Remaniement et transition écologique : “on est très loin de ce que la situation requiert”

Ex-membre d’Europe Écologie Les Verts, ralliée à La République en Marche lors de sa création, la députée de la Somme Barbara Pompili succède à Élisabeth Borne en tant que Ministre de la Transition Écologique (le remaniement marque la disparition du terme “Solidaire”), qui se retrouve en deuxième position de l’organigramme gouvernemental. Au lendemain du second tour des municipales et de sa “vague verte”, cette nomination pourrait apparaître comme un signal positif pour l’écologie, qualifiée de “combat du siècle” par Emmanuel Macron.

Alice Canabate, vice-présidente du conseil de surveillance de la Fondation de l’Écologie Politique, préfère néanmoins rester prudente. Pour cette chercheuse en sociologie politique, ni le discours ni les actes du Président de la République ne témoignent d’une bifurcation majeure dans sa politique environnementale, alors que les voyants de la crise écologique sont au rouge.
   

  • We Demain : Que pensez-vous de la nomination de Barbara Pompili au poste de ministre de la Transition Écologique ?

Alice Canabate : Il est permis d’être un peu circonspect. D’un côté, elle a un ADN initialement écologiste et c’est une femme de conviction : elle a été rapporteure de l’enquête parlementaire sur la sécurité des installations nucléaires, dont elle a dénoncé le recours massif à la sous-traitance. C’est le premier point. Le deuxième, c’est qu’elle a quand même fait adopter la loi biodiversité en 2016.

Mais sa biographie personnelle démontre, oserais-je dire, un glissement croissanciste. Elle a commencé comme attachée parlementaire d’Yves Cochet et, en 2015, a intégré un groupe dissident d’Europe Écologie Les Verts (EELV) où l’on retrouvait Jean-Vincent Placé et François de Rugy, l’aile dite “de droite” d’EELV. Donc, on peut se féliciter que ce soit une écologiste, ce qui n’était pas le cas de la ministre précédente. Mais, de là à s’en satisfaire, je ne vous cache pas que la marche est un peu haute. 
 

  • Sa nomination ne peut-elle pas marquer une inflexion de la politique écologique d’Emmanuel Macron ?

Certains disent qu’elle va faire appliquer les mesures de la Convention Citoyenne. J’ai même lu qu’elle allait “verdir le gouvernement”, ce qui est très embêtant d’un point de vue sémantique parce que cela renvoie à des formes de greenwashing. Verdir une politique, cela signifie la saupoudrer d’un peu d’environnementalisme, ce qui est précisément l’inverse de ce que l’écologie requiert. C’est la plupart du temps ce que peut faire une écologie de droite. Et si certains pensaient encore que la formation politique d’Emmanuel Macron n’avait pas de couleur, je crois que là, les choses sont à peu près claires. 

Donc, indiquer que sa feuille de route sera les mesures de la Convention Citoyenne… Il est permis d’en douter. Emmanuel Macron tweetait il y a quelques jours : “un nouveau chemin doit être dessiné” et il y associait la relance de l’économie. Fin juin, il indiquait vouloir “remettre l’écologie au cœur du modèle productif”. Si c’est la feuille de route donnée à Barbara Pompili, on est très loin de ce que la situation d’urgence écologique et climatique requiert. Donner la centralité à l’économie, c’est du monde d’hier. 
 

  • Le ministère de la Transition Écologique a été régulièrement remanié au cours du quinquennat. Comment analysez-vous ce phénomène ?

À cet égard je crois que Ségolène Royal a déclaré, avec raison, que c’est un ministère qui réclame beaucoup de consistance, de persévérance et de détermination. Nous en sommes au quatrième ministre en 3 ans… C’est un peu inquiétant. Et on peut aller au-delà car la valse est structurelle : au cours des 10 ou 12 dernières années, c’est pas moins de 11 ministres qui se sont succédés à ce poste ! 
 

