Partager la publication "Ivanice Pires Tanoné : “Un Indien sans terre n’est pas un Indien”"
Du 22 au 28 août, 150 personnalités se sont réunies à Arles à l’occasion de la troisième édition du festival Agir pour le vivant, organisé par la maison d’édition Actes Sud et la société de projets culturels et environnementaux Comuna. Parmi elle, Ivanice Pires Tanoné se distingue. Parée de sa coiffe sacrée, la première cheffe des Kariri-Xocó, une tribu du Nordeste du Brésil, marque le début de la conférence sur la cosmologie des liens et des savoirs ancestraux par un chant traditionnelle. Tout au long de l’échange, son expérience de cheffe de tribu indigène et son rire chaud rythment la conférence.
Alors que l’Amazonie fait face à une déforestation toujours plus intense et une dégradation palpable du rapport harmonieux entre les vivants, Ivanice Pires Tanoné plaide en faveur d’une reconnexion à la Terre Mère. Pieds nus, assise à l’orée d’un arbre et fumant son tabac naturel, la cacique Tanoné a répondu aux questions de WE DEMAIN.
WE DEMAIN : En tant que cacique des Kariri-Xocó, comment plaidez-vous contre la déforestation et la politique de Jair Bolsonaro à l’égard des peuples indigènes et de l’Amazonie ?
Ivanice Pires Tanoné : Je demande toujours au Grand Esprit de m’aider, c’est Lui qui a créé le Ciel et la Terre Mère. Ensuite, Il a créé les gardiens de la Mère Nature. Pour nous les Indigènes, c’est sacré. Quand je chante, je le salut en sifflant. Je suis ainsi en connexion avec Lui pour qu’il me protège ainsi que tout ceux qui m’entourent, même ceux qui n’ont pas de foi.
Au Brésil, il y a près de 350 peuples indigènes, et chacun de ces peuples a sa langue native. Les Kariri-Xocó comptent 5 000 personnes qui vivent à Alagoas dans le Nordeste, mais avec 26 familles nous avons quitté notre village natal pour nous rendre aux abords de la capitale Brasilia, dans le Cerrado, afin de continuer notre mission. Nous y perpétuons nos traditions et notre culture vivante native : il faut maintenir notre culture vivante bien que nous ayons toujours moins de terres et ne sommes pas entendus.
En 2011, nous avions encore 238 hectares de terres natives dans le Cerrado, mais ceux qui gouvernent ont tout vendu aux millionnaires. Nous n’avons presque plus rien et pourtant chez nous, on dit qu’un Indien sans terre n’est pas un Indien. Il faut protéger notre Terre Mère, c’est ce qui nous nourrit et régit notre vie.
La quasi absence de traduction de certaines langues indigènes entraîne la disparition de connaissances essentielles, notamment en médecine. Comment les Kariri-Xocó remédient à cette problématique ?
Tanoné : L’absence de traduction et plus largement le manque de récits dans notre langue native est un problème qui touche les Kariri-Xocó. Les peuples autochtones sont riches en connaissances médicales. Lorsqu’on cherche, c’est le Grand Esprit qui nous guide vers le médicament. J’ai eu plusieurs cancers et chirurgies, mais ce sont les plantes et le Grand Esprit qui m’ont soignée. Mais beaucoup de plantes se cachent aujourd’hui. Il faut la bonne personne pour les trouver et le Grand Esprit m’a choisie. Il faut cultiver une intimité avec le végétal et l’on se doit d’enseigner ces connaissances aux plus jeunes générations.
Dorénavant, il faut donner des moyens aux peuples pour qu’ils perpétuent la connaissance de la langue native. L’un de mes enfants est professeur, tout comme quatre de ses cousins. Pour contrer la disparition de notre langue native, ils sont allés à Rio de Janeiro au musée pour trouver des enregistrements de notre langue native. Cela semble irréel que notre langue soit plus accessible dans les musées des grandes villes que sur nos propres terres. Mais nous y travaillons, nous voulons perpétuer notre langue et nos connaissances. Et nos enfants doivent continuer cette transmission.
Derrière votre rire et votre positivisme constant, comment percevez-vous l’avenir de votre peuple et plus largement de l’Amazonie ?
Tanoné : Je rigole beaucoup car le rire apporte l’amour et la paix. Mais je vois une forte dévastation de nos territoires. L’Amazonie est le coeur du Brésil et il faut la préserver. Mais toujours plus d’indigènes meurent. Tout a déjà changé et l’on vit un grand génocide des peuples traditionnels indigènes. Lorsque ce ne sont pas les hommes qui disparaissent, c’est la nature qui se meure. Notre fleuve, le São Francisco, est contaminé, tout comme les poissons, et nous devons désormais acheter de l’eau minérale pour boire.
Mais chaque lutte compte. J’ai gagné un procès et je pourrais bientôt construire un village pour accueillir mon peuple, et je l’espère, ceux dans le Nordeste. Mais bien sûr, pour cela, c’est l’argent qui nous manque. Je veux y créer un centre culturel ainsi qu’un espace central pour danser ensemble. Ce sera très beau, ce sera notre terre.