Partager la publication "Christine Leconte : “Le modèle du béton doit être déconstruit”"
Christine Leconte : Absolument. Nous sommes confrontés à trois crises : la première, le réchauffement climatique, qui nous oblige à nous adapter ; l’habitat et la construction représentent le quart des émissions de CO2 en France et 40 % au niveau mondial ! Deuxième crise : la biodiversité. Plus nous faisons de l’étalement urbain, plus nous empiétons sur la nature, plus il faut draguer le fond de la mer pour trouver du sable pour le béton, et donc plus l’impact est fort sur la disparition des espèces. La troisième crise, c’est la pénurie des matériaux et des ressources. Pour la construction, ils pèsent lourd : la fin du zinc et du cuivre, que nous utilisons quotidiennement, est déjà programmée. L’enjeu est immense : à l’aulne de ces trois crises, comment loger les populations et répondre à leurs aspirations en matière d’habitat ?
Nous devons déjà éviter de démolir pour réduire les déchets du bâtiment qui représentent à eux seuls les deux tiers de l’ensemble des déchets produits par l’activité humaine. Réparer la ville, c’est aussi cesser l’étalement pour rester dans l’enveloppe urbaine. Enfin, réparer signifie aller au-delà de la seule réhabilitation: c’est rompre avec les zones monofonctionnelles réduites au logement, au travail, aux commerces, aux loisirs. Dans la ville demain, nous pourrons mener toutes nos activités au même endroit, sans dépendre de la voiture.
L’expression usuelle veut que, lorsque le bâtiment va, tout va ! La construction neuve basée sur le béton entraîne toute l’économie. Mais c’est un modèle qui doit être déconstruit et reconstruit différemment, avec moins de béton, et beaucoup plus de réhabilitation, de recyclage, de réemploi des matériaux. Quand nous vidons un hôpital qui ne fonctionne plus, nous pouvons conserver le bâtiment pour en faire des logements sociaux, mais aussi récupérer les portes et fenêtres pour s’en resservir dans d’autres constructions. On ne devrait pas avoir le droit de détruire ce qui tient debout sans s’interroger sur une autre utilisation. Le Centquatre-Paris a été un abattoir, puis des pompes funèbres, avant d’être reconverti en espace culturel. La biscuiterie Lu de Nantes est devenue un restaurant et un théâtre. Les barres d’immeubles du Grand Parc, à Bordeaux, ont été réaménagées avec des loggias et le doublement de la superficie des appartements. Des architectes comme l’Atelier de montrottier ou Boris Bouchet interviennent en milieu rural en transformant du bâti ancien en bâtiments ultra-contemporains.
Nous devons rééquilibrer les territoires. La politique du logement ne peut pas se résumer, comme c’est le cas depuis trente ans, au nombre d’habitations que l’on construit. L’Etat se fixe l’objectif de 400 000 ou 500 000 par an, sans se poser la question des terrains et des ressources pour les construire, celle des territoires abandonnés, et des 100 000 logements (ce sont les chiffres de l’Insee) qui, dans le même temps, deviennent vacants! Nous devons passer d’une politique du logement à celle de l’habitat qui prenne en compte la qualité de vie dans nos villes et la richesse de notre patrimoine, notamment des centres-villes et des villes moyennes.
Apporter de la densité dans les lotissements, ce n’est pas tout raser pour construire des immeubles, c’est se demander comment amener de la qualité de vie avec des commerces, une école, des services publics, des transports en commun, etc. Mais économiquement, ça coûte cinq à sept fois plus cher dans les lotissements tels qu’ils existent. Il faut densifier pour apporter de la proximité et du pouvoir d’achat par une moindre utilisation de la voiture, surtout au moment où le prix des carburants flambe.
On stigmatise les formes au lieu de penser aux usages. Les logements collectifs auraient tous les défauts même s’ils sont proches de tout, et la maison individuelle, éloignée de tout, toutes les qualités : calme, confort, nature. Les Français veulent en fait les deux, la nature et la proximité. Et des formes urbaines qui conjuguent ces différentes demandes existent. Mais elles sont peu développées : ce peut être les maisons de ville imbriquées, ça marche bien dans les villages ; les logements superposés avec possibilité de balcon ou de toiture-terrasse pour les uns et le jardin pour les autres; ou bien des formes d’habitats groupés dans lesquels vous partagez le jardin avec la piscine ; ou bien la buanderie ou une chambre en plus pour l’ami de passage. C’est un habitat de partage, avec de nouveaux modes de vie, qui ne doit pas être décidé par les architectes ou les élus, mais au niveau des quartiers, des îlots, des bâtiments…
Un particulier peut exiger de son architecte une maison bas-carbone passive (elle ne consomme pas d’énergie) ou même à énergie positive (elle produit de l’énergie) grâce à l’orientation, les occultations, la ventilation naturelle, les matériaux utilisés, l’isolation et la manière de vivre de ceux qui l’occupent. Plutôt que du béton, il faut utiliser des matériaux “soignants” et renouvelables : la terre en Auvergne dans la tradition du pisé d’autrefois qui conserve la chaleur en hiver et la fraîcheur en été ; le chanvre, utilisable en béton de chanvre, en isolant, en enduit chaux-chanvre ; le bois, quand il ne provient pas de l’autre bout du monde : dans le Jura, un architecte utilise un bois tendre pour des charpentes de mini-sections car la qualité de ce bois ne permet pas qu’elles soient longues. C’est novateur et les toitures sont esthétiques. La sobriété pousse à la créativité.
Plutôt que du béton, il faut utiliser des matériaux “soignants” et renouvelables… la sobriété pousse à la créativité
Christine Leconte
On ne doit pas construire de la même façon en Occitanie et dans les Hauts-de-France. La sobriété, c’est aussi l’architecture des circuits courts, en se posant toujours la question : de quels matériaux puis-je disposer à proximité ? C’est aux régions et aux départements d’investir dans les filières ou de créer des plateformes de réemploi, par exemple en menuiserie.
Bien sûr. Prenez les constructions en bambou, très développées en Asie, et reprises par l’architecte colombien Simón Vélez avec sa halle en bambou, le pavillon nomade (65 m de long et 10 m de haut) à La Défense : c’est un geste architectural magnifique et accessible à tous. Au XXIe siècle, l’architecture doit être d’intérêt général, de qualité et d’usage. L’imagination a toute sa place, avec les maisons flottantes de Jacques Rougerie, mais aussi quand elle se nourrit de l’imaginaire des BD ou des romans de science-fiction d’Alain Damasio sur la ville de demain.
Le problème des tours, c’est qu’elles reposent sur de l’acier et du béton, des technologies qui sont davantage celles du XXe que du XXIe siècle. Nous n’avons pas la solution pour que le béton soit vraiment bas-carbone. Le sable provient toujours des océans, même pour les tours de Dubaï, en plein désert, ce qui est aberrant. Et puis les tours étaient au XXe siècle des symboles capitalistes : plus elles sont hautes, plus on est riche, plus on est fort, plus on est beau. L’architecture de ce siècle doit, au contraire, être celle de l’usage et de l’environnement, celle de la sobriété.
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