroitement avec des acteurs traditionnels du secteur, comme Pôle Emploi ou l’association Aurore. Ceux-ci identifient des profils de chômeurs longue durée qui pourraient potentiellement rejoindre l’expérimentation. Les volontaires suivent ensuite une formation obligatoire en 8 séances.
Une fois entrés dans l’entreprise, ils seront rémunérés au SMIC mais bénéficieront d’horaires flexibles. Chacun peut choisir le volume horaire qui lui convient le mieux, un atout notamment pour ceux qui ont des contraintes personnelles spécifiques (famille monoparentale, enfant en bas âge…).
Démissions et licenciements font toutefois partie du jeu. 13 Avenir encourage également ses salariés à suivre des formations. Bruno, en charge de la “cyclo-logistique” et réparation à domicile à vélo depuis presque deux, a ainsi pu s’améliorer dans la livraison en petite reine.
Adama, arrivé en septembre dernier au comptoir Patay, aimerait aussi suivre une formation dans l’accompagnement des personnes à mobilité réduite. Pour lui, comme pour sa collègue Saloua, un contrat à durée indéterminé permet “de s’investir dans quelque chose à long terme, sans craindre le lendemain.”
“On peut enfin se dire ‘vivement le week-end’, car maintenant on a suffisamment d’argent pour faire des sorties, aller au restaurant, prendre soin de soi”, souligne Toufik, un des plus anciens salariés de l’entreprise.
“Les gens employés à temps partiel viennent même en dehors de leurs heures de travail, car ça leur permet de s’évader de leur quotidien”, ajoute le sexagénaire
Outre la sécurité matérielle et psychologique qu’induit le retour à l’emploi, tous soulignent le sentiment d’accomplir quelque chose d’utile dans leur quartier. “C’est la première fois de ma vie que mon travail a un sens”, déclare Toufik. “Le SMIC ce n’est pas grand chose, mais si on me proposait mieux ailleurs je dirais quand même non”, assure Choukri. “Ici j’ai vraiment l’impression d’aider.”
Vers une extension de l’expérimentation ?
Après ces débuts prometteurs, 13 Avenir doit aujourd’hui faire face à de nouveaux défis, comme le développement de ses activités et la préservation de son modèle face à l’agrandissement de sa base salariale.
L’entreprise compte encore embaucher les 16 salariés actuellement en liste d’attente d’ici la fin de l’année. Et ensuite ? C’est un peu flou. Parmi ses salariés, nombreux sont ceux à confier leurs craintes que le projet ne soit pas reconduit au terme du délai initial de 5 ans.
Les effets positifs de l’expérimentation ont pourtant été soulignés par les deux bilans intermédiaires publiés par le Fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée.
Le dernier en date, présenté en septembre par Louis Gallois, président du Fonds d’expérimentation, révèle que 838 salariés ont été embauchés en EBE depuis début 2017. Il souligne la nécessité de consolider le modèle économique des entreprises tout en accompagnant la formation des salariés.
“Au cours de l’année 2017, l’embauche d’un salarié conventionné en EBE rapportait plus de 18 000 € aux finances publiques”, ajoute le rapport. Une personne qui retrouve un travail va en effet cotiser, consommer, mais aussi permettre de réduire les dépenses sociales (RSA, allocation logement…).
L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale des finances (IGF) sont actuellement en train de calculer les coûts évités et les gains générés par le ré-emploi d’un chômeur longue durée au sein de l’expérimentation. Et cela sans compter que “certaines des réalisations ne sont pas financièrement quantifiables”, rappelle Toufik, citant à l’appui revalorisation des déchets et lutte contre l’isolement.
Le second volet du projet prévoit de l’élargir. Presque 90 territoires sont aujourd’hui volontaires dans toute la France. “Il est […] essentiel qu’une deuxième loi permette d’engager cette deuxième étape aussi rapidement que possible”, conclut le Fonds d’expérimentation.
Ci-dessus, la carte des 100 projets émergents en France
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