  • De manière générale, ce nouveau gouvernement apparaît plutôt libéral. Selon vous, est-ce incompatible avec une réforme écologique efficace ?
Ce n’est pas “selon moi”, et c’est là que c’est problématique. La situation devient radicalement urgente, et il n’est pas affaire ici d’idéologie. L’équipe de Rockström, en 2009 – c’est à dire avant hier – a établi neuf limites planétaires nécessaires à des conditions de vie sûres pour l’humanité : on en a déjà franchi 6 !

Emmanuel Macron, dans sa déclaration du 29 juin devant les représentants de la Convention Citoyenne, s’est déclaré heureux de voir que les 150 n’avaient pas fait deux choix : celui d’en rester à un système productif classique – c’est le scénario 2.6, dit business as usual, du GIEC, celui qui nous emmène à 6 degrés de réchauffement – et celui de la décroissance. Cet énoncé là, le GIEC le modélise aussi : c’est un scénario de bifurcation, plausible et hautement souhaitable, qui demande une modification forte, voire radicale, des modèles de production et de consommation. Bien loin, c’est certain, des logiques du néolibéralisme débridé.
 

À lire aussi : Convention citoyenne pour le climat : “Maintenant, c’est aux politiques de faire leur travail”

La frontière se place ici, entre les propositions continuistes et discontinuistes. Évidemment, si on veut respecter l’accord de Paris, il y a une rupture à opérer. Et je pense que les décisions prises par le Président Macron sont assez clairement continuistes.
 

  • Emmanuel Macron a retoqué 3 des propositions de la Convention Citoyenne. Et Bruno Le Maire, qui fait toujours partie du gouvernement, s’est opposé à l’interdiction de la publicité pour les produits les plus polluants et à la réduction de la TVA sur les billets de train. La Convention n’est-elle pas progressivement détricotée ?

J’ai plutôt envie de dire que les mesures sont filtrées de manière à rester compatibles avec ce modèle continuiste. Emmanuel Macron déclare que le choix de la décroissance n’a pas été fait, mais un collectif d’une cinquantaine de chercheurs a été nommé pour suivre les débats de la Convention, et je ne crois pas qu’ils soient arrivés à un consensus clair sur ce sujet. Une volonté de sobriété est même manifeste dans les mesures proposées.

Si vous regardez les Unes parues en début de mois, Le Point titre “les clowns de l’écologie” et Valeurs Actuelles parle de “cauchemar vert” pour désigner cette idée de sobriété, de décroissance. On voit une volonté assez agressive de dénigrer ce concept dans le débat public. C’est un soutien très manifeste au monde d’hier, qui ne veut pas mourir. 
 

  • Ce remaniement intervient au lendemain du second tour des municipales et de sa “vague verte”. Les réformes écologistes ont-elles une utilité à l’échelle municipale, si l’échelon national ne suit pas ?

Je ne pense pas qu’elles soient inutiles. D’un point de vue pratique, on peut faire beaucoup de choses au niveau local. Évidemment, il ne faudrait pas que cela soit sans cesse empêché par des logiques nationales… Mais la pensée écologique demande à ce que l’on territorialise, voire même à ce que l’on “bio-régionalise” les enjeux pratiques de notre quotidien. Et on peut espérer que cette vague verte ait une déferlante.

Beaucoup disent que ces municipales montrent une prise de conscience écologique : je ne suis pas tout à fait d’accord. La prise de conscience, cela fait un moment qu’elle est là. En revanche, cette vague verte témoigne d’un désir extrêmement fort de voir l’écologie prendre les commandes.

Plus on reporte la transition écologique au niveau national et international, plus la société civile cherche à agir par le bas : elle reprend en main la “chose publique”, c’est son droit le plus complet. La désobéissance civile, par exemple, est un répertoire d’action qui prend de l’ampleur. Il faut savoir entendre le message porté : cela montre bien la volonté de barrer – au sens marin du terme – radicalement vers d’autres vents.

